Un ancien Premier ministre socialiste avait parlé de « deux France » pour décrire notre pays. A la vérité, aujourd'hui, il y en aurait plutôt trois :
- Celle des centres urbains, qui sont les lieux les plus en prise avec le modèle néolibéral et concentrent les populations qui en sont les principales gagnantes ;
- Celle des banlieues, qui accueille ce que l'on pourrait définir comme un prolétariat des services, précarisé lui aussi à l'extrême ;
- Et enfin une France presque invisible et pourtant majoritaire, celle des zones périurbaines et rurales rassemblant les populations précarisées dont l'emploi qualifié est le plus menacé par les règles de rentabilité financière (Gandrange, Sandouville etc.).
La gauche est forte dans les villes-centres « gentrifiées » et dans les banlieues, tandis que la droite de M. Sarkozy fait son miel dans les zones périurbaines et rurales tout en drainant les voix des quartiers bourgeois de la droite ancestrale. Cette équation électorale rend la droite sociologiquement majoritaire et peut empêcher durablement la gauche d'accéder au pouvoir.
Evidemment, les victoires aux élections municipales et cantonales ont donné l'illusion d'une bonne résistance électorale de la gauche ; certains ont préféré attribuer les échecs de celle-ci à la « division » (2002) ou au prétendu mauvais choix de sa candidate (2007). Il n'en est rien.
En fixant toute son attention sur les villes-centres pour remporter des victoires symboliques (Paris, Lyon, Strasbourg etc.), la gauche s'est enfermée dans une alliance sociologique minoritaire à l'échelle du pays. Par chance, la droite ne dispose pas du réseau de cadres locaux lui permettant de concurrencer le travail d'imprégnation du tissu des collectivités locales entrepris depuis les années 70 par le Parti socialiste.
Pour un temps au moins, le PS peut se stabiliser à la tête d'importantes collectivités territoriales sans pour autant être en mesure de concurrencer la droite aux élections nationales.
En somme, le tour de passe-passe de Nicolas Sarkozy a été, en 2007, de faire voter pour lui les ouvriers de l'Est industriel et les traders de la Défense, c'est-à-dire à la fois les victimes directes et les supplétifs de luxe de la mondialisation néolibérale. Il reste donc à la gauche à mieux comprendre l'articulation entre cette nouvelle géographie sociale française et la mondialisation néolibérale.
Ce n'est évidemment pas gagné… Mais une critique efficace et raisonnée du capitalisme financier pourrait être la base d'un front sociologique très large garant de succès à venir.
Le risque en effet est de voir le parti organique de la gauche -le PS- se cantonner à une critique de surface de la mondialisation néolibérale et de ne pas considérer la présente crise comme la crise du système capitaliste à redéfinir totalement. La question n'est pas de « moraliser » l'actuelle configuration du capitalisme mais de revenir sur le processus d'autonomisation des marchés financiers et sur leur capacité à dominer l'économie réelle.
A cette condition, la gauche peut devenir le porte-voix des Français qui ne vivent que de leur travail et orienter la social-démocratie internationale vers un autre destin que celui de spectateur dégagé de la course folle de la mondialisation financière.
Il reste aussi à régler le problème des rapports entre gauche radicale et social-démocratie : il faut que la gauche radicale, dans le champ intellectuel comme dans le champ politique, soit capable de mener un dialogue de fond avec les sociaux-démocrates et cesse de « tirer sur le pianiste ».
Il lui appartient de savoir prendre en compte la nécessité de préserver au Nord et de bâtir au Sud les seuls instruments capables d'offrir un véritable débouché aux aspirations progressistes : les Etats.
A ces conditions, les forces de gauche peuvent mener les combats culturels et électoraux victorieux que le contexte international et les intérêts de notre pays imposent.
Source: http://www.rue89.com/2008/10/27/existe-t-il-un-risque-de-marginalisation-de-la-gauche
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