mardi 20 mars 2012

Pour une critique radicale des fermetures de classes

Le risque est grand de voir les cortèges de parents défendant l’école ou la classe de leurs enfants devenir un nouveau marronnier de l’actualité hivernale. Cette folklorisation est certainement recherchée par les promoteurs des contre-réformes à l’œuvre sur le mode : « ces gens-là sont sympathiques mais totalement irresponsables ». Le résultat est connu d’avance : ne se sentent concernés que ceux qui sont concernés. Pour mener des luttes utiles, il faut donc comprendre et faire comprendre la logique politique sous-tendue par ces fermetures. Pour « agir local », il faut « penser global » et « critiquer radical » au sens d’extirper jusqu’à la racine les mauvaises herbes de la désertion des services publics. 

Comme toutes les grandes manipulations, rien n’est caché. Les « orientations » sont définies dans un « schéma territorial des écoles du Jura ». En voici quelques extraits : « A la rentrée 2004, le département comptait 351 écoles publiques, 311 écoles publiques étaient recensées à la rentrée 2009. Le département a connu des fermetures d’écoles mais aussi des créations de pôles scolaires concentrés ainsi que des fusions d’écoles maternelles et élémentaires au sein d’une même commune. Ces dispositifs ont permis d’instaurer une meilleure dynamique pédagogique, ont contribué à réduite l’isolement par des projets communs et ont favorisé la mutualisation des équipements et des matériels. Cette évolution était nécessaire, au regard des enjeux associés à la maitrise du socle commun de connaissances et de compétences (…) Le maillage départemental des écoles est toujours caractérisé par une extrême dispersion des petites structures. Cette situation présente de réels inconvénients : manque d’émulation pour les élèves, travail en équipe difficile pour les professeurs, repères insuffisants pour l’évaluation des élèves. (…) Il convient de privilégier les structures de 6 à 8 classes au sein de pôles scolaires. » 

Voilà donc les objectifs de l’Education nationale pour le Jura. N’ayons aucune crainte d’inégalité à terme, cela doit être la même politique dans tous les autres départements de France. Le Jura n’étant pas une principauté, la politique de l’Education nationale reste nationale et elle a deux angles d’attaque pour faire accepter ces contre-réformes : le pédagogisme et l’expertise technocratique. Le tout a un but caché : faire des économies budgétaires sur le dos de l’Ecole. 

Grâce à quelles manipulations, les hiérarques de l’Education nationale croient-ils nous convaincre que la grande école à 15 km apprendra mieux à lire, écrire et compter que l’école du village ? A-t-on constaté dernièrement une amélioration sur le front de l’illettrisme suite à la fermeture massive d’écoles rurales ? Quant à la dernière lubie pédogagiste sur le travail en équipe des professeurs, il relève une fois encore plus de l’idéologie punitive contre les professeurs que de l’ambition pour les élèves. Tout cela n’est qu’un emballage de faux-semblants destinés à leurrer le gogo. Le ministère de l’Education nationale est bien devenu celui des marchands de sommeil ! 

L’avenir orwellien qu’il décide est donc tracé : le modèle des écoles maternelles et primaires est donc…le collège ! Une école (un « pôle scolaire » en novlangue) par canton, c’est l’idéal pour l’administration de l’Education nationale. Autant le dire clairement et que les parlementaires qui votent le budget de l’Etat assument leurs choix politiques ! Qu’ils aillent expliquer à leurs électeurs ruraux que leurs enfants de deux ou trois ans devront prendre le bus matin et soir, manger à la cantine (pour ceux qui en auront les moyens, les autres feront sans doute un régime hypo-calorique dans le cadre d’un programme de lutte contre l’obésité !!) et donc passer plus de 12 heures par jour hors de chez eux. Quelle modernité ! 

Budgétairement, puisque seule compte cette entrée, l’Etat ferme les écoles et demandent aux communautés de communes de construire et d’entretenir les « pôles scolaires » et aux Conseils généraux de financer les transports scolaires, avec une économie non négligeable en temps d’austérité européenne généralisée qui ne déguise en fait qu’un transfert de charges de l’Etat vers les collectivités qui, elles, n’ont pas droit au déficit. 

Bref, quand une société préfère embaucher des chauffeurs de bus plutôt que des instituteurs, on peut douter de son dynamisme, on peut même craindre son déclin. 

Jean-Philippe Huelin 
Essayiste, co-auteur de « Recherche le peuple désespérément » (Bourin, 2009) et « Voyage au bout de la droite » (Mille et une nuits, 2011) 
Tribune publiée sur le site "27 par classe"

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