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dimanche 12 novembre 2017

Bilan et perspectives

 Le Progrès, 10 octobre 2017
    
 Pays de Lons, 28 octobre 2017

Hebdo 39, 30 octobre 2017

lundi 14 janvier 2013

La gauche cherche ses ouvriers

Un article sur ma note "Où en est le vote ouvrier?" dans :

mardi 8 mars 2011

Le FN est-il un parti en voie de normalisation?

POLITIQUE - Marine Le Pen le fait «muter»...

Dans les sondages et pas seulement ceux d’Harris Interactive, Marine Le Pen passe la barre des 20% d’intention de votes. Sa côte de popularité bat des records pour une personnalité de l’extrême droite, à 27%. Tous les clignotants sont au vert pour la fille de Jean-Marie Le Pen dont la stratégie de dédiabolisation du FN semble payer. «Pour les Français, il est évident que le parti est en voie de normalisation», explique Sylvain Crépion, sociologue spécialiste du FN*. «Elle a fait muter le FN», abonde dans son sens Gaël Brustier, docteur en sciences politique et co-auteur de Voyage au bout de la droite. «Elle l’a adapté à la société française», ajoute-t-il. 20minutes.fr fait le point sur le FN new look.

Du social, du social, du social
Les thèmes de prédilection de Marine Le Pen, c’est la laïcité, certes, en fer de lance de son combat contre l’Islam mais aussi le social. «Elle a fait évoluer les thématiques en gauchisant le discours du FN», note Gaël Brustier. Et même si le virage avait déjà été pris par son père, c’est bien Marine qui est la garante de l’image sociale du FN. La mondialisation, la désindustrialisation, la précarité, les services publics, sont devenus ses thèmes. Elle parle au prolétariat, à «la France qui gagne entre 700 et 1.200 euros» et «évoque les questions économiques en articulant la mondialisation avec la peur diffuse du déclassement», ajoute-t-il, parlant «d’assaut sur l’électorat ouvrier». D’autant que «la réalité de la France, c’est les classes populaires, ignorées par tous les partis, notamment la gauche».

Evolution sur le sociétal
La frange la plus traditionaliste du FN en a fait le reproche à Marine Le Pen avant son élection, elle est plus ouverte que son père sur les questions sociétales comme le droit à l’avortement ou les droits des homosexuels. «C’est une femme de son temps, divorcée, avec trois enfants, qui a les mêmes problèmes que les autres», note Gaël Brustier. «Elle a bénéficié de la scission des mégrétistes, qui a fait partir les plus traditionalistes», ajoute-t-il. Reste qu’elle est inflexible sur la peine de mort, même si elle le dit moins fort.

Les provocs, c’est fini, place à la respectabilité
Comme nombre de militants FN, elle est une des «traumatisées du 21 avril 2002», explique Sylvain Crépion. C’est-à-dire qu’à ce moment, nombre de militants FN ont compris dans la douleur qu’ils n’accéderaient jamais au pouvoir en raison du «cordon sanitaire» mis en place contre Jean-Marie Le Pen. Elle essaye donc de «donner une respectabilité au FN, de le rendre acceptable en prenant ses distances avec le FN à papa, avec les provocations sur la Shoah, l’inégalité des races, la guerre d’Algérie», analyse le sociologue.

Le FN bénéficie d’une droitisation des débats
«Il y a une droitisation à l’œuvre» dans les débats, juge Gaël Brustier, et «la droite en porte la responsabilité avec la casse de l’appareil gaulliste au niveau idéologique et organisationnel», qui servait traditionnellement à faire barrage à l’extrême droite. Islam et insécurité, elle n’a presque plus besoin d’en parler – le FN est déjà identifié sur ces thèmes - tant l’UMP en parle à sa place. «Si elle reprend les thèmes républicains et laïcs, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a une vision ethnique de l’identité et qu’elle est dans une logique xénophobe», insiste Sylvain Crépion.

Une base électorale plus large
Avec tous ces ajustements, Marine Le Pen élargit sa base électorale potentielle. «Elle surperforme au sein des catégories traditionnelles du FN, les artisans, les employés, les ouvriers», note Frédéric Dabi, de l’Ifop. Mais «à partir du moment où elle passe la barre des 20%, elle devient ‘attrape-tout’. Elle est notamment très forte chez les 50-65 ans qui votent plutôt UMP, ajoute-t-il. C’est là où il y a une aspiration des voix UMP». Marine Le Pen s’est transformée en défenseur de la République, «contrairement à son père qui parlait de Ripouxblique, note Gaël Brustier, pour passer de 15% à 30% dans les sondages». Et elle ne peut le faire qu’en s’adressant à la «sociologie majoritaire du pays», ajoute le spécialiste selon lequel Marine Le Pen «travaille beaucoup sur la sociologie et la démographie du pays».

Maud Pierron, 20minutes.fr 8 mars 2011

lundi 7 mars 2011

"Voyage au bout de la droite" dans le Parisien



"Voyage au bout de la droite" dans la revue de presse de France inter


Patrick Cohen : Et on en vient directement à l'analyse de ce sondage Harris-Interactive pour le Parisien, hier.

Bruno Duvic : Si l'élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, Marine le Pen arriverait en tête du Premier tour, devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry.

La méthode de ce sondage est très critiquée. Reste que tous les spécialistes de sondage interrogés constatent bien une hausse très nette de la popularité de Marine le Pen.

Alors pourquoi ? Deux analyses.

Gaël Brustier sur Atlantico.fr. Fibre socialiste mais il se montre très critique vis à vis du PS. Il vient de publier un livre qui s'appelle "Voyage au bout de la droite".

"Marine le Pen a compris la géographie sociale du pays, elle développe un discours protecteur qui colle aux inquiétudes qui agitent la France face à la mondialisation, notamment la France des catégories marginalisées. Les social-démocraties européennes ont abandonné le terrain des peur sociales.

Mettre la montée du FN sur le compte de la politique de Nicolas Sarkozy selon lui, c'est passer à côté de cette droitisation qui gagne toute l'Europe.

Autre analyse, celle de Jean-Marie Colombani sur slate.fr.

Pour lui, le schéma imaginé à l'Elysée consiste à placer le débat sur le terrain de l'identité pour éviter un autre débat sur la politique économique et sociale. Le président veut porter le fer là où la gauche est mal à l'aise, du moins le croit-il. Conclusion de Jean-Marie Colombani, il pourrait être question de rechercher un remake d'avril 2002 et susciter un face à face Sarkozy-FN au second tour.

Revue de presse du 7 mars 2011

mercredi 2 mars 2011

Exclusif: la thèse décapante de Brustier-Huelin sur la radicalisation à droite


Dans leur voyage au bout de la droite, deux socialistes, Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, se posent la question qui fâche : pourquoi dans toute l'Europe, les partis de gauche se montrent impuissants à capitaliser sur la plus grosse crise économique depuis la seconde guerre mondiale.

Pourquoi la gauche n'a-t-elle pas engrangé les bénéfices politiques de la crise économique et financière, la plus grave depuis les années 30 ? Pourquoi, un peu partout en Europe, la contestation est-elle spontanément à droite ? Comment interpréter l'émergence du sarkozysme, du berlusconisme ou des tea parties aux Etats-unis ? Ces phénomènes ont-ils un rapport entre eux ?

