jeudi 31 mars 2011

Brustier répond à Joffrin dans le Nouvel Obs

Mis en cause, avec d'autres, à l'occasion de son passage à l'émission "Ce soir ou jamais", Gaël Brustier répond dans ses colonnes au directeur de la publication du Nouvel Observateur, ex animateur de la fameuse émission "Vive la crise !"


"Voyage au bout de la droite" à la Réunion

lundi 21 mars 2011

"Le FN est le porte-voix des illégitimes sociaux"

Pourquoi le FN fait-il une telle percée -15% des voix- au 1er tour des cantonales ? Comment le contrer ? Pour Gaël Brustier, co-auteur de "Voyage au bout de la droite" paru ce mois-ci, il est "vain" de diaboliser le Front national. Il s'agit désormais pour la gauche de "rompre avec la prolophobie" et de proposer un nouvel "imaginaire collectif" qui sache concurrencer celui, dominant, d'une droite de plus en plus à droite. Interview de ce docteur en sciences politiques, qui se dit proche du député socialiste Arnaud Montebourg.
Que pensez-vous du succès du Front national aux cantonales de dimanche, avec 15% des voix ?
Marine Le Pen, qui apparaît débarrassée des fantômes de l'OAS et de la collaboration, est la dépositaire d'une marque et l'héritière d'un nom incarnant le vote protestataire.

Elle est désormais le porte-voix de ceux qui votent contre les élites. Car le vote FN est fortement motivé par la peur de ne pas exister. A partir du moment où vous êtes disqualifiés, où votre voix n'est pas entendue, vous cherchez un moyen d’expression. Marine Le Pen est la seule à représenter les illégitimes sociaux.

Mais la vraie question est de savoir pourquoi il y a dans les sociétés occidentales un imaginaire droitier qui se développe. Cet imaginaire a bénéficié à Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2007. Et au Front National lors du premier tour des cantonales ce dimanche.

Sur quoi se fonde cet "imaginaire droitier" ?
Sur la peur du déclassement de l'Occident. Ce thème du déclin de l'Occident, qui est un thème de droite, touche toutes les classes sociales, y compris les élites.

Pourquoi blâmer un ouvrier qui vote Marine Le Pen pour obtenir une meilleure protection économique, et approuver un discours des élites, parfois de gauche, qui fait du contre-terrorisme l’alpha et l’oméga de la politique étrangère, alors que nous sommes davantage menacés par l'expansion de l'Inde ou de la Chine que par le monde musulman ?

Vous imputez à la droite chiraquienne des responsabilités dans la montée du FN ?
Oui, parce que c'est Jacques Chirac qui a dissous la droite gaulliste traditionnelle, autoritaire et égalitaire. Dissolution qui s’est produite dans la deuxième moitié des années 80, quand Jacques Chirac dirigeait le RPR et qu'Edouard Balladur a forgé une nouvelle ligne idéologique néo-libérale, inspirée des politiques de Ronald Reagan ou Margaret Thatcher. Ce tournant libéral date d'avant Nicolas Sarkozy.

Une évolution à la GianFranco Fini (aujourd'hui président de la Chambre des députés en Italie, hier d'extrême-droite) est-elle envisageable, avec une "normalisation" de Marine Le Pen et du Front national ?

Gianfranco Fini vient du MSI (Mouvement Social Italien) post-fasciste, il croit en l’Etat. Il s'est recentré parce qu'il était opposé à la Ligue du Nord. Celle-ci rassemble à la fois les néo-libéraux, sur le moins d'Etat, et les ouvriers, sur des thématiques racistes.

Marine Le Pen, elle, représente ces deux extrêmes-droites : elle joue à la fois sur un volontarisme à la Fini et sur un différentialisme à la Bossi – le syndrome de Lampedusa.

Son recentrage n’est pas pour demain, même si elle a choisi d'adopter pour cette campagne une rhétorique -je dis bien une rhétorique - purement égalitaire.
Vous croyez à une convergence UMP-FN ?
La fusion des électorats a eu lieu. Il y a un électoral volatil qui était passé en 2007 du FN à l'UMP, et qui est repassé au FN. Même si l’électorat de Marine Le Pen est plus jeune, plus masculin, plus ouvrier que celui de l’UMP.

Quelle peut être la réponse de la gauche à cet imaginaire de plus en plus droitier?
Il faut proposer un imaginaire collectif concurrent à celui de la droite. Il y a une détresse à laquelle des réponses purement sociales ou économiques ne suffisent pas.

La question, c’est celle de la nation civique. Qu’est ce qui fait lien entre les citoyens ? Il faut aussi s’intéresser à ce que j’appelle "les paniques morales" : en France, la surreprésentation des questions liées à l’islam, à l’immigration, tout ce qui fait l’objet de débats sans fin.

La gauche devrait les prendre en compte, délaisser la vision déformée du pays. Il faut rompre avec la "prolophobie", arrêter de traiter tout le monde en Dupont-Lajoie ou Lacombe Lucien, éviter de sortir le mot populisme à tout bout de champ. S’adresser à la majorité sociale de ce pays, aux ouvriers et employés mis en danger par la concurrence internationale et la précarité.

