mercredi 17 mars 2010

Gaël Brustier analyse le premier tour des régionales

Gaël Brustier analyse les ruptures apparues entre les élites et le peuple depuis une trentaine d'années. Pour Marianne2, il analyse les résultats des régionales.

Première partie: l'abstention.


Docteur en sciences politiques, Gaël Brustier est l'auteur avec Jean-Philippe Huelin du livre Recherche le peuple désespérément chez Bourin éditeur. Il analyse les ruptures apparues entre les élites et le peuple depuis une trentaine d'années. Il relativise le succès de la gauche et l'installation d'Europe écologie comme troisième force politique du pays, interroge l'état de la gauche de gauche. Prudent sur la fin du mirage sarkozyste, il envisage tout de même la possibilité d'une alternance de gauche à Sarkozy, sans véritable alternative politique...

Marianne2: Quelle analyse faîtes-vous de ce premier tour notamment du point de vue des catégories populaires ?

Gaël Brustier: L’impression qui domine c’est que l’électorat populaire de droite a déserté les urnes mais en déduire que la gauche a récupéré cet électorat, ce serait aller vite en besogne. Il y a une forte démobilisation. La gauche n’a pas mordu sur l’électorat de Sarkozy. Elle peut se retrouver le bec dans l’eau dans deux ans. Maintenant c’est un fait que l’UMP, plus que Sarkozy d’ailleurs, a perdu son électorat populaire. Quand on regarde les taux de participation en Ile de France, on constate que les quatre candidates UMP, ces femmes bourgeoises, que l’on voyait partout en photo dans la presse, qui faisaient la campagne n’ont suscité aucune adhésion.

Quel sens donnez-vous à cette abstention, Mélenchon évoque « l’expression d’une insurrection civique », d’autres parlent d’une indifférence à la politique ?

Il y a toute une France qui a du mal à maintenir le nez hors de l’eau. Les CCAS (Centre communal d'action sociale) sont submergés. Quand vous êtes au RMI et qu’on vous demande de voter pour faire élire quelqu’un qui va toucher 2500 euros d’indemnités.... Souvent déjà des barons locaux.... Il faut être motivé. Pour autant, les catégories populaires ne sont pas dépolitisées. C’est une abstention volontariste. Mélenchon n’a pas tort, il y a forte une demande de politique pour répondre à cette angoisse de la fin du mois et de fin du monde. Mais il ne souffle pas le vent de l’histoire sur les régionales.

http://www.marianne2.fr/G-Brustier-1-il-s-agit-d-une-abstention-volontariste!_a189818.html


Deuxième partie : l'état de la gauche

Dans le détail, dans quel état est la gauche ?

Gaël Brustier: Le PS n'a pas gagné cette élection. Il ne parvient pas à reconquérir l'électorat populaire. Quand on regarde les taux de participation aux marges de Paris, c'est très faible. Ségolène Royal y est un peu parvenue dans sa région. C'est pourtant cette catégorie de population qui fera la décision en 2012.
Le NPA a chuté sur l’histoire du voile. Il y a eu une démobilisation massive. Le Front de gauche fait un bon score nationalement, mais les espaces périurbains n’adhèrent pas à ce discours de la gauche de gauche. Ils font 6,4% dans le 3è arrondissement et 5,7% dans le Val d’Oise…
On parle beaucoup du score d’Europe écologie, intronisé troisième force politique du pays. Il ne représente que 6% des électeurs. C’est un électorat très friable et très « ville-centre ».
Il y a toute une France que les intellectuels de système ne veulent pas voir. La gauche ne parvient pas à leur parler. Du côté du PS, Ségolène Royal y est un peu parvenu.

Vous soulignez la déconnexion de la gauche et du peuple. Y-a-t-il une prise de conscience à gauche de cette déconnexion ?

Il y a un début de prise conscience transversale. Chez les proches de Royal et d’Aubry, au PC, même chez Europe Ecologie avec quelqu’un comme Stéphane Gatignon. Mais, ils n’ont pas réussi à faire faire à Duflot la campagne qu’elle aurait dû faire pour gagner. L’idée d’un tarif unique du pass Navigo était excellente. Mais très vite, ils retombent dans leurs travers bobos-urbains sur le thème : « il faut pas désespérer Montorgueuil ».
Pour revenir au PS, c’est un parti qui est encore beaucoup trop connecté à la sociologie de la nouvelle synthèse socialiste. Ceux qui résistent sont ceux qui « pensent savoir ». Par exemple Delanoë a une vraie difficulté à appréhender la France périphérique.
La seule question que doit se poser ce parti, c’est celle de l’égalité, c’est la seule thématique qui pourra rassembler à gauche 30 à 35% des inscrits. Tant que les partis de gouvernement s’appuieront sur des bases électorales de 10 à 15% des inscrits, ce pays sera ingouvernable.

http://www.marianne2.fr/Brustier-2-Europe-ecologie-ne-veut-pas-desesperer-Montorgueil_a189821.html?com#comments


Troisième partie: l'avenir de Sarkozy et de la gauche.

Est-ce que cette élection sonne la fin du mirage sarkozyste ?

Gaël Brustier: Je n’en suis pas sûr. Sarkozy n’est pas stupide. Personne ne s’opposera à lui à l’UMP. Il est bien entouré. Je ne parle pas du gouvernement mais de ses conseillers. Tant que Buisson et Guaino seront à la manœuvre, il peut retourner la situation. Ces deux là sont d'une astuce redoutable. Il y a une droitisation que la gauche ne veut pas voir et cet électorat sarko-lepéniste qui s’est éloigné de lui à l’occasion de ces régionales, il n’aura pas grand mal à le récupérer lors des présidentielles. Les régionales ne sont pas des élections très politiques. Contrairement à ce qu’il se dit, le débat sur l’identité nationale a été plus utile à la droite qu’on le prétend. La gauche est retombé dans ses vieux travers, les réflexes pavloviens des années 80, criant immédiatement à l’anti-racisme. Et aujourd’hui la ligne du PS ne permet pas la reconquête des électeurs d’en face.

Dans votre livre vous espériez une alternative avec l’émergence d’une coalition sociale majoritaire. Ça progresse ?

C’est difficile. Il y a un frémissement, le vieux monde ne veut pas mourir. Mais des éléments de l’ancien monde prennent conscience des choses. Est-ce que pour autant la gauche saura construire un programme, un projet, un discours d’ici à 2012 ? Je crois assez à l’hypothèse Prodi 2006. Une gauche sans véritable programme alternatif victorieuse sur le fil mais sous la pression culturelle permanente de la droite. D'où une véritable difficulté à gouverner dans la durée.

http://www.marianne2.fr/Brustier-3-en-2012,-nous-risquons-une-issue-a-la-Prodi_a189822.html?preaction=nl&id=5907737&idnl=25906&

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