Le « voyage au bout de la droite » de Gaël Brustier et de Jean-Philippe Huelin, deux compères engagés au Parti socialiste que nous apprécions à Marianne2, est ambitieux, s'efforçant de répondre à ces questions rarement posées dans les médias, où l'on ingère souvent passivement l'actualité. L'analyse passe bien sûr, par les Etats-unis et l'émergence d'un néo-conservatisme qui, même s'il est considéré aujourd'hui comme dépassé, n'en a pas moins marqué les droites, américaines ou européennes. Nous apprenons ainsi que les néo-cons américains ont bâti leur fond de commerce politique en pourfendant les excès de la boboïtude démocrate : c'est en prétendant défendre les intérêts de la classe ouvrière américaine que Reagan puis Bush ont gagné les élections.

Le mouvement vient donc de loin, et les auteurs ont raison de rappeler comment Jacques Chirac a été en France, avant même Sarkozy, l'importateur dans les année 1980, d'une droite « décomplexée ». Après avoir noyé les restes du mouvement gaulliste, la main de Chirac n'a pas tremblé en 1986 pour privatiser et faire de la sécurité la thématique prioritaire de reconquête de l'opinion. Hypothèse intéressante des auteurs : c'est peut-être cette droitisation du RPR qui a permis au Front national de lui siphonner son électorat ouvrier conservé depuis la période de gloire du gaullisme.

Mobilisant l'arsenal conceptuel de Gramsci, ce révolutionnaire italien de la période mussolinienne dont Sarkozy lui-même se revendiquait en 2006, les auteurs inventent le concept fructueux d'« hédonisme sécuritaire ». En Hollande, en Belgique, mais aussi en France, une frange urbaine est peut-être en train de se détacher de la gauche. A titre d'exemple, ils citent la percée de Geert Wilders, prototype d'une extrême droite libertaire aux Pays-Bas, l'hostilité de certains mouvements homosexuels envers une présence musulmane jugée envahissante dans les centre-ville, ou bien les polémiques déclenchées en France par le match annulé entre le Paris Foot Gay et un club communautaire musulman ou bien l'éloge ambigu du groupe de rap Sexion d'Assaut, islamophile et homophobe. Derrière cette mousse, une vague sociologique : la prospérité de la droite européenne repose sur la déception de la classe ouvrière à l'égard de la gauche. On en arrive ainsi à un paradoxe qui réjouit certains barons socialistes mais ne peut qu'inquiéter ceux qui souhaitent perpétuer les valeurs fondatrices de la gauche : recroquevillée sur les centre ville, la gauche aurait ainsi tout à gagner à la montée de l'abstention dans les espaces péri-urbains où se sont réfugiées les victimes de la mondialisation, un moment séduites par le sarkozysme, mais qui ne reviendront pas à gauche si celle-ci se contente d'un éloge de la diversité et des libertés individuelles.

Extraits du livre «Voyage au bout de la droite»

La contestation est-elle passée à droite ? Un imaginaire est-il en train d’en chasser un autre ? Pour le savoir, il nous faut partir à la rencontre des droites et comprendre comment les pays occidentaux ont pu, les uns après les autres, succomber à leur domination. Il est loin le temps où, du Quartier latin à Woodstock, de Mai 68 au Larzac, la contestation était de gauche. Même les « forums sociaux » de Porto Alegre font parfois pâle figure, comparés à la flambée droitière des Tea Parties états-uniens, des manifestations de la Ligue du Nord italienne ou aux percées extrémistes dans des pays aussi consensuels que les Pays-Bas ou la Suède. Depuis plus d’une décennie, les victoires électorales des forces de droite s’accumulent en Europe : Aznar en Espagne, Berlusconi en Italie, « grandes coalitions » en Allemagne et en Autriche…

En France, l’alternance s’est faite à droite en 2007, après que l’élection présidentielle de 2002 se soit jouée entre la droite et l’extrême droite. De l’autre côté de l’Atlantique, l’élection de Barack Obama a pu marquer une pause, mais l’apparition d’un « populisme conservateur » montre bien que rien n’est joué. Il nous semble qu’une raison majeure de ces victoires électorales réside dans le fait que la fausse conscience* de droite se nourrit du rejet de la bonne conscience de gauche et qu’une partie du personnel politique de gauche a de surcroît nourri la droitisation. Ce que nous appelons « droitisation » n’est pas la victoire des droites d’hier, mais un phénomène autre, nouveau, lié à la peur du déclassement de l’Occident, qu’il soit européen ou américain. Diffus, parfois contradictoire, ce phénomène a pris une ampleur toujours plus grande. Occidentalisme*, identitarisme, islamophobie en constituent des traits caractéristiques dont le degré de sophistication évolue évidemment selon les publics. La volonté de protéger un « mode de vie » est grande chez ceux qui, hier, aspiraient à dispenser les bienfaits de l’esprit de Mai 68. L’hédonisme sécuritaire est bien, en la matière, la dernière-née des fausses consciences* dextristes qui fleurissent sur les acquis « sociétaux » des baby-boomers vieillissants. Les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entrave et demandent avec insistance que leur ordre moral soit placé sous la protection d’un appareil sécuritaire renforcé. Les libéraux-libertaires ont enfanté des hédonistes sécuritaires !

Les années 2000 ont ainsi vu la réémergence d’une expression tombée en désuétude dans le discours politique officiel : celle de « droite décomplexée ». Il serait trop simple de penser que, derrière cette expression, il n’y aurait qu’un rapport à l’argent et à son ostentation sans scrupule ni tabou, ou une libération de la parole du militant de droite qui dirait tout haut ce qu’il pensait naguère tout bas ; cela semblerait vouloir dire que la droite n’a changé que dans son type d’expression, visuelle ou verbale. Or, elle a beaucoup changé. La droite n’avait pas de complexe avec l’argent, elle le méprisait ! À l’image de ce qu’écrivaient ses jeunes plumes des années 1930, de Maurice Blanchot à Thierry Maulnier, ou bien les « hussards » des années 1950, la droite* n’aimait pas l’argent. Elle n’aimait pas non plus le « marché », elle se défiait de la passion technologique venue d’Amérique. Du Bernanos de La France contre les robots à l’Arnaud Dandieu du Cancer américain, le combat pour la civilisation française n’admettait pas le mythe d’un Occident unissant Europe et États-Unis dans une même adhésion à la civilisation de la technologie et du marché. On aurait cependant tort de penser que le « bling-bling » est l’essence de la droitisation. Il ne s’agit pas d’un style, il s’agit d’une vision du monde.

Historiquement, l’expression « droite décomplexée » est issue de la droite extrême. Sa reprise aujourd’hui par la droite dite républicaine révèle surtout un tournant dans la perception que la droite a d’elle-même. En effet, si le mot même de « droite » ne dérangeait pas ses membres quand l’expression ne revêtait qu’une acception parlementaire, soit de 1815 jusque dans les années 1890, il n’en fut plus de même tout au long du XXe siècle, où la droite ne revendiqua jamais explicitement ce terme (1). Fidèle en cela à son héritage holiste, elle refusait d’entériner une sorte de discorde structurelle et inhérente à la société démocratique. Seuls alors certains militants de droite extrême rappelaient la droite à elle-même pour tenter de l’arracher à son modérantisme bourgeois. Il a donc fallu attendre que la parenthèse gaulliste et sa répugnance pour la « droite » se referme et que le sinistrisme* de la vie politique s’estompe pour que la droite se revendique comme telle. En réalité, nous n’avons pas affaire à une « droite décomplexée », une droite qui serait entrée dans son âge adulte après les vexations et les inconforts de l’adolescence, mais à une droite revendiquée, qui ne correspond plus aux droites d’hier. On doit y voir à la fois un symptôme de son ouverture idéologique vers cette extrême droite longtemps maintenue derrière un cordon sanitaire sans nier qu’elle comporte quelques éléments d’une radicale nouveauté.