Il faut rompre avec le "boboïsme" des centre-villes ?
Oui. Il faut réhabiliter les mondes ouvriers et ruraux, défendre les tissus industriels, instaurer le "bouclier rural". Prendre en compte les zones péri-urbaines, derniers refuges d’une classe ouvrière qui a été expulsée des centre-ville et n’est plus encadrée, comme elle l’était autrefois, par le PC ou la CGT. S'intéresser aussi à l’Est de la France, où les mondes ouvriers ont été purement et simplement abandonnés.

Faut-il diaboliser le Front national ?
La diabolisation est inefficace. Ca ne marche pas et ça ne sert à rien.

Par Anne BRIGAUDEAU

« Lutter politiquement contre les paniques morales » Entretien avec Gaël Brustier

Gaël Brustier, docteur en science politique, co-auteur du remarqué Recherche le Peuple désespérément, membre du Parti Socialiste, vient de publier avec Jean-Philippe Huelin Voyage au bout de la droite (Mille et Une nuits). C’est en militant politique, intellectuel et néanmoins ami qu’il a répondu à mes questions.

Daoud Boughezala : À vous lire, Jean-Philippe Huelin et toi, les slogans libertaires de mai 1968 appuieraient un nouvel occidentalisme fondé sur les valeurs marchandes…

Gaël Brustier : Ce que nous appelons « droitisation » n’est ni unilinéaire ni uniforme. Tu fais référence, en l’occurrence, à ce que nous définissons comme l’hédonisme sécuritaire, qu’on ne peut pas expressément traiter sous l’angle de l’histoire des idées. En expliquant que les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entrave mais sous la protection d’un arsenal sécuritaire renforcé, nous pointons autant une évolution sociologique qu’une évolution correspondante des droites extrêmes européennes. C’est vrai et évident aux Pays-Bas avec Wilders. Cela peut devenir vrai dans d’autres pays, en particulier en France. Il est vrai que la France n’est pas encore touchée massivement par ce phénomène que nous entrevoyons à l’horizon d’une ou deux décennies…

DB : Pour prendre l’exemple français, Marine Le Pen surfe allègrement sur les « paniques morales » que tu évoques. N’est-ce pas là aussi une conséquence de la désertion du réel par une gauche muette sur la sécurité et l’immigration ?

GB : Marine Le Pen surfe sur beaucoup d’interrogations de notre société. Son actuelle percée est d’abord le fruit de sa capacité à se saisir d’une détresse sociale face à la mondialisation, aux délocalisations, au poids que la mondialisation fait porter à la société française. Mais les questions « morales » ne sont pas indifférentes à la droitisation actuelle. Nous reprenons en partie les analyses de Stanley Cohen pour expliquer qu’un ensemble de « paniques morales » parcourent la société. Elles ont un degré de sophistication différent mais se rapportent souvent à la question de l’Islam, devenue obsessionnelle dans une partie des élites notamment. C’est ce phénomène que tente de capter Marine Le Pen qui parle un langage démagogique mais habile. Les « paniques morales » existent : il faut savoir y répondre.

Ce qui est regrettable c’est de voir la gauche, ou une certaine gauche, éprouver, par exemple, une certaine mansuétude à l’égard du groupe Sexion d’Assaut qui tient des propos manifestement homophobes. Les mêmes sont plus durs avec Marine Le Pen lorsqu’elle prétend défendre les gays. C’est, à notre sens, une erreur stratégique qui peut, à terme, se payer durement dans les urnes, en particulier dans les grandes villes. En matière de stratégie électorale, il ne faut pas « flatter sa conscience avec son indignation » comme aurait dit Pasolini. Il faut d’abord être efficace politiquement.

DB : D’accord, mais vous parlez de paniques « morales ». Comment lutter politiquement ?

GB : Lutter contre les panique morales c’est à la fois bannir l’angélisme et le différentialisme et refuser le discours islamophobe et occidentaliste qui se pare des habits de la laïcité… Penser que la France est en voie d’islamisation relève du délire le plus achevé mais il ne faut pas, dans le même temps, refuser de voir qu’il existe des problèmes liés à des phénomènes para-sectaires qui posent des problèmes à beaucoup de nos concitoyens… Et qu’on cesse enfin de feindre d’assigner à « résidence culturelle » certains de nos concitoyens en les intégrant automatiquement à une catégorie religieuse…

DB : Penses-tu que la gauche peut sortir de l’angélisme pour reconquérir des classes populaires en quête de valeurs morales?

GB: Je pense que la gauche pèche par buonisme et aime avant tout flatter sa conscience en s’indignant. Il faut à la gauche le courage de regarder en face la société française. Elle doit analyser la géographie sociale du pays et la capacité de la droite à se fondre dans celle-ci en définissant un imaginaire collectif compatible avec elle. Nous avions analysé cette géographie sociale dans Recherche le peuple désespérément. Aujourd’hui nous nous attachons à décrire la droitisation dans Voyage au bout de la droite. Les hésitations stratégiques de Messieurs Buisson et Guaino, la difficile articulation de la visite au Puy-en-Velay et de la défense de la laïcité, l’impossibilité évidente, pour la droite, de faire campagne sur le mérite et le pouvoir d’achat, laissent l’élection présidentielle très ouverte.

DB : Donc, l’effondrement actuel de la popularité de Nicolas Sarkozy ne garantit pas la victoire de la gauche en 2012 ?

GB : Certainement pas ! La gauche a donc tort de se reposer sur ses lauriers. On ne répondra pas à la droitisation en criant « à gauche, à gauche, à gauche ! ». Et pas plus en transformant l’adversaire en diable. Il s’agit de définir à la fois un projet pour le pays en rapport avec la mondialisation et un imaginaire collectif qui lui corresponde. Pour les droites, l’explication du monde est simple, « du coin de la rue à Kaboul ». Pour la gauche, quelle est-elle ?

Causeur.fr, publié le 21 mars 2011

Cantonale : Résultats du 1er tour




Brustier reçu par Audrey Pulvar à la matinale d'Inter


Gaël Brustier par franceinter

vendredi 11 mars 2011

"Voyage au bout de la droite" à "Ce soir ou jamais"

Marine Le Pen, le phénomène. D’une manière générale, Marine Le Pen est souvent jugée comme plus modérée que son père. L’image qu’elle donne, calme et souriante, semble être à l’opposé des stéréotypes attribués habituellement à sa famille politique. Est-ce le cas ? Comment interpréter la montée en puissance du Front national et de ses thématiques ? (émission du 10 mars 2011)



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Cantonale : présentation de ma candidature dans "Voix du Jura"


Cantonale : avec ma suppléante


jeudi 10 mars 2011

Brustier sur France culture

Après un sondage contesté qui donne Marine Le Pen gagnante et au commencement d’une campagne cantonale dont les résultats pourraient confirmer certaines peurs, les Matins font une émission pour décrypter la montée pressentie du FN. Après avoir essayé d’endiguer le choc d’avril 2002, droite et gauche sont forcées de constater que le FN et sa nouvelle présidente menacent toujours. Droite dans la surenchère sécuritaire, gauche désemparée, les partis républicains se trompent-ils de diagnostic et de stratégie face au FN ?


Les Matins - La menace FN par franceculture

mardi 8 mars 2011

Le FN est-il un parti en voie de normalisation?

POLITIQUE - Marine Le Pen le fait «muter»...

Dans les sondages et pas seulement ceux d’Harris Interactive, Marine Le Pen passe la barre des 20% d’intention de votes. Sa côte de popularité bat des records pour une personnalité de l’extrême droite, à 27%. Tous les clignotants sont au vert pour la fille de Jean-Marie Le Pen dont la stratégie de dédiabolisation du FN semble payer. «Pour les Français, il est évident que le parti est en voie de normalisation», explique Sylvain Crépion, sociologue spécialiste du FN*. «Elle a fait muter le FN», abonde dans son sens Gaël Brustier, docteur en sciences politique et co-auteur de Voyage au bout de la droite. «Elle l’a adapté à la société française», ajoute-t-il. 20minutes.fr fait le point sur le FN new look.

Du social, du social, du social
Les thèmes de prédilection de Marine Le Pen, c’est la laïcité, certes, en fer de lance de son combat contre l’Islam mais aussi le social. «Elle a fait évoluer les thématiques en gauchisant le discours du FN», note Gaël Brustier. Et même si le virage avait déjà été pris par son père, c’est bien Marine qui est la garante de l’image sociale du FN. La mondialisation, la désindustrialisation, la précarité, les services publics, sont devenus ses thèmes. Elle parle au prolétariat, à «la France qui gagne entre 700 et 1.200 euros» et «évoque les questions économiques en articulant la mondialisation avec la peur diffuse du déclassement», ajoute-t-il, parlant «d’assaut sur l’électorat ouvrier». D’autant que «la réalité de la France, c’est les classes populaires, ignorées par tous les partis, notamment la gauche».

Evolution sur le sociétal
La frange la plus traditionaliste du FN en a fait le reproche à Marine Le Pen avant son élection, elle est plus ouverte que son père sur les questions sociétales comme le droit à l’avortement ou les droits des homosexuels. «C’est une femme de son temps, divorcée, avec trois enfants, qui a les mêmes problèmes que les autres», note Gaël Brustier. «Elle a bénéficié de la scission des mégrétistes, qui a fait partir les plus traditionalistes», ajoute-t-il. Reste qu’elle est inflexible sur la peine de mort, même si elle le dit moins fort.

Les provocs, c’est fini, place à la respectabilité
Comme nombre de militants FN, elle est une des «traumatisées du 21 avril 2002», explique Sylvain Crépion. C’est-à-dire qu’à ce moment, nombre de militants FN ont compris dans la douleur qu’ils n’accéderaient jamais au pouvoir en raison du «cordon sanitaire» mis en place contre Jean-Marie Le Pen. Elle essaye donc de «donner une respectabilité au FN, de le rendre acceptable en prenant ses distances avec le FN à papa, avec les provocations sur la Shoah, l’inégalité des races, la guerre d’Algérie», analyse le sociologue.

Le FN bénéficie d’une droitisation des débats
«Il y a une droitisation à l’œuvre» dans les débats, juge Gaël Brustier, et «la droite en porte la responsabilité avec la casse de l’appareil gaulliste au niveau idéologique et organisationnel», qui servait traditionnellement à faire barrage à l’extrême droite. Islam et insécurité, elle n’a presque plus besoin d’en parler – le FN est déjà identifié sur ces thèmes - tant l’UMP en parle à sa place. «Si elle reprend les thèmes républicains et laïcs, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a une vision ethnique de l’identité et qu’elle est dans une logique xénophobe», insiste Sylvain Crépion.

Une base électorale plus large
Avec tous ces ajustements, Marine Le Pen élargit sa base électorale potentielle. «Elle surperforme au sein des catégories traditionnelles du FN, les artisans, les employés, les ouvriers», note Frédéric Dabi, de l’Ifop. Mais «à partir du moment où elle passe la barre des 20%, elle devient ‘attrape-tout’. Elle est notamment très forte chez les 50-65 ans qui votent plutôt UMP, ajoute-t-il. C’est là où il y a une aspiration des voix UMP». Marine Le Pen s’est transformée en défenseur de la République, «contrairement à son père qui parlait de Ripouxblique, note Gaël Brustier, pour passer de 15% à 30% dans les sondages». Et elle ne peut le faire qu’en s’adressant à la «sociologie majoritaire du pays», ajoute le spécialiste selon lequel Marine Le Pen «travaille beaucoup sur la sociologie et la démographie du pays».

Maud Pierron, 20minutes.fr 8 mars 2011

lundi 7 mars 2011

"Voyage au bout de la droite" dans le Parisien



"Voyage au bout de la droite" dans la revue de presse de France inter


Patrick Cohen : Et on en vient directement à l'analyse de ce sondage Harris-Interactive pour le Parisien, hier.

Bruno Duvic : Si l'élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, Marine le Pen arriverait en tête du Premier tour, devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry.

La méthode de ce sondage est très critiquée. Reste que tous les spécialistes de sondage interrogés constatent bien une hausse très nette de la popularité de Marine le Pen.

Alors pourquoi ? Deux analyses.

Gaël Brustier sur Atlantico.fr. Fibre socialiste mais il se montre très critique vis à vis du PS. Il vient de publier un livre qui s'appelle "Voyage au bout de la droite".

"Marine le Pen a compris la géographie sociale du pays, elle développe un discours protecteur qui colle aux inquiétudes qui agitent la France face à la mondialisation, notamment la France des catégories marginalisées. Les social-démocraties européennes ont abandonné le terrain des peur sociales.

Mettre la montée du FN sur le compte de la politique de Nicolas Sarkozy selon lui, c'est passer à côté de cette droitisation qui gagne toute l'Europe.

Autre analyse, celle de Jean-Marie Colombani sur slate.fr.

Pour lui, le schéma imaginé à l'Elysée consiste à placer le débat sur le terrain de l'identité pour éviter un autre débat sur la politique économique et sociale. Le président veut porter le fer là où la gauche est mal à l'aise, du moins le croit-il. Conclusion de Jean-Marie Colombani, il pourrait être question de rechercher un remake d'avril 2002 et susciter un face à face Sarkozy-FN au second tour.

Revue de presse du 7 mars 2011

dimanche 6 mars 2011

Gaël Brustier : Marine le Pen surfe sur la peur du déclassement qui gagne l'Occident

Docteur en politique, auteur de "Voyage au bout de la droite" et engagé au PS, Gaël Brustier décrypte le sondage choc donnant Marine Le Pen en tête devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry pour le premier tour 2012. Selon lui, faire de Nicolas Sarkozy le responsable de l'atmosphère politique actuelle, c'est passer à côté d'un phénomène de droitisation qui gagne l'Europe entière.

Vous venez de publier un livre qui décrit la manière dont la hantise d’un déclassement de l’Occident a généré partout en Europe une puissante dynamique politique, pensez vous que le sondage Harris Interactive publié par le Parisien et qui donne Marine Le Pen en tête du premier tour devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry soit le reflet d’une véritable lame de fond ?

Marine Le Pen a compris la géographie sociale du pays et elle a compris les représentations collectives qui parlent aux Français. Avec des thématiques très sociales elle développe un discours protecteur qui colle aux inquiétudes qui agitent la France face à la mondialisation, et notamment la France des catégories marginalisées. Elle a su se greffer sur un terreau qui lui est extrêmement favorable. La greffe prend d’autant mieux qu’elle peut convaincre des catégories d’électeurs que les dérapages de son père rebutaient.


Le PS a réagi à ce sondage en disant que Nicolas Sarkozy avait propagé l’incendie, c’est une question qui semble d’ailleurs aussi troubler certains à l’UMP, pensez vous que les débats identitaires dont il s’est emparé soient la cause de la poussée du FN dans les sondages ?

Je vais vous faire une réponse de normand, ptê’t ben que oui, ptê’t ben que non. Cela étant, faire porter la responsabilité exclusive de la montée du FN à Nicolas Sarkozy, c’est un prétexte pour refuser de voir la réalité. C’est être aveugle face à l’immense détresse sociale dans laquelle se trouvent beaucoup de Français. Ce qui fait la force de Marine Le Pen à l’heure actuelle, c’est son discours protecteur face à un corps social en pleine déprime. Les débats sur les racines de la France ou sur la laïcité ont finalement un côté assez intellectuel qui ne parle pas tant que ça aux ouvriers et aux employés. Ce qui porte, c’est la parole sur la désindustrialisation du pays, sur les délocalisations, sur la casse des services publics…


Le reproche fait au Président de la République d’agiter les peurs vous paraît-il pertinent ?

Il faut s’extraire de la Sarkophobie qui trouble notre compréhension des choses. Bien sûr que Nicolas Sarkozy est animé de considérations touchant à la perspective de sa réélection. Il essaie de capter les inquiétudes à son profit, c’est assez naturel dans sa position. Mais pour les capter, il faut avoir avoir fait un travail d’analyse et apporter des réponses aux questions qui traversent la société. On peut penser qu’il ne le fait pas bien mais il tente de le faire.

A gauche, le problème, c’est qu’il y a très peu de représentations politiques adaptées à la lecture du monde contemporain. La gauche n’a pas construit de schémas politiques d’identification qui soient capables de concurrencer l’imaginaire collectif de droite. Les sociales démocraties européennes ont abandonné le terrain des peurs sociales.

Diaboliser Nicolas Sarkozy, c’est oublier que la droitisation du débat politique français est avant tout due à l’émergence de thématiques qui reflètent les angoisses des Français. Il y a eu un rapatriement de presque tout le débat politique à droite, avec d’ailleurs des visions concurrentes entre elles au sein de la droite.

Finalement que Nicolas Sarkozy soit responsable ou non de la poussée de Marine Le Pen dans les sondages est très secondaire. Il y a probablement une stratégie cynique et assez habile du Président de la République qui a avec certains de ses conseillers une vraie connaissance des classes populaires et qui tente de s’en faire entendre après avoir perdu le fil avec elles.

Mais cette droitisation est une réalité qui dépasse de très loin la France et qu’on retrouve dans de nombreux pays européens. C’est paroxystique en Italie avec une gauche qui a totalement disparu, c’est le cas dans une moindre mesure aux Pays-Bas ou en Belgique. Faire de Nicolas Sarkozy l’unique responsable de l’atmosphère politique actuelle, c’est surtout plaisant pour une certaine élite politico-médiatique qui s’aveugle totalement sur un mouvement de fond qui gagne l’Occident. Voir en Nicolas Sarkozy, un génie démoniaque de la politique n’est pas sérieux. Il faut relativiser. On ne peut tout de même pas lui imputer ce qui se passe en Hongrie avec le premier ministre Viktor Orban ou en Suisse avec l’UDC.

La vérité, c’est que les sociaux démocrates européens n’ont pas su proposer de vision alternative à ces schémas explicatifs du monde développés par la droite. A très grands traits, on peut dire que les droites européennes ont imposé la vision d’un monde dangereux, avec une Europe menacée par la mondialisation, le terrorisme et l’immigration. Globalement, les droites donnent le « la » parce que les Européens se préoccupent majoritairement de la peur du déclassement de l’Occident.

A gauche, les tentatives de construire des récits qui prennent en compte ces inquiétudes sont encore très marginales. On a bien entendu Arnaud Montebourg parler de « démondialisation » , de protectionnisme ou de renouveau industriel mais ce type de discours ne s’est pas encore vraiment fait entendre.

Jean-Luc Mélenchon a choisi une voie tout à fait estimable mais assez dépassée et statique. C’est le choix qu’avait fait en Italie une partie de la gauche critique et du parti communiste italien sans aucun succès. Die Linke en Allemagne a aussi beaucoup de difficultés. On ne peut pas refaire l’union de la gauche comme dans les années 70.


Est-ce à dire que les politiques comprennent finalement très mal les Français ?

Il y a un vrai problème de lien avec les classes populaires. Une partie de notre élite politique et médiatique ne connaît pas le pays. 1% seulement des ouvriers ont voté pour le candidat communiste en 2007, c’est un chiffre qui laisse rêveur… On nous a expliqué pendant des années que la classe ouvrière avait disparue en France mais il y a encore 60% d’ouvriers et d’employés dans ce pays.

Et leurs attentes ou leurs angoisses ne sont pas entendues. Les débats dans le champ public sont très souvent coupés des réalités populaires. Il faut leur parler d’industrie, de protection sociale, d’école, de tout ce qui fait la dignité économique des travailleurs et la dignité des citoyens.

Les gens n’attendent pas forcément qu’on leur parle de l’Europe chrétienne mais il y a une vraie demande d’identité, un besoin d’unité du peuple français dans un contexte mondial vécu comme un danger. Il y a une terrible souffrance sociale en France qui rompt la confiance entre les Français et la politique.

Gaël Brustier est l'auteur de "Voyage au bout de la droite" (Editions Fayard)


Propos recueillis par Jean-Sébastien Ferjou

mercredi 2 mars 2011

Exclusif: la thèse décapante de Brustier-Huelin sur la radicalisation à droite


Dans leur voyage au bout de la droite, deux socialistes, Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, se posent la question qui fâche : pourquoi dans toute l'Europe, les partis de gauche se montrent impuissants à capitaliser sur la plus grosse crise économique depuis la seconde guerre mondiale.

Pourquoi la gauche n'a-t-elle pas engrangé les bénéfices politiques de la crise économique et financière, la plus grave depuis les années 30 ? Pourquoi, un peu partout en Europe, la contestation est-elle spontanément à droite ? Comment interpréter l'émergence du sarkozysme, du berlusconisme ou des tea parties aux Etats-unis ? Ces phénomènes ont-ils un rapport entre eux ?

Le « voyage au bout de la droite » de Gaël Brustier et de Jean-Philippe Huelin, deux compères engagés au Parti socialiste que nous apprécions à Marianne2, est ambitieux, s'efforçant de répondre à ces questions rarement posées dans les médias, où l'on ingère souvent passivement l'actualité. L'analyse passe bien sûr, par les Etats-unis et l'émergence d'un néo-conservatisme qui, même s'il est considéré aujourd'hui comme dépassé, n'en a pas moins marqué les droites, américaines ou européennes. Nous apprenons ainsi que les néo-cons américains ont bâti leur fond de commerce politique en pourfendant les excès de la boboïtude démocrate : c'est en prétendant défendre les intérêts de la classe ouvrière américaine que Reagan puis Bush ont gagné les élections.

Le mouvement vient donc de loin, et les auteurs ont raison de rappeler comment Jacques Chirac a été en France, avant même Sarkozy, l'importateur dans les année 1980, d'une droite « décomplexée ». Après avoir noyé les restes du mouvement gaulliste, la main de Chirac n'a pas tremblé en 1986 pour privatiser et faire de la sécurité la thématique prioritaire de reconquête de l'opinion. Hypothèse intéressante des auteurs : c'est peut-être cette droitisation du RPR qui a permis au Front national de lui siphonner son électorat ouvrier conservé depuis la période de gloire du gaullisme.

Mobilisant l'arsenal conceptuel de Gramsci, ce révolutionnaire italien de la période mussolinienne dont Sarkozy lui-même se revendiquait en 2006, les auteurs inventent le concept fructueux d'« hédonisme sécuritaire ». En Hollande, en Belgique, mais aussi en France, une frange urbaine est peut-être en train de se détacher de la gauche. A titre d'exemple, ils citent la percée de Geert Wilders, prototype d'une extrême droite libertaire aux Pays-Bas, l'hostilité de certains mouvements homosexuels envers une présence musulmane jugée envahissante dans les centre-ville, ou bien les polémiques déclenchées en France par le match annulé entre le Paris Foot Gay et un club communautaire musulman ou bien l'éloge ambigu du groupe de rap Sexion d'Assaut, islamophile et homophobe. Derrière cette mousse, une vague sociologique : la prospérité de la droite européenne repose sur la déception de la classe ouvrière à l'égard de la gauche. On en arrive ainsi à un paradoxe qui réjouit certains barons socialistes mais ne peut qu'inquiéter ceux qui souhaitent perpétuer les valeurs fondatrices de la gauche : recroquevillée sur les centre ville, la gauche aurait ainsi tout à gagner à la montée de l'abstention dans les espaces péri-urbains où se sont réfugiées les victimes de la mondialisation, un moment séduites par le sarkozysme, mais qui ne reviendront pas à gauche si celle-ci se contente d'un éloge de la diversité et des libertés individuelles.

Extraits du livre «Voyage au bout de la droite»

La contestation est-elle passée à droite ? Un imaginaire est-il en train d’en chasser un autre ? Pour le savoir, il nous faut partir à la rencontre des droites et comprendre comment les pays occidentaux ont pu, les uns après les autres, succomber à leur domination. Il est loin le temps où, du Quartier latin à Woodstock, de Mai 68 au Larzac, la contestation était de gauche. Même les « forums sociaux » de Porto Alegre font parfois pâle figure, comparés à la flambée droitière des Tea Parties états-uniens, des manifestations de la Ligue du Nord italienne ou aux percées extrémistes dans des pays aussi consensuels que les Pays-Bas ou la Suède. Depuis plus d’une décennie, les victoires électorales des forces de droite s’accumulent en Europe : Aznar en Espagne, Berlusconi en Italie, « grandes coalitions » en Allemagne et en Autriche…

En France, l’alternance s’est faite à droite en 2007, après que l’élection présidentielle de 2002 se soit jouée entre la droite et l’extrême droite. De l’autre côté de l’Atlantique, l’élection de Barack Obama a pu marquer une pause, mais l’apparition d’un « populisme conservateur » montre bien que rien n’est joué. Il nous semble qu’une raison majeure de ces victoires électorales réside dans le fait que la fausse conscience* de droite se nourrit du rejet de la bonne conscience de gauche et qu’une partie du personnel politique de gauche a de surcroît nourri la droitisation. Ce que nous appelons « droitisation » n’est pas la victoire des droites d’hier, mais un phénomène autre, nouveau, lié à la peur du déclassement de l’Occident, qu’il soit européen ou américain. Diffus, parfois contradictoire, ce phénomène a pris une ampleur toujours plus grande. Occidentalisme*, identitarisme, islamophobie en constituent des traits caractéristiques dont le degré de sophistication évolue évidemment selon les publics. La volonté de protéger un « mode de vie » est grande chez ceux qui, hier, aspiraient à dispenser les bienfaits de l’esprit de Mai 68. L’hédonisme sécuritaire est bien, en la matière, la dernière-née des fausses consciences* dextristes qui fleurissent sur les acquis « sociétaux » des baby-boomers vieillissants. Les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entrave et demandent avec insistance que leur ordre moral soit placé sous la protection d’un appareil sécuritaire renforcé. Les libéraux-libertaires ont enfanté des hédonistes sécuritaires !

Les années 2000 ont ainsi vu la réémergence d’une expression tombée en désuétude dans le discours politique officiel : celle de « droite décomplexée ». Il serait trop simple de penser que, derrière cette expression, il n’y aurait qu’un rapport à l’argent et à son ostentation sans scrupule ni tabou, ou une libération de la parole du militant de droite qui dirait tout haut ce qu’il pensait naguère tout bas ; cela semblerait vouloir dire que la droite n’a changé que dans son type d’expression, visuelle ou verbale. Or, elle a beaucoup changé. La droite n’avait pas de complexe avec l’argent, elle le méprisait ! À l’image de ce qu’écrivaient ses jeunes plumes des années 1930, de Maurice Blanchot à Thierry Maulnier, ou bien les « hussards » des années 1950, la droite* n’aimait pas l’argent. Elle n’aimait pas non plus le « marché », elle se défiait de la passion technologique venue d’Amérique. Du Bernanos de La France contre les robots à l’Arnaud Dandieu du Cancer américain, le combat pour la civilisation française n’admettait pas le mythe d’un Occident unissant Europe et États-Unis dans une même adhésion à la civilisation de la technologie et du marché. On aurait cependant tort de penser que le « bling-bling » est l’essence de la droitisation. Il ne s’agit pas d’un style, il s’agit d’une vision du monde.

Historiquement, l’expression « droite décomplexée » est issue de la droite extrême. Sa reprise aujourd’hui par la droite dite républicaine révèle surtout un tournant dans la perception que la droite a d’elle-même. En effet, si le mot même de « droite » ne dérangeait pas ses membres quand l’expression ne revêtait qu’une acception parlementaire, soit de 1815 jusque dans les années 1890, il n’en fut plus de même tout au long du XXe siècle, où la droite ne revendiqua jamais explicitement ce terme (1). Fidèle en cela à son héritage holiste, elle refusait d’entériner une sorte de discorde structurelle et inhérente à la société démocratique. Seuls alors certains militants de droite extrême rappelaient la droite à elle-même pour tenter de l’arracher à son modérantisme bourgeois. Il a donc fallu attendre que la parenthèse gaulliste et sa répugnance pour la « droite » se referme et que le sinistrisme* de la vie politique s’estompe pour que la droite se revendique comme telle. En réalité, nous n’avons pas affaire à une « droite décomplexée », une droite qui serait entrée dans son âge adulte après les vexations et les inconforts de l’adolescence, mais à une droite revendiquée, qui ne correspond plus aux droites d’hier. On doit y voir à la fois un symptôme de son ouverture idéologique vers cette extrême droite longtemps maintenue derrière un cordon sanitaire sans nier qu’elle comporte quelques éléments d’une radicale nouveauté.

La mutation culturelle des droites tient donc de la révolution copernicienne en politique. Pour en prendre la mesure, il suffit d’observer Éléments, la revue de la « Nouvelle Droite » d’Alain de Benoist, titrer son numéro de juillet-septembre 2010 sur cette interrogation : « La Nouvelle Droite est-elle de gauche ? », marquant ainsi l’exil intérieur dans lequel se trouvent nombre de penseurs des droites d’hier. La droitisation n’est en effet pas la réanimation des droites du passé, mais une réinvention complète de la droite en même temps qu’elle impose sa domination sur la société contemporaine. Si mutation et domination sont les caractéristiques des mouvements de droite actuels, la droitisation, elle, est propulsée par l’articulation des idées d’ouverture* et de rupture*.

Rien de spontané dans ce phénomène. Celui-ci résulte d’une mutation du procès de production* au niveau mondial. Dans de nombreux domaines, la droitisation n’est que l’affirmation d’une fausse conscience consubstantielle à la globalisation financière. La structure économique du monde a en effet été profondément transformée. Songeons qu’en 2007 les sociétés du CAC 40 réalisaient 70 % de leur chiffre d’affaires et 80 % de leurs bénéfices à l’étranger. Songeons que, de 2005 à aujourd’hui, les entreprises du CAC 40 n’ont créé aucun emploi en France. Le néolibéralisme a contribué, selon les termes employés par Ronald Reagan, à « libérer le taureau » de la finance. Les sociétés occidentales en ont été profondément changées. Les vieilles bourgeoisies liées à un capitalisme industriel fortement ancré dans le territoire national ont cédé la place à une bourgeoisie transnationale qui organise la gestion de son patrimoine à un niveau mondial : 44 % du capital des entreprises du CAC 40 est possédé par des non-résidents ; 26 % des administrateurs des entreprises françaises cotées en Bourse ne sont pas français. Plus de 20 % d’entre eux sont citoyens des États-Unis.

Nous avons assisté à la naissance d’une bourgeoisie financière transnationale coupée des préoccupations qui étaient celles de la bourgeoisie nationale industrielle. Et ce phénomène observable en France vaut pour toute l’Europe. Par conséquent, la géographie sociale de notre pays a elle aussi muté, mais c’est surtout au niveau des idées, des représentations collectives, des organisations politiques et de la vie intellectuelle que la mutation s’est fait sentir. En nous intéressant au mouvement des idées, ainsi qu’aux mouvements électoraux, en circulant dans le paysage politique européen et occidental, nous avons à cœur de comprendre le phénomène de droitisation qui semble opérer comme un maelström politique et toucher, les unes après les autres, toutes les sociétés occidentales. Qui a le plus pâti électoralement de la crise ? Les social-démocraties ! À peine la crise ouvre-t-elle une opportunité aux gauches occidentales que la contestation passe à droite !

Pour comprendre l’étonnant mouvement de droitisation des sociétés occidentales, et en particulier de la France, nul besoin de convoquer une improbable bataille de la « modernité » contre des ennemis incarnés par la « droite(2) ». Le phénomène ne se réduit pas à une « révolution conservatrice » au sens le plus traditionnel du terme. Ce n’est pas un affrontement entre le Bien et le Mal qui éclaire le problème. La droitisation est très efficacement liée à la « modernité capitaliste », et les forces électorales qui l’incarnent ont su se saisir de celle-ci pour attirer à elles le citoyen consommateur (3). Raffaele Simone voit souvent juste, notamment quand il dénonce à la fois le buonisme de la gauche et son incapacité à prendre des décisions « rigoristes(4) ». Simone propose quelques pistes, mais omet sans doute d’évoquer d’une part la grande peur de l’Occident, saisi de vertige devant les hauteurs béantes de la mondialisation, et d’autre part le rapatriement à droite de la contestation.

Pour analyser ce phénomène et en faire l’autopsie méticuleuse, il nous a évidemment fallu faire appel à l’histoire, aux traditionnels outils de la socio-histoire et de la sociologie politique, qu’elle s’intéresse aux aspects sociaux, électoraux ou aux organisations.

(...) Le processus de droitisation n’est ni unilinéaire ni uniforme. Au contraire, il semble polymorphe, empreint de différentes crises de croissance et soumis à d’importants soubresauts internes. S’il permet l’émergence de personnalités fortes qui le portent (Thatcher, Reagan, Aznar, Berlusconi, Fini, etc.), il ne dépend jamais uniquement d’elles et transcende les questions liées au leadership. La droitisation n’est pas, au sens propre, purement réactionnaire. Dans ce phénomène, il n’y a pas de restauration d’un ordre ancien. Bien au contraire, la droitisation déstabilise des fondements traditionnels des sociétés dites occidentales. Si, comme on l’a dit, la droitisation a partie liée avec la globalisation financière, il est évident qu’elle tire sa force de sa capacité à faire face, mieux que tout autre idéologie, aux effets réels de la mondialisation néolibérale sur ces mêmes sociétés. Sa fonction n’est-elle pas de donner une explication du monde à toutes les échelles politiques, du coin de la rue du petit bourg de nos campagnes au centre de Kaboul, qui rende acceptable le processus de globalisation financière ou qui le fasse passer au second plan ? En cela, l’étude de la droitisation se distingue du travail déjà effectué sur la percée des idées néolibérales ou sur l’intégration par certains secteurs de gauche de l’idéologie libérale. Elle prend en compte ces aspects dans une vision plus globale qui consiste à comprendre comment un imaginaire collectif en permanente évolution façonne les sociétés et particulièrement la société française. Ce voyage au bout de la droite nous fera traverser l’Atlantique, visiter les capitales de la « Vieille Europe », observer la révolte des vallées alpines, écouter le tumulte des mondes ouvriers, prêter