jeudi 24 janvier 2013

Note sur le vote des ouvriers en Franche-Comté

Après un compte-rendu de ma note sur le vote ouvrier publié par la fondation Jean-Jaurès, vous pouvez lire sur le blog politique de France 3 Franche-Comté ma note, adaptation régionale de la première, donnant des pistes de réflexion sur ce vote dans la région la plus ouvrière de France, la Franche-Comté  :



Les ouvriers et le vote en Franche-Comté 

La Franche-Comté est la région de France où les ouvriers sont les plus nombreux en pourcentage. La question du vote des ouvriers est donc plus qu’ailleurs une préoccupation légitime pour les observateurs et les élus régionaux. Pour autant, nous manquons de sondages régionaux le jour du vote pour évaluer précisément, comme on peut le faire au niveau national, le sens du vote ouvrier. Je développerai donc ici quelques éléments adaptés à notre région de ma note publiée par la fondation Jean-Jaurès : « Où en est le vote ouvrier ? » 

Lors de l’élection présidentielle de 2012, notre région s’est distinguée par rapport au vote de l’ensemble des Français en votant au premier tour moins pour François Hollande (-2 points) et plus pour Marine Le Pen (+ 3 points). Cette situation ne fait d’ailleurs que dupliquer l’élection de 2007 puisque Ségolène Royal faisait 2 points de moins que son score national et Jean-Marie Le Pen 4 points de plus. De la même façon, précédemment, en 2002, Jean-Marie Le Pen faisait 2 points de mieux dans notre région que son score national aux deux tours de scrutin. Cette réalité ancre notre région dans une dynamique droitière plus large couvrant l’ensemble du quart Nord-est de la France. Jérôme Fourquet, en particulier, a mis en lumière l’importance stratégique de cette grande région pour le résultat de l’élection présidentielle et on constate que les régions Champagne-Ardenne, Lorraine, Alsace, le nord de la Bourgogne et donc la Franche-Comté ont voté majoritairement pour Nicolas Sarkozy au second tour. 

Cette France du Nord-est est aussi celle qui, en plus du littoral méditerranéen, donne à Marine Le Pen ses meilleurs résultats, partout au-dessus de 21%. On observe d’ailleurs que le bon score du président sortant au second tour est largement dû à un meilleur report des voix obtenues par Marine Le Pen au premier tour. Alors que la moyenne nationale se situe, selon les instituts de sondages, à un électeur FN sur deux, il y en a plus en Franche-Comté ce qui conforte une évolution née au cours des années 2000 et qui inverse ce qui se passait auparavant, au cours des années 80 et au début des années 90, quand l’électeur « sociologiquement de gauche » votant pour Le Pen au premier tour revenait plus volontiers vers la gauche au second tour. Le vote Le Pen a donc aussi changé de caractéristiques : il s’agit de plus en plus d’un vote d’adhésion à une partie du programme frontiste et non d’un simple vote protestataire. 

Cette France du Nord-est est enfin celle où les ouvriers sont surreprésentés. Avec l’Ouest intérieur, le Nord-est compte près de 20% de la population de plus de 15 ans qui est ouvrière. Si on regarde plus précisément dans notre région, la proportion est encore plus forte dans deux types d’espace : la bande frontalière et la grande périphérie des villes. En valeur absolue, les ouvriers sont bien sûr très nombreux dans l’Aire urbaine et à Besançon mais ils sont, dans les zones urbaines, sous-représentés. Or si la question des frontaliers arrive à trouver sa place dans le débat public (plutôt sous l’angle fiscal d’ailleurs), quand parle-t-on des navetteurs, ceux qui font plusieurs dizaines de kilomètres chaque jour pour aller travailler ? Quelles sont les politiques publics qui visent à leur faciliter la vie ? A dire vrai, ils semblent ne pas exister ; inconsciemment, un ouvrier habite près de son usine comme il y a cinquante ans. Le navetteur périurbain est trop souvent le grand oublié. 

En grossissant le trait, on observe ainsi trois types d’ouvriers qui ont chacun des comportements électoraux différents : 
  • L’ouvrier des villes ouvrières, celui qui habite à proximité des grands pôles de production de la région (Aire urbaine, Besançon), garde encore en héritage une propension à voter à gauche malgré un vote FN qui revient à son très haut niveau de 2002 mais sans l’atteindre totalement (surtout si l’on ajoute au score de Jean-Marie Le Pen celui de Bruno Mégret). Nicolas Sarkozy y réalise des scores plus faibles qu’en 2007 dans des proportions supérieures à son score régional, comme une sanction des promesses non-tenues au monde ouvrier. 
  • L’ouvrier frontalier est certainement le plus conservateur. Traditionnellement acquis à la droite, haut-Doubs et haut-Jura plébiscitent le président sortant dans des proportions parfois supérieures même à son score de 2007 (+ 2 points à Villers-le-Lac par exemple au premier tour, +3.5 points au second). Le vote FN est en repli par rapport à 2002 et reste bien en-dessous de la moyenne régionale. 
  • L’ouvrier périurbain ou rural habite entre 15 et 40 km environ des grandes agglomérations dans notre région. C’est un espace où les ouvriers sont surreprésentés et où le vote FN est le plus fort, souvent Marine Le Pen y arrive en tête du premier tour. On le voit très bien sur la carte du premier tour de la présidentielle 2012 où se dessine une couronne autour de l’Aire urbaine où partout le FN arrive en tête avec plus de 10 points de plus que le score régional de Marine Le Pen. 
Incontestablement, il y a une forte adéquation entre présence ouvrière et vote Front national. La Franche-Comté voit se reproduire, mais à un niveau d’adhésion électorale supérieure, la même dynamique qu’à l’échelon national : Marine Le Pen est d’autant plus forte que l’on s’éloigne du centre des grandes agglomérations et c’est à peu près l’inverse pour le candidat socialiste qui est très fort là où il y a le moins d’ouvriers, au cœur des grandes villes. Autre élément à retenir, le report des voix entre le FN et la droite entre les deux tours semble se renforcer, en serait-il de même si le report devait se faire de la droite vers le FN ? C’est à craindre comme l’ont montré les résultats de candidats FN dans certains cantons en 2011. Le bloc droitier est donc particulièrement puissant dans notre région. 

Tout laisse même à penser que le score de Nicolas Sarkozy aurait pu être plus fort avec une participation plus forte. Or cette participation en Franche-Comté est en repli, « lors des élections du printemps 2012, 48,1 % des électeurs de la région se sont rendus aux urnes à chaque tour de scrutin. C’est à peine mieux que la moyenne nationale, mais en net recul par rapport à 2007.[1] » Et l’on sait bien, quand on observe les résultats des élections intermédiaires, que c’est la gauche qui profite dans les urnes d’une moindre participation qui concerne surtout les couches populaires. La gauche sans le peuple est devenue la réalité. 

Cette situation ne doit pas manquer d’inquiéter les élus des collectivités locales, presque toutes dirigés par des socialistes. Le Parti socialiste détient le conseil régional, les quatre conseils généraux et presque toutes les grandes villes de la région. Avec la défiance qui monte envers le président de la République et le gouvernement (je signale au passage que François Hollande n’a plus la confiance que de 28% des ouvriers, soit une perte de 35 points depuis son élection, et Jean-Marc Ayrault de 19% seulement), les échéances de 2014 et 2015 s’annoncent particulièrement difficiles pour la gauche et plus encore dans notre région. 

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