La mutation culturelle des droites tient donc de la révolution copernicienne en politique. Pour en prendre la mesure, il suffit d’observer Éléments, la revue de la « Nouvelle Droite » d’Alain de Benoist, titrer son numéro de juillet-septembre 2010 sur cette interrogation : « La Nouvelle Droite est-elle de gauche ? », marquant ainsi l’exil intérieur dans lequel se trouvent nombre de penseurs des droites d’hier. La droitisation n’est en effet pas la réanimation des droites du passé, mais une réinvention complète de la droite en même temps qu’elle impose sa domination sur la société contemporaine. Si mutation et domination sont les caractéristiques des mouvements de droite actuels, la droitisation, elle, est propulsée par l’articulation des idées d’ouverture* et de rupture*.

Rien de spontané dans ce phénomène. Celui-ci résulte d’une mutation du procès de production* au niveau mondial. Dans de nombreux domaines, la droitisation n’est que l’affirmation d’une fausse conscience consubstantielle à la globalisation financière. La structure économique du monde a en effet été profondément transformée. Songeons qu’en 2007 les sociétés du CAC 40 réalisaient 70 % de leur chiffre d’affaires et 80 % de leurs bénéfices à l’étranger. Songeons que, de 2005 à aujourd’hui, les entreprises du CAC 40 n’ont créé aucun emploi en France. Le néolibéralisme a contribué, selon les termes employés par Ronald Reagan, à « libérer le taureau » de la finance. Les sociétés occidentales en ont été profondément changées. Les vieilles bourgeoisies liées à un capitalisme industriel fortement ancré dans le territoire national ont cédé la place à une bourgeoisie transnationale qui organise la gestion de son patrimoine à un niveau mondial : 44 % du capital des entreprises du CAC 40 est possédé par des non-résidents ; 26 % des administrateurs des entreprises françaises cotées en Bourse ne sont pas français. Plus de 20 % d’entre eux sont citoyens des États-Unis.

Nous avons assisté à la naissance d’une bourgeoisie financière transnationale coupée des préoccupations qui étaient celles de la bourgeoisie nationale industrielle. Et ce phénomène observable en France vaut pour toute l’Europe. Par conséquent, la géographie sociale de notre pays a elle aussi muté, mais c’est surtout au niveau des idées, des représentations collectives, des organisations politiques et de la vie intellectuelle que la mutation s’est fait sentir. En nous intéressant au mouvement des idées, ainsi qu’aux mouvements électoraux, en circulant dans le paysage politique européen et occidental, nous avons à cœur de comprendre le phénomène de droitisation qui semble opérer comme un maelström politique et toucher, les unes après les autres, toutes les sociétés occidentales. Qui a le plus pâti électoralement de la crise ? Les social-démocraties ! À peine la crise ouvre-t-elle une opportunité aux gauches occidentales que la contestation passe à droite !

Pour comprendre l’étonnant mouvement de droitisation des sociétés occidentales, et en particulier de la France, nul besoin de convoquer une improbable bataille de la « modernité » contre des ennemis incarnés par la « droite(2) ». Le phénomène ne se réduit pas à une « révolution conservatrice » au sens le plus traditionnel du terme. Ce n’est pas un affrontement entre le Bien et le Mal qui éclaire le problème. La droitisation est très efficacement liée à la « modernité capitaliste », et les forces électorales qui l’incarnent ont su se saisir de celle-ci pour attirer à elles le citoyen consommateur (3). Raffaele Simone voit souvent juste, notamment quand il dénonce à la fois le buonisme de la gauche et son incapacité à prendre des décisions « rigoristes(4) ». Simone propose quelques pistes, mais omet sans doute d’évoquer d’une part la grande peur de l’Occident, saisi de vertige devant les hauteurs béantes de la mondialisation, et d’autre part le rapatriement à droite de la contestation.

Pour analyser ce phénomène et en faire l’autopsie méticuleuse, il nous a évidemment fallu faire appel à l’histoire, aux traditionnels outils de la socio-histoire et de la sociologie politique, qu’elle s’intéresse aux aspects sociaux, électoraux ou aux organisations.

(...) Le processus de droitisation n’est ni unilinéaire ni uniforme. Au contraire, il semble polymorphe, empreint de différentes crises de croissance et soumis à d’importants soubresauts internes. S’il permet l’émergence de personnalités fortes qui le portent (Thatcher, Reagan, Aznar, Berlusconi, Fini, etc.), il ne dépend jamais uniquement d’elles et transcende les questions liées au leadership. La droitisation n’est pas, au sens propre, purement réactionnaire. Dans ce phénomène, il n’y a pas de restauration d’un ordre ancien. Bien au contraire, la droitisation déstabilise des fondements traditionnels des sociétés dites occidentales. Si, comme on l’a dit, la droitisation a partie liée avec la globalisation financière, il est évident qu’elle tire sa force de sa capacité à faire face, mieux que tout autre idéologie, aux effets réels de la mondialisation néolibérale sur ces mêmes sociétés. Sa fonction n’est-elle pas de donner une explication du monde à toutes les échelles politiques, du coin de la rue du petit bourg de nos campagnes au centre de Kaboul, qui rende acceptable le processus de globalisation financière ou qui le fasse passer au second plan ? En cela, l’étude de la droitisation se distingue du travail déjà effectué sur la percée des idées néolibérales ou sur l’intégration par certains secteurs de gauche de l’idéologie libérale. Elle prend en compte ces aspects dans une vision plus globale qui consiste à comprendre comment un imaginaire collectif en permanente évolution façonne les sociétés et particulièrement la société française. Ce voyage au bout de la droite nous fera traverser l’Atlantique, visiter les capitales de la « Vieille Europe », observer la révolte des vallées alpines, écouter le tumulte des mondes ouvriers, prêter l’oreille à la colère des perdants de la mondialisation ou rencontrer l’insurrection droitière des riches régions de notre continent.

En parcourant ce Gulf Stream idéologique que forme la droitisation, nous allons rencontrer ceux qui en ont été les initiateurs aussi bien que ses actuels acteurs, nous en saisirons les principales caractéristiques idéologiques et les ressorts de sa domination, voire de son hégémonie, pour nous intéresser à la réalité de la domination de cette droite new look sur la société française et ses classes populaires. Alliant conservation et contestation, monopolisant dans l’hémisphère droit de la vie publique l’essentiel du débat politique, la droitisation fait tache d’huile. Ce périple commence loin d’Europe et loin de France… pour mieux nous y ramener.

(1) Cf. Marcel Gauchet, « La droite et la gauche », dans Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, Gallimard, coll. « Quarto », 1997, tome II, p. 2533-2600.
(2) Cf. Daniel Lindenberg, Le Procès des Lumières. Essai sur la mondialisation des idées, Le Seuil, 2009.
(3) Raffaele Simone, « Pourquoi l’Occident ne va pas à gauche », Le Débat, n°156, septembre-octobre 2009.
(4) Raffaele Simone, Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?, Gallimard, 2010.
(5) Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Gallimard, 1978, tome 12, chap. 1, p. 1513-1520.

