samedi 28 août 2010

De l’armistice à l’unité de la gauche ?

« La guerre des gauches n’aura pas lieu ». C’est le titre de la note publiée par la fondation Jean-Jaurès sous la signature de François Miquet-Marty, président de l’institut de sondage Viavoice. L’analyse ne manque pas d’intérêts. Loin des sondages de popularité qui disent l’air du temps sans dire grand-chose de notre temps, cette étude prend du champ ; elle met en perspective sur plus d’une dizaine d’années l’évolution des galaxies composant la gauche française et défend une thèse : « les univers internes à la gauche apparaissent désormais moins incompatibles qu’ils ne l’étaient. » Le sondeur observe ainsi une certaine conciliation idéologique entre les différentes familles de la gauche qu’il regroupe en cinq peuples : gauche interventionniste, gauche anti-libérale, gauche sociale-libérale, gauche morale anticonsumériste et gauche antisystème et écologiste. On pourrait discuter à loisir cette typologie, préciser les contours assez flous de cette gauche morale et anticonsumériste dont l’égérie serait Ségolène Royal, douter que Daniel Cohn-Bendit puisse être le leader de cette gauche antisystème et écologiste lui qui incarne, plus qu’un autre et depuis quarante ans, le système libérale…tel n’est pas le propos ici. Prenons comme un fait cet état de l’opinion de gauche et essayons de tracer des pistes pour que se rejoignent les aspirations du peuple de gauche et la volonté des partis d’accéder au pouvoir.

Des défaites qui forgent des conciliations

La première observation concerne les registres de conciliation des gauches pointés par l’auteur. Longtemps la gauche a marché sur deux jambes : réforme/révolution, ordre/mouvement, marxisme/républicanisme, socialisme/communisme… Il y a avait à gauche une nécessité toujours renouvelée de dépasser les antagonismes ; cette dialectique hégélienne était l’exercice de style de toute démarche visant à unifier électoralement la famille. Ce moteur dialectique semble bien s’être épuisé depuis les années 1980 et les deux Eglises de la gauche sont devenues des chapelles qui ont gagné en plasticité ce qu’elles ont perdu en fidélité des communiants et en force de frappe politique. Les galaxies se chevauchent, s’entremêlent, leurs contours idéologiques se brouillent et cette nouvelle pluralité un peu brouillonne de la gauche est certainement un des principaux facteurs de ses défaites. Quand les indignations, qu’elles concernent l’état de la société, la dénonciation de la société de consommation ou la nature des pouvoirs, se succèdent sans se coordonner, on a peut-être un rapprochement entre peuples de gauche mais on n’a ni stratégie ni tactique au sommet qui permette la victoire électorale.

Ce qui a rendu possible cette conciliation des gauches doit certainement être recherché dans les défaites électorales et idéologiques de la gauche. Les défaites aux élections présidentielles de 1995, 2002 et 2007 ne reflètent que l’impossibilité de chacune de ses galaxies à combattre seule la droitisation rampante de notre société. Passant de la dialectique à l’équilibrisme et renonçant à s’adresser à la France populaire, celle des ouvriers et des employés, il était bien difficile au candidat socialiste, à qui il échoit cette tâche, de rassembler toutes les gauches sur son nom ou son programme.

Le « Peuple de l’Egalité », le parti de toute la gauche

Face aux défaites et à ce rapprochement idéologique de la base, la question que doivent se poser les responsables politiques de gauche est très simple : comment cette conciliation idéologique peut-elle se pérenniser sans un univers commun à toutes ces galaxies ? C’est la question du rassemblement partisan des forces de gauche qui doit être ici posée. Si plus rien ne sépare fondamentalement ces peuples de gauche, pourquoi conserver les théâtres d’ombres que sont devenus nos partis respectifs ? Si l’on ne veut pas que les conciliations idéologiques ne soient que des étapes vers un inéluctable divorce entre le peuple de gauche et ses dirigeants, cette étude place les appareils politiques de gauche face à leurs responsabilités.

On ne peut que regretter l’actuelle absence de cadre, et même de projet de cadre, commun à toute la gauche qui serait le lieu où s’enregistreraient justement les conciliations qui se dégagent dans le peuple de gauche. Il y a une fenêtre de tir historique pour construire un grand parti de toute la gauche. On ne pourrait pas l’accuser d’être un « machin » venu d’en haut, il serait l’accomplissement d’un rapprochement idéologique survenu à la base. L’Histoire nous a montré que seuls les processus d’Union programmatique pouvaient permettre à la gauche française d’accéder dans la durée aux responsabilités nationales. Alors à quand les fondations d’un « Peuple de l’Egalité » rassemblant toutes les tendances de gauche ?

Enfin, s’il n’y a plus fondamentalement de guerre interne à la gauche, il faut s’en féliciter mais il ne faut néanmoins pas se désarmer. Plus que cela, nous devons nous réarmer face à la droite. Ce réarmement passe certainement par une clarification sur ce que l’on entend par la « société du care », la sécurisation des parcours professionnels et aussi sur la question retraite afin de sortir de la stratégie de l’équilibrisme. Depuis trop longtemps, certaines élites de gauche ont renforcé l’image d’une République émolliente et apaisée qui permettait toutes les confusions entre droite et gauche. Cette stratégie de l’accommodement, datons-la pour aller vite du tournant libéral de 1983, a été la base de l’ouverture sarkozyenne, symbole le plus visible de la victoire sur le terrain politique de la victoire de la droite dans la guerre pour l’hégémonie culturelle.

Jean-Philippe HUELIN

Publié sur le site Marianne2.fr :
http://www.marianne2.fr/Vers-l-unite-des-cinq-gauches_a196731.html

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