Qui n’a pas un jour détesté les néoconservateurs étasuniens ? Parce que la guerre d’Irak. Parce que George W. Bush. Et pourtant que savions-nous vraiment de ce courant politique avant le livre de Justin Vaïsse ? Finalement assez peu de choses sinon des stéréotypes et des raccourcis. Et si le néoconservatisme valait mieux que les néoconservateurs que nous avons appris à maudire ?
Né aux Etats-Unis dans les années 1960, à gauche de l’échiquier politique, le néoconservatisme d’alors a peu de choses à voir avec Richard Perle ou Paul Wolfowitz et pourtant Justin Vaïsse s’attelle à montrer la filiation intellectuelle que l’on peut établir entre les uns et les autres. Pas d’explication essentialiste mais une lente et méticuleuse étude d’un mouvement ancré dans l’histoire nationale des Etats-Unis, qui se transforme sous le pression des événements, des contraintes sociales et économiques. En bon pédagogue, l’auteur scande cette histoire en trois moments, qui sont en réalité trois refus, trois révoltes par rapport à l’évolution de la gauche étasunienne.
Les premiers néo-cons sont partisans des présidents démocrates Roosevelt et Truman, favorables au New Deal et donc à l’interventionnisme étatique dans l’économie. Leur adage pourrait être le suivant : progrès social à l’intérieur et anticommunisme à l’extérieur ; le progrès social servant à se prémunir de la montée du communisme. Dans la deuxième partie des années 1960, des intellectuels, appelés néoconservateurs, se mobilisent à l’intérieur de la gauche pour lutter contre ce qu’ils qualifient de « dérives » : la mise en place de discrimination positive qui bafoue l’idéal d’égalité, la politique des quotas ethniques, du busing, des programmes sociaux aux effets pervers, bref il refuse l’orientation « gauchiste » prise par la gauche libérale et entérinée par le Parti Démocrate.
Le deuxième âge du néoconservatisme est plus politique que le premier. Il s’organise à l’intérieur du Parti Démocrate pour faire peser des idées devenues minoritaires. A ce titre la désignation de George McGovern comme candidat démocrate pour l’élection présidentielle de 1972 est un tournant, elle oblige les néoconservateurs à fonder la Coalition for a Democratic Majority. Cette structure interne milite pour un retour à la tradition contre la New Politics des mcgovernistes. Ces nouveaux néo-cons sont aussi plus sensibles aux questions de politiques étrangères qui intéressaient peu les premiers. Contre la détente avec l’URSS, contre l’isolationnisme et le dénigrement permanent dont sont victimes les Etats-Unis après la guerre du Vietnam, les néo-cons militent pour un endiguement toujours aussi musclé, ils invitent à Washington les dissidents soviétiques et prennent la défense des démocraties (comme Israël au Proche Orient) contre toutes les dictatures. Les faucons sont démocrates et la création en 1976 du Committee on the Present Danger, autre avatar du néonconservatisme, fait du syndrome de Munich, le vrai danger de la politique extérieure des Etats-Unis. Ce comité est en fait pour les néo-cons le lieu de passage entre la gauche et la droite. Mis sur la touche par le président démocrate Carter, c’est en effet dans l’équipe de campagne du candidat républicain Reagan que l’on retrouve en 1980 les principales figures du néoconservatisme.
Avec la fin de la Guerre Froide, les néo-cons entrent dans un sommeil provisoire. Ils renaissent à la fin des années 1990 après avoir évacué de leur arsenal idéologique leur attachement à une politique publique sociale (leur porte-à-faux sur la politique intérieure à l’époque Reagan était patent). Les néoconservateurs du troisième âge n’ont jamais été à gauche et ainsi le néoconservatisme devient un courant de penser à l’intérieur de la droite conservatrice. Une obsession demeure : la politique étrangère doit reposer sur l’importance de la force militaire pour mener une croisade démocratique. Ce « wilsonisme botté » (Pierre Hassner) tourne au nationalisme et inspire grandement les débuts de la présidence Bush fils avec pour symbole la guerre contre le terrorisme et la guerre « préventive » irakienne.
Voilà pour le condensé de ce livre dont je recommande ardemment la lecture non seulement pour ceux qui veulent en connaître plus sur l’histoire politique récente des Etats-Unis mais aussi pour ceux qui veulent mieux comprendre un certain nombre de mécanismes politiques. Il y a pour la gauche française bon nombre de sujets à méditer. Retenons-en quelques uns :
1. Dans le néoconservatisme, l’idée est première. C’est un mouvement marginal à l’intérieur du Parti Démocrate puis du Parti Républicain mais le néoconservatisme pèse plus que la somme de ses représentants car les idées qu’ils défendent sont une véritable force qui leur donne une grande influence sur la vie politique. Pour le meilleur comme pour le pire, les néoconservateurs nous prouvent une fois de plus que les idées peuvent faire changer le monde.
2. Le néoconservatisme n’est pas un bloc. Il a des intuitions plutôt sympathiques dans certains de ses combats. En interne du Parti Démocrate, les néo-cons sont les premiers à s’opposer à ce qu’on pourrait appeler la dérive bobo de la gauche officielle. Les premiers, ils placent l’égalité avant les discriminations positives, le statut social avant le statut racial. En défendant les cols bleus et les syndicats, les néo-cons de deuxième génération entendent défendre une réalité sociologique oubliée par la Nouvelle Gauche née au cours des années 60. La révolution conservatrice reaganienne aurait-elle pu être aussi radicale si la gauche n’avait pas auparavant oublié le peuple ?
3. Les idées n’existent pas sans support de diffusion. D’abord né dans des revues (The Public Interest et Commentary), le néoconservatisme étend son influence grâce à des organisations comme la Coalition for a Democratic Majority et le Committee on the Present Danger, des journaux (Weekly Standard, New Republic) et des centres de recherches ou « thinks tanks » (American Entreprise Institute, Project for a New American Century…). Ils apparaissent comme des « maniaques » de l’organisation. Ils avaient une longueur d’avance à l’ère de la communication politique.
Jean-Philippe HUELIN
Né aux Etats-Unis dans les années 1960, à gauche de l’échiquier politique, le néoconservatisme d’alors a peu de choses à voir avec Richard Perle ou Paul Wolfowitz et pourtant Justin Vaïsse s’attelle à montrer la filiation intellectuelle que l’on peut établir entre les uns et les autres. Pas d’explication essentialiste mais une lente et méticuleuse étude d’un mouvement ancré dans l’histoire nationale des Etats-Unis, qui se transforme sous le pression des événements, des contraintes sociales et économiques. En bon pédagogue, l’auteur scande cette histoire en trois moments, qui sont en réalité trois refus, trois révoltes par rapport à l’évolution de la gauche étasunienne.
Les premiers néo-cons sont partisans des présidents démocrates Roosevelt et Truman, favorables au New Deal et donc à l’interventionnisme étatique dans l’économie. Leur adage pourrait être le suivant : progrès social à l’intérieur et anticommunisme à l’extérieur ; le progrès social servant à se prémunir de la montée du communisme. Dans la deuxième partie des années 1960, des intellectuels, appelés néoconservateurs, se mobilisent à l’intérieur de la gauche pour lutter contre ce qu’ils qualifient de « dérives » : la mise en place de discrimination positive qui bafoue l’idéal d’égalité, la politique des quotas ethniques, du busing, des programmes sociaux aux effets pervers, bref il refuse l’orientation « gauchiste » prise par la gauche libérale et entérinée par le Parti Démocrate.
Le deuxième âge du néoconservatisme est plus politique que le premier. Il s’organise à l’intérieur du Parti Démocrate pour faire peser des idées devenues minoritaires. A ce titre la désignation de George McGovern comme candidat démocrate pour l’élection présidentielle de 1972 est un tournant, elle oblige les néoconservateurs à fonder la Coalition for a Democratic Majority. Cette structure interne milite pour un retour à la tradition contre la New Politics des mcgovernistes. Ces nouveaux néo-cons sont aussi plus sensibles aux questions de politiques étrangères qui intéressaient peu les premiers. Contre la détente avec l’URSS, contre l’isolationnisme et le dénigrement permanent dont sont victimes les Etats-Unis après la guerre du Vietnam, les néo-cons militent pour un endiguement toujours aussi musclé, ils invitent à Washington les dissidents soviétiques et prennent la défense des démocraties (comme Israël au Proche Orient) contre toutes les dictatures. Les faucons sont démocrates et la création en 1976 du Committee on the Present Danger, autre avatar du néonconservatisme, fait du syndrome de Munich, le vrai danger de la politique extérieure des Etats-Unis. Ce comité est en fait pour les néo-cons le lieu de passage entre la gauche et la droite. Mis sur la touche par le président démocrate Carter, c’est en effet dans l’équipe de campagne du candidat républicain Reagan que l’on retrouve en 1980 les principales figures du néoconservatisme.
Avec la fin de la Guerre Froide, les néo-cons entrent dans un sommeil provisoire. Ils renaissent à la fin des années 1990 après avoir évacué de leur arsenal idéologique leur attachement à une politique publique sociale (leur porte-à-faux sur la politique intérieure à l’époque Reagan était patent). Les néoconservateurs du troisième âge n’ont jamais été à gauche et ainsi le néoconservatisme devient un courant de penser à l’intérieur de la droite conservatrice. Une obsession demeure : la politique étrangère doit reposer sur l’importance de la force militaire pour mener une croisade démocratique. Ce « wilsonisme botté » (Pierre Hassner) tourne au nationalisme et inspire grandement les débuts de la présidence Bush fils avec pour symbole la guerre contre le terrorisme et la guerre « préventive » irakienne.
Voilà pour le condensé de ce livre dont je recommande ardemment la lecture non seulement pour ceux qui veulent en connaître plus sur l’histoire politique récente des Etats-Unis mais aussi pour ceux qui veulent mieux comprendre un certain nombre de mécanismes politiques. Il y a pour la gauche française bon nombre de sujets à méditer. Retenons-en quelques uns :
1. Dans le néoconservatisme, l’idée est première. C’est un mouvement marginal à l’intérieur du Parti Démocrate puis du Parti Républicain mais le néoconservatisme pèse plus que la somme de ses représentants car les idées qu’ils défendent sont une véritable force qui leur donne une grande influence sur la vie politique. Pour le meilleur comme pour le pire, les néoconservateurs nous prouvent une fois de plus que les idées peuvent faire changer le monde.
2. Le néoconservatisme n’est pas un bloc. Il a des intuitions plutôt sympathiques dans certains de ses combats. En interne du Parti Démocrate, les néo-cons sont les premiers à s’opposer à ce qu’on pourrait appeler la dérive bobo de la gauche officielle. Les premiers, ils placent l’égalité avant les discriminations positives, le statut social avant le statut racial. En défendant les cols bleus et les syndicats, les néo-cons de deuxième génération entendent défendre une réalité sociologique oubliée par la Nouvelle Gauche née au cours des années 60. La révolution conservatrice reaganienne aurait-elle pu être aussi radicale si la gauche n’avait pas auparavant oublié le peuple ?
3. Les idées n’existent pas sans support de diffusion. D’abord né dans des revues (The Public Interest et Commentary), le néoconservatisme étend son influence grâce à des organisations comme la Coalition for a Democratic Majority et le Committee on the Present Danger, des journaux (Weekly Standard, New Republic) et des centres de recherches ou « thinks tanks » (American Entreprise Institute, Project for a New American Century…). Ils apparaissent comme des « maniaques » de l’organisation. Ils avaient une longueur d’avance à l’ère de la communication politique.
Jean-Philippe HUELIN
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