Marianne2, le 2 mars 2011

lundi 13 septembre 2010

Classes sociales et nouvelle géographie politique

Voici un texte que j'ai co-écrit avec mon camarade Gaël Brustier et qui vient de paraître dans la dernière livraison de la revue "Utopie critique" .

« Qu’est ce que c’est que cette Gauche qui n’ose plus prononcer les mots classe ouvrière ? » disait André Malraux en décembre 1965. Vieux débat donc. Pour essayer d’objectiver les choses, revenons d’abord à ce que sont les classes sociales dans l’histoire collective du socialisme français dans ses variétés. Penchons-nous sur la mutation géographique de ces classes sociales pour comprendre ce qu’est la France d’aujourd’hui. Essayons, enfin, d’appréhender au mieux la réalité de la géographie électorale française.

Classes sociales, lutte des classes et socialisme

Longtemps la lutte des classes a été au centre de la vision et de la pratique de l’histoire des socialistes. C’est d’abord, rappelons-le, la situation d’un groupe dans le procès de production qui définit une classe sociale. Schématiquement, on distinguait à l’origine : bourgeoisie, prolétariat et propriétaires terriens. Le volume III du Capital introduisait déjà une autre dimension à la notion de classe sociale : celle du type de moyen de productions utilisé. Par ailleurs, les critères économico-politiques, hautement dépendants de la psychologie collective d’un groupe, laissent apparaître encore une distinction entre la classe conscientisée, la classe pour soi, et la classe « en soi ». Cette analyse marxienne est évidemment fondamentale mais on aurait tort d’en rester là.

Norbert Elias l’a démontré en son temps : il existe une dimension éminemment spatiale des rapports sociaux, de la représentation que l’on se fait de la société et de l’idée que l’on se fait de la place que l’on occupe en son sein. Une même cité ouvrière comportait une hiérarchie implicite fondée, notamment, sur ce qu’Elias définissait comme le capital d’autochtonie. Elias introduisait donc l’idée qu’un groupe ne se définit pas seulement par sa position dans le procès de production mais aussi par la nature des interdépendances entre les hommes dans l’espace.

Les classes sociales ont donc des critères de définition complexes mais en combinant un peu de sociologie marxienne et un zest d’analyse éliassienne, on commence à y voir plus clair. Si l’on y ajoute, une analyse faisant une large place à la géographie sociale, les choses paraissent encore plus évidentes. C’est cette dimension géographique qui semble aujourd’hui déterminante pour redonner du sens à la notion de classe sociale en France.

La nouvelle géographie sociale du pays : un élément essentiel de la mutation des classes sociales

Il y a actuellement en France presque autant d’ouvriers et d’employés que dans les années 1950, pourtant notre pays a changé. La mutation de l’économie mondiale a influencé la localisation de l’activité économique et donc la géographie sociale du pays comme elle a influencé la répartition des revenus. La France est divisée entre des villes-centres et des zones périphériques, c'est-à-dire périurbaines ou rurales . La France des villes-centres, et en particulier Paris, est fortement intégrée à l’économie mondialisée, celle du virtuel, de la finance et des métiers à haute teneur intellectuelle. La France des périphéries est plus industrielle, celle des employés et des ouvriers, la France qui pâtit le plus du libre-échange et de la globalisation financière. Indiquons qu’entre 1995 et 2005, le coefficient de Gini qui mesure le degré d'inégalité et la distribution des revenus dans une société est passé de 0,28 à 0,32, ce qui, d’après les économistes, est loin d’être marginal, la France passant du 15ème au 34ème rang mondial. Double effet donc : géographique et inégalitaire. Les deux sont voués à se cumuler, à se compléter.

Quand on observe les cartes, il est intéressant de constater que les zones dynamiques démographiquement sont les zones périurbaines qui se situent aux marges des aires urbaines et donc hors des agglomérations. Il est intéressant de constater que ce sont celles qui accueillent de manière croissante les ouvriers et les employés. Cela peut surprendre mais c’est une réalité importante de notre société. Il y a en effet un décalage entre la réalité de la géographie sociale française et la construction médiatique de la société française. Un chiffre, souvent cité par le géographe Christophe Guilluy, éclaire une réalité qui échappe trop souvent aux commentateurs : 80% des ménages pauvres n’habitent pas les quartiers d’habitat social de banlieue.

Nous vivons encore à l’heure de « Paris et le désert français » alors que la réalité est tout autre. Plus d’exode rural mais un exode urbain. Quand on regarde les chiffres, la réalité n’est pas si simple : 81% des salaires sont versés dans les pôles urbains qui ne sont pas majoritaires en termes de population. Le fait urbain dense est minoritaire aujourd’hui. Le phénomène d’étalement urbain et d’expansion du phénomène périurbain pèse sur la psychologie collective des Français. Les seules zones périurbaines offrent seulement 12% des emplois mais concentrent à elles seules 22% des salariés. 90% des salariés périurbains quittent leur commune pour aller travailler contre 73% en moyenne nationale. La moyenne parcourue travaillée par un habitant périurbain d’Ile de France est de 29,9km. La moyenne du temps de transport est de 45 minutes. Il y a 10 ans, 14 930 communes périurbaines étaient recensées par l’INSEE. Leur taille moyenne était de…820 habitants. C’est cette France périurbaine qui, avec la France rurale, subit l’essentiel des difficultés sociales dans notre pays. C’est une France souvent de petits propriétaires endettés par l’achat de leur pavillon, c’est une France à la fois de la relégation sociale et de la mobilité imposée. Distances entre lieux de résidence, de travail, d’achalandage et éventuellement de loisirs ne cessent de s’allonger.

La vision commune de la société est le fruit d’une domination intellectuelle et sociale des élites hyper-urbaines concentrées dans ces villes-centres prescriptrices que Jacques Lévy définit comme la « ville-monde ». Ses valeurs sont différentes de celles de la France périphérique mais elles s’imposent à elle. La mobilité y est consentie et valorisante tandis que, dans les zones périurbaines et rurales, elle est subie. L’entre-soi permet ou favorise une reproduction sociale qui bénéficie déjà de la transmission du capital économique, social et culturel. On peut évidemment regarder de près la façon dont la ville a muté. L’apparition du phénomène de gentrification des anciens quartiers populaires a été popularisée par la figure du « bobo ». La ville concentre aujourd’hui bourgeoisie traditionnelle, bourgeois bohèmes et « intellectuels précaires » et… les exclus. A Paris, la proportion d’ouvriers et d’employés était, il y a 40 ans, de 65%. Elle est aujourd’hui de 35% !

C’est la France des villes-centres qui contribue aussi à définir la représentation médiatique de la réalité sociale française. On résume ainsi la question des « quartiers populaires » aux banlieues situées dans l’immédiate proximité des villes-centres. Pour l’imaginaire centre-urbain, le peuple s’est réincarné dans l’habitant des banlieues ou dans l’exclu, non dans l’ouvrier ou l’employé périurbain et rural. Le vocabulaire ne trompe pas : on parle de « quartiers populaires » non pour parler des zones périurbaines mais pour parler exclusivement des cités d’habitat social aux marges immédiates des villes-centres. Soulignons par exemple que « le jeune » ne peut plus être que « de banlieue » or on néglige qu’un tiers de la jeunesse française est rurale. Cette jeunesse a ses problèmes, subit des formes de violence, et est la première victime de cette première cause de mort chez les jeunes et qui est une mort violente : les accidents de la route . Les processus sociaux qui l’expliquent laissent, quand ils sont objectivés, tout de même planer un doute : et si ces attitudes suicidaires nous révélaient plus sur notre propre société que bien des sifflets dans des stades ou des voitures brûlées ?

On le voit, à la question de la place que l’on occupe dans le procès de production s’ajoute une dimension spatiale évidente. On le sait depuis les années 80 et certains travaux sociologiques nord-américains qui l’on pointé : la dimension géographique influe sur la psychologie collective et, nous le verrons, sur le vote. Le développement des suburbs américains a été le moteur de la droitisation des Etats-Unis et de la victoire de Reagan en 1980. De la même façon, la France périphérique vit une mobilité imposée qui fait voler en éclats le capital d’autochtonie et en même temps une part du lien social. Cette réalité semble parfois ignorée, elle est pourtant déterminante. C’est là que se concentre à la fois l’angoisse économique, l’angoisse sociale et que les citoyens ressentent le plus durement une crise du lien social. Il nous faut donc nous pencher sur les conséquences électorales pour voir si l’on peut établir une corrélation entre cette nouvelle géographie sociale et la géographie électorale française.

Les classes sociales et le vote : le poids de la France périphérique

Avant tout, rappelons qu’en 2002, le candidat du PS a obtenu 11% des voix des ouvriers et 13% des voix des employés. En 2007, la candidate du PS perd parce que la France périurbaine et la France périphérique industrielle ont préféré voter pour le candidat Sarkozy. Le PCF avait, quant à lui, obtenu 1% des voix ouvrières en 2002.

En 2005, la carte des résultats du référendum sur le TCE laisse apparaître deux France qui recoupent parfaitement la nouvelle géographie sociale française. Les études le mettent en évidence : le vote au référendum est d’abord une question de rapport à la mondialisation. Evidemment, on peut émettre l’hypothèse d’un « vote de classe » mais il faut encore ajouter une dimension spatiale aux déterminants du vote. Les plus fortes hausses du « oui » en 1992 et 2005 se situent à Neuilly-sur-Seine, Paris 16ème, Paris 7ème. Lorsqu’une commune comporte en son sein moins de 25% d’ouvriers, elle vote à environ 46% pour le « non ». Lorsqu’elle compte entre 50 et 55% d’ouvriers, elle vote à 63% « non ». Si la commune comporte moins de 500 habitants, elle vote à près de 60% pour le « non ». Si elle comporte entre 501 et 1000 habitants, elle vote à près de 58,77% pour le « non ». Seules les communes de plus de 100 000 donnent le « oui » majoritaire avec 44,05%. Il faut rappeler que les communes périurbaines sont celles qui accueillent ouvriers et employés de manière croissante et qui sont, en moyenne, des communes de moins de 900 habitants. Les ouvriers ont voté, selon les études, entre 70% et 80% pour le « non ». Les employés, entre 60% et 70%. La France qui gagne entre 1000 et 2000 € a voté à 65% « non », celle qui gagne plus de 3000 € a voté à 37% « non ».

A la lumière de ces résultats qui dessinent une France périphérique, d’ouvriers et d’employés, très favorable au « non », on peut émettre l’affirmation que l’espace est politique et qu’il détermine actuellement l’imaginaire autant que les votes. Le « non » est majoritaire parce qu’il est majoritaire de manière écrasante dans cette France majoritaire. Il ne s’agit pas d’émettre un jugement normatif sur le scrutin de 2005. Il s’agit simplement de voir comment il traduit de manière objective sur une question, une géographie sociale.

Que s’est-il passé alors en 2007 ? On le sait, à l’origine, le discours de Nicolas Sarkozy fait de néolibéralisme et néoconservatisme, de dénigrement de l’Etat, du service public et de notre système social ainsi que d’un pro-américanisme et de velléités d’intervention en Irak ne permettait pas à l’UMP de gagner. Il a permis de souder une droite radicalisée. Mais c’est le deuxième Sarkozy, celui inventé par Henri Guaino, celui qui parle dans les usines et pas celui qui rie dans les friches industrielles, qui a remporté l’élection. Il faut savoir se défaire d’un certain manichéisme électoral qui ferait de l’adversaire un diable. A bien des égards, le confort intellectuel a substitué l’antisarkozysme à l’antilepénisme. Chassons les discours moralisateurs et regardons cet électorat qui a quitté Jean-Marie Le Pen pour Nicolas Sarkozy : on a en effet beaucoup parlé de l’électorat sarko-lepéniste. C’est un électorat plus répartiteur, plus égalitaire que l’électorat UMP classique et…plus jeune et plus masculin. Pour preuve, l’électorat UMP a une opinion plus négative du mot « privatisation » en 2007 qu’en 2002.

Mais c’est, une fois de plus, la dimension géographique qui détermine les ressorts du succès de Nicolas Sarkozy. Là où la candidature socialiste marque le pas, c’est essentiellement dans les zones périurbaines au premier tour et dans la France industrielle du Nord-est au second. Le sud-est et le rivage languedocien basculant dans l’escarcelle UMP par le jeu des transferts FN-UMP. Nicolas Sarkozy réussit à s’emparer du vote des employés et des ouvriers. S’il fait la différence avec le PS c’est essentiellement parce qu’il séduire un électorat populaire féminin. Au premier tour, les ouvrières votent Sarkozy à environ 32% contre 24% pour Ségolène Royal. La France qui donne sa préférence aux candidats contestataires préfère également parmi les grands candidats… Nicolas Sarkozy.

Les banlieues proches des villes-centres ont voté très massivement pour la candidate du Parti Socialiste. Les zones périurbaines ont voté majoritairement Nicolas Sarkozy. Cela pose un problème stratégique qui découle d’une évidence : la classe sociale n’est pas le seul déterminant du vote. Un jeune ouvrier de Montreuil et un jeune ouvrier de La Clayette (Saône-et-Loire) ne votent pas pour le même candidat. Il y a un important déterminant spatial qui est aussi corrélé à des difficultés propres à l’espace périurbain et rural. Il y a aussi le fruit de représentations inversées de l’autre France, celle des banlieues.


Conclusion

Que peut faire la gauche ? D’abord, elle doit cesser de penser en fonction de l’opinion de la sociologie minoritaire des villes-centres. C’est une sociologie dont est issue, nous le savons, l’essentiel de l’encadrement politique du pays, au PS comme dans la « gauche de la gauche ».

La dimension spatiale, la précarisation croissante des ouvriers et des employés, la situation de l’espace périurbain et rural implique de redéfinir un message. Cela suppose d’élargir le débat : il y a en France des discriminations spatiales indifférentes à la couleur de peau mais qui sont le fruit des inégalités territoriales, scolaires entre autres, qui frappent notre pays.

Renouer avec le peuple, penser les mutations des classes sociales, penser leurs priorités, ce n’est pas céder à la démagogie. Je soulignerai que ce que la dernière note de la Fondation Jean-Jaurès nous révèle à propos des préférences sociétales des ouvriers nous permet de rompre avec une certaine « prolophobie ». Les ouvriers ne sont pas plus racistes ou homophobes que la moyenne des Français.

Penser une coalition sociale majoritaire, ce n’est pas penser un catalogue de bonnes intentions visant des catégories de populations. L’aspiration majoritaire de nos concitoyens relève de l’exigence d’égalité et c’est à cet aune qu’ils jugeront les candidats de gauche en 2012.

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Des classes sans lutte ? par Jean-Pierre Garnier

Dans la même revue, une critique de notre livre "Recherche le peuple désespérément".

Longtemps, la lutte des classes a été au centre de la vision et de la pratique de l'histoire des socialistes », affirment d'emblée Gaël Brustier et J.-Ph. Huelin. Rappelons quand même qu'elle est originellement au fondement de la conception matérialiste de l'histoire, et du « mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses », c'est-à-dire du communisme tel que l'avait défini Marx. Et que les socialistes ou autoproclamés tels se sont empressés de l'oublier, dans la théorie comme dans la pratique, avant même d'accéder aux responsabilités gouvernementales. En Allemagne, notamment, où la collaboration de classes permettra d'écraser le soulèvement spartakiste. Le nom de Friedrich, Ebert, leader d'un S.P.D. déjà « recentré », devenu chef du gouvernement allemand de l'après-« Grande Guerre », n'est sans doute pas inconnu de G. Brustier et Jean-Philippe Huelin, pas plus que celui de son compère Gustav Noske, grand ordonnateur de l'assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, qui avait assumé son exploit par une déclaration passée à la postérité : « II faut que quelqu'un fasse le chien sanglant :je n'ai pas peur des responsabilités. »

« Schématiquement, poursuivent G. Brustier et J.-Ph. Huelin, on distinguait à l'origine : bourgeoisie, prolétariat et propriétaires terriens. » Une distinction en effet assez schématique. Car, outre l'aristocratie terrienne, la bourgeoisie - elle-même décomposée en bourgeoisie financière, industrielle et commerçante - et le prolétariat, Marx, encore lui, distinguait aussi la paysannerie, la petite bourgeoisie et le lumpenprolétariat. Ce qui implique, pour ce qui est de l'analyse des sociétés contemporaines, que l'on tienne compte d'un « troisième larron de l'Histoire », entre bourgeoisie (privée ou bureaucratique) et prolétariat (ouvrier ou employé), dont la fonction est capitale - si l'on ose dire - dans la reproduction des rapports de production capitalistes. Le sociologue Pierre Bourdieu l'appelait la« nouvelle petite bourgeoisie» , bien pourvue en capital scolaire, d'autres, tel son confrère Alain Bihr, la « classe de l'encadrement capitaliste », d'autres encore,telle sa consœur Catherine Bidou, la « classe de services », et moi-même la «petite bourgeoisie intellectuelle ». Classe intermédiaire, médiane ou moyenne, elle est préposée dans la division capitaliste du travail entre dirigeants et exécutants aux tâches de médiation (conception, organisation, contrôle et inculcation).

De fait, il ne s'agit pas tant de « redonner sens à la notion de classe sociale en France », ainsi que l'avancent les auteurs de l'article, que de l'actualiser et de l'approfondir en tenant compte, d'une part, de la recomposition de la structure de classes des sociétés à l'ère du capitalisme transnationnalisé, financiarisé, technologisé et flexibilisé, et, d'autre part, de sa dimension spatiale, trop négligée par la tradition marxiste. Comme l'avait déjà fort justement souligné G. Brustier et J.-Ph. Huelin dans un ouvrage revigorant cette dimension ne peut plus être ignorée, même s'il est permis de manifester quelques réserves quant à son caractère « déterminant ». Sauf, bien entendu, en matière de géographie électorale. Ce qui impliquerait de considérer comme « déterminant » le suffrage universel lui-même pour l'évolution des rapports de classes. Un point de vue que l'on n'est pas obligé de partager.

Cela dit, comme dans le livre qu'ils ont co-écrit, les auteurs mettent à mal une série de lieux communs qui sont autant de contre-vérités, assez répandus dans les médias et même dans les sciences sociales. Ils dérivent d'un postulat : la disparition de la classe ouvrière ou, plus largement et plus précisément à la fois, du prolétariat. Plus largement, d'abord, car celui-ci, comme le remarque G. Brustier et J.-Ph. Huelin après d'autres, comprend les employés subalternes, en augmentation constante, des bien nommés « services » - certains observateurs critiques parlent à leur propos de « néodomesticité ». Plus précisément, ensuite, dans la mesure où l'on ne peut plus parler de classe ouvrière. La conscience de classe qui en était constitutive par la lutte et dans la lutte, selon Marx et les théoriciens fidèles à sa pensée, s'est largement estompée, sans que, pour autant - on a tendance à l'oublier -, celle de l'exploitation ait diminué. Ce n'est pas pour rien que les « racailleux de banlieue » désignent comme « boulot d'esclave » l'emploi précaire et mal rétribué auquel la plupart sont voués !

À l'exploitation, plus évidente que jamais, même si elle s'opère ici et là selon de nouvelles modalités, s'ajoute la relégation résidentielle dont les deux auteurs montrent bien les implications délétères pour ceux qui la subissent. Il aurait pu, néanmoins, se dispenser de reprendre à son compte la notion pseudo-scientifique d'« exclus », mise sur orbite idéologique par la sociologie d'inspiration tourainienne, sans préciser, de surcroît, le type d'individus qu'il range sous cette rubrique, sauf pour signaler qu'ils vivent dans certains quartiers centraux des villes. Il faudrait quelques paragraphes pour déconstruire cette appellation non contrôlée, sinon par les chantres du social-libéralisme . Contentons-nous de signaler que si les laissés-pour-compte de la globalisation étaient véritablement « exclus » de la société, ils ne poseraient aucun problème à ceux qui ont en charge de la « gérer ».

Suite dans Utopie Critique N° 51

Membre au comité de rédaction de notre revue, Jean-Pierre Garnier est urbaniste, sociologue au C.N.R.S., auteur en particulier de Le nouvel ordre local, gouverner la violence, (L'Harmattan, mai 1999) et Des Barbares dans la cité, de la tyrannie du marché à la violence urbaine (Flammarion, 1996.).

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dimanche 2 mai 2010

Des milieux populaires entre déception et défection, Eric Dupin, Le Monde diplomatique, avril 2010

La crise économique et financière actuelle aura peut-être pour vertu de ramener les milieux populaires sur le devant de la scène politique et intellectuelle. Massivement abstentionnistes, caricaturés comme des «beaufs», ils ne semblaient plus intéresser personne, alors même qu’ils représentent plus de la moitié de la population française…

On aurait pu imaginer un heureux effet de dévoilement : avec la crise, la nocivité du système économique en vigueur apparaît désormais en pleine lumière. Difficile de faire croire que l’immigré ou le délinquant sont à l’origine de la récession et de son cortège de drames sociaux. Pourtant, ses véritables responsables ne sont guère mis en cause. "Tout en haut, il y a la sphère financière, celle des traders et des grosses entreprises, mais tout cela est assez abstrait, on ne va pas manifester contre les sphères d’en haut", explique le sociologue Alain Mergier (1). Une seconde sphère serait constituée des "gens de tous les jours", dans leur diversité. Et une troisième regrouperait les damnés de l’ "enfer" de l’exclusion et de la pauvreté. Or cette dernière présente un visage autrement plus concret que celui des puissants de ce monde. D’où la persistance des réactions de peur, voire d’hostilité, envers les plus démunis (2).

« Prolophobie » des élites françaises

Ancienne membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT), Mme Maryse Dumas observe : "La sensibilité aux inégalités qui séparent chacun de son voisin a progressé au détriment de l’ancienne solidarité entre ceux qui n’avaient que leur travail pour vivre". Ajoutant : "On éprouve sans cesse plus de difficultés à créer du commun", elle s’inquiète de la situation des salariés qui luttent le dos au mur dans les entreprises menacées de fermeture. Ils ne se battent parfois même plus pour garder leur emploi, mais seulement pour arracher des indemnités de départ décentes. Un désespoir qui peut se traduire par de radicales «fuites en avant».

Après avoir parcouru l’Hexagone à la rencontre des salariés, M. Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), observe lui aussi que "les gens sont plutôt amers et désabusés ; ils ont le sentiment d’être grugés, même si les expressions de révolte ne sont pas très nombreuses». Il a perçu une "indignation rentrée" mêlée à une grande perplexité face à ce "système qui est fou, qui n’a pas de sens". Le dirigeant cédétiste regrette la grande difficulté à fédérer les actions syndicales.

"Les milieux populaires et la partie basse des classes moyennes n'ont guère les moyens de faire face à la précarisation des rapports sociaux", constate Mergier. certaines modifications du droit du travail, comme l'instauration du revenu de solidarité (RSA), ont aussi pour effet d' "institionnaliser la coupure entre la partie précaire du salariat, où les milieux populaires sont surreprésentés, et ce qu'il y a au-dessus". Une insécurité génératrices de réflexes individualistes.

Qu'entend-on au juste par "classes populaires"? La question n'est pas étrangère à leurs difficultés à se considérer comme telles. Statistiquement, les choses pourraient sembler limpides. On regroupe dans cette catégorie le "salariat d'exécution" composé des ouvriers (23,2% de la population active au recensement de l'Institut national de la statistique et des études économique (Insee) de 2006) et des employés (28,6%). Ainsi définies, les classes populaires demeurent majoritaires en France et représentent 51,8% de ceux qui travaillent.

Cet agrégat n'est pas purement formel. Le sociologue Olivier Schwartz définit les catégories populaires à partir de trois critères : petitesse du statut social et professionnel, étroitesse des ressources économiques et enfin éloignement par rapport au capital culturel (3).

Pourtant les réalités vécues fragmentent ces catégories statistiques. la relation à l'emploi, à temps plein ou partiel, précaire ou non, introduit déjà de singulières différences. Les qualifications paraissent de plus en plus variées au sein des couches populaires. Les ouvriers non qualifiés souffrent prioritairement de ce que le sociologue Serge Paugam nomme une "intégration disqualifiante", alliant insatisfaction dans le travail et instabilité de l'emploi (4). Prise dans des secteurs en déclin particulièrement menacés par la mondialisation, une fraction de l'ancienne classe ouvrière vit douloureusement l' "image de la décadence" qui lui est renvoyée. Dans ces milieux, observe Paugam, "l'intériorisation d'une identité négative est très forte".

D'une tout autre manière, l'habitat segmente les couches populaires. Il n'est pas indifférent d'habiter un HLM des centres-villes ou bien une cité de banlieue, un pavillon de la proche périphérie d'une métropole ou bien une zone rurale plus reculée. Les géographes Christophe Guilluy et Christophe Noyé ont mis en lumière la "migration des couches populaires vers les grandes périphéries urbaines et rurales", un "choix contraint" qui n'est pas guidé par un désir d'accession à la propriété (5). C'est plutôt la pénurie des logements sociaux en ville et les redoutables logiques foncières qui expliquent ce nouvel "exode urbain", facteur de relégation spatiale des plus modestes.

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin insistent, à juste titre, sur l'invisibilité et la méconnaissance produites par cet éloignement du nouveau prolétariat : "Un étrange cocktail fait de stigmatisation et de bien-pensance renvoie invariablement ces espaces aux clichés les plus éculés : arriration, racisme, alcollisme, rejet de la modernité, conservatisme et conformisme. Il y a derrière ces clichés une forme de prolophobie d'une partie des élites françaises (6)".

L'éclatement spatial des couches populaires renvoie à des dynamiques sociales : une "France pavillonnaire" s'étend en opposition aux "cités" dans un effort de promotion sociale parfois désespéré. On aurait tord de caricaturer trop rapidement cette population de "petits-moyens" en "petits-Blancs" allergiques à l'altérité. Car des familles d'origine immigrée s'installent également en pavillon après avoir fui des grands ensemble qui concentrent de plsu en plus de précarité et, pour certains d'entre eux, de populations étrangères (7). "En accédant à la propriété individuelle ou en accordant une grande importance à l'éducation scolaire de leurs enfants, les "petits- moyens" expriment avant tout le souhait de vivre comme tout le monde (8)." S'ils ne se prennent en aucun cas pour des "bourgeois", ils ont une vive conscience de ce qui les oppose au bas de l'échelle sociale.

On retrouve ici la "conscience triangulaire" évoquée par Schwartz : "C'est l'idée qu'il y a le haut, le bas et nous, coincés entre les deux. Le haut, ce sont les dirigeants, les gouvernants, les puissants. Le bas, ce sont les familles pauvres qui profitent de l'assistance, les immigrés qui ne veulent pas s'intégrer, les jeunes qui font partie de la racaille (9)." Schwartz a étudié les attitudes des conducteurs de bus de la TATP. Leur emploi protégé et leurs salaires les rapprochent des professions intermédiaires, alors que leur niveau d'éducation est celui des couches populaires. "Ils se sentent piégés par le haut et le bas, mais avec un rejet très fort du bas de l'échelle sociale." Il est vrai que ce bas monte plus fréquemment dans leurs bus que le haut...

La représentation dominante d'un univers composé d'une multitude de strates hiérarchisées aiguise l'obsession du "déclassement". Camille Peugny a observé le phénomène de mobilité "descendante" qui concernerait aujourd'hui 25% de la tranche d'âge des 35-39 ans, contre 18% il y a vingt ans : "Beaucoup de jeunes vivent moins bien que leurs parents, ils n'ont plus les moyens de se conformer au modèle de consommation dominant", explique-t-il évoquant une "génération sacrifiée" qui n'a "jamais été aussi diplômée et qui ne s'est jamais aussi mal intégrée dans le monde du travail" (10). Le déclassement peut être ici aussi bien un décrochage d'avec la position sociale des parents qu'un écart par rapport à ce que son propre niveau d'éducation aurait pu laisser espérer.

Tous les chercheurs ne partagent pas ce diagnostic. "Le succès du thème des classes moyennes à la dérive s'explique par l'angoisse de certains milieux intellectuels, corrige la sociologue Stéphanie Vermeersch. Cela concerne une petite minorité." Une étude du Centre d'analyse stratégique (11) relativise également le déclassement intergénérationnel. En 2003, les mobiles "ascendants" (39,4%) restaient près de deux fois plus nombreux que les mobiles "descendants" (21,9%) chez les personnes âgées de 30 à 59 ans.

Evitement plutôt qu'affrontement

Quel que soit son degré de réalité, l'impact du phénomène dans le débat public est symptomatique d'un rang à maintenir. Il semble bien que nos sociétés, tout en niant le conflit de classes, aient un sens de plus en plus aigu de la position de chacun. "Les différentes catégories sociales se mélangent de moins en moins", constate Mme Dumas, fille d'un chauffeur mécanicien et d'une femme de ménage devenue cadre aux PTT.

Les couches favorisées sont les premières à déployer une débordante énergie pour protéger leur entre-soi. "Les familles les plus riches et les plus diplômées n'ont jamais été aussi actives sur les marchés scolaires et résidentiel : elles n'int jamais fui avec autant de diligence la proximité des classes populaires", remarque l'économiste Eric Maurin . Le logement et l'école sont devenus les terrains d'un nouveau conflit de classes où l'évitement a remplacé l'affrontement. des logiques séparatistes dont les classes supérieures n'ont pas l'exclusivité tant elles se diffusent dans l'ensemble du corps social. "Les gens déménagent, c'est un acte plus fort que de voter Front national !", estime Guilluy, faisant allusion à ces familles qui quittent les cités de la Seine-Saint-Denis pour s'installer dans des pavillons en seine-et-Marne.

L'école est l'autre grand front de la distinction sociale. La hausse générale du niveau d'éducation a certes produit, selon l'expression de Schwartz, une "déségrégation" partielle des couches populaires. Mais la compétition scolaire n'a jamais été aussi vive. Vermeersch parle de "surinvestissement de l'école" par des parents anxieux. l'idée que tout se joue dans les années de formation initiale s'est renforcée à mesure que les entreprises abandonnaient leurs politiques de promotion interne. D'où la hantise de l'échec scolaire qui pousse certaines familles à adopter les stratégies éducatives qu'elles considèrent comme les plus payantes, au détriment de la mixité sociale.

Les choix en matière de logement et d'école s'influencent mutuellement pour réduire cette fameuse mixité, d'autant plus célébrée qu'elle est peu souhaitée. La suppression de la carte scolaire a encore aggravé ces logiques ségrégatives, comme le montrent le sociologue Franck Poupeau et le géographe Jean-Christophe François à partir d'une enquête en région parisienne (12).

"Le traumatisme des milieux populaires à l'égard de la gauche s'inscrit dans le long terme", tranche Guilluy. "Le parti socialiste est dirigé par des élites branchées sur la mondialisation, la globalisation financière, et donc coupées du petit salariat du secteur privé", renvoie en écho Brustier, par ailleurs militant socialiste (13) .

Avec l'élection présidentielle de 2007 a été mis en évidence un éclatement politique des couches populaires entre des cités mobilisées par un vote lié au rejet de M. Nicolas Sarkozy et des pavillons acquis au candidat de l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Une enquête approfondie dans un quartier pavillonnaire de Gonesse (Val d'Oise) (14) a montré la droitisation des "petits-moyens", même si des solidarités locales assurent toujours une présence de la gauche. Le quartier des Peupliers a accordé des scores importants au front national (FN) dans les années 1980 et 1990 avant de basculer nettement en faveur de M. Sarkozy lors de la dernière élection présidentielle.

Le sociologue Olivier Masclet souligne l'importance de l'enjeu scolaire dans cette droitisation : "La gauche est représentée par les profs, des enseignants considérés comme inaccessibles et qui ne s'iccupent que des meilleurs." La gauche, pour certains "petits moyens", c'est aussi les syndicats des transports publics accusés de faire grève... aussi souvent que les enseignants. Schwartz a toutefois rencontré des chauffeurs de bus qui ont "voté Sarko", même si beaucoup se refusent à l'avouer à un enquêteur.

"Ces catégories pourraient se reconnaître dans une gauche d'ordre", estime néanmoins Masclet. Aux municipales de 2008, le quartier des Peupliers a voté en faveur d'un maire socialiste aux options "sécuritaires". la déception provoquée par la politique de M. Sarkozy, qui vient de se traduire par la déroute de l'UMP aux dernières élections régionales, ne semble pas devoir se traduire par une réconciliation entre la gauche et les couches populaires. Le FN demeure en embuscade. Ses succès inattendus aux régionales montrent qu'il peut retrouver la fonction tribunitienne qui fut la sienne dans la période antérieure. Les électeurs lepénistes qui s'étaient reportés en 2007 sur le candidat de l'UMP, au nom du principe d'efficacité, ne peuvent que constater amèrement l'échec de leur calcul. En avivant les difficultés, la crise constitue toujours un terreau favorable à l'extrême droite, comme l'indiquent ses bons scores dans la France du Nord-Est, particulièrement touchée par la désindustrialisation.

Impasse des stratégies individualistes

Les urnes ont été boudées comme jamais, et cette grève du vote a été particulièrement suivie dans les quartiers populaires. On assiste à un "détachement de la sphère publique", selon l'expression de Guilluy. Vermeersch parle d'une tendance au "retrait" et Schwartz d'un "risque de marginalisation".

"La crise va renforcer le sentiment d'abandon et d'impuissance des classes populaires", ajoute ce dernier. la sociologue Annie Collovald rappelle toutefois à raison, que ces couches expriment toujours potentiellement de "fortes attentes de prises en charge des intérêts sociaux par les hommes politiques (15)". On peut aussi penser que l'impasse des stratégies de salut individualistes créera un jour les conditions d'un retour aux aspirations collectives.

En attendant, les classes populaires souffrent, comme le remarque Collovald, d'une "relative absence d'entreprises politiques cherchant à les représenter, à parler en leur nom, et ainsi à leur donner au moins symboliquement une unité et une homogénéité". Jamais la "classe en soi" n'a été aussi éloignée de la "classe pour soi".

Notes :

1. Coauteur, avec Philippe Guibert, du livre Le descendeur social. Enquête sur les milieux populaires. Plon, Paris, 2006. L'ensemble des citations sans référence sony issues d'entretiens avec l'auteur.

2. C. Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Fayard, Paris, 1999, et Gérard Mauger, "Les transformatios des classes populaires en France depuis trente ans", dans Jean Lojkine, Pierre Cours-Salies et Michel Vakaloulis ( sous la dir. de) Nouvelles luttes de classes, Presses universitaires de france, paris, 2006.

3. "Haut, bas, fragile : sociologies du populaire" entretien avec Annie Collovald et Olivier Schwartz, Vacarme, n°37, Paris, automne 2006.

4. Serge Paugam, "la condition ouvrière : de l'intégration laborieuse à l'intégration disqualifiante", Cités, n°35, Paris, 2008.

5. Christophe Guilluy et Christophe Noyé, Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Autrement, Paris, 2006.

6. Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, Recherche le peuple désespérément, Bourin, Paris, 2009.

7. Le sociologue Edmond Ptéteceille montre toutefois que la grande majorité des immigrés et de leurs enfants résident dans des quartiers où ils sont minoritaires. Cf. "La ségrégation ethno-raciale a-t-elle augmenté das la m&tropole parisienne ?", Revue française de sociologie, vol 50, Paris, 2009/3.

8. Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yasmine Siblot, La France des "petits-moyens". Enquête sur la banlieue pavillonnaire, la Découverte, Paris, 2008.

9. "Haut, bas, fragile...", op.cit

10. Camille Peugny, Le déclassement, Grasset, Paris, 2009

11. Marine Boisson, Catherine Collombet, Julien Damon, Bertille Delaveau, Jérôme Tournadre et benoît Verrier, "La mesure du déclassement, Informer et agir sur les nouvelles réalités sociales", Centre d'abalyse stratégique, paris, Juillet 2009.

12. Franck Poupeau et Jean-Christophe François, Le sens du placement, Ségrégation résidentielle et ségrégation scolaire, Raisons d'agir, paris, 2008.

13. "Le PS a gardé ses lunettes des années 1970" Le parisien, 28 août 2009.

14. La France des "petits moyens"..., op. cit

15. "Haut, bas, fragile...", op. cit.

http://www.monde-diplomatique.fr/2010/04/DUPIN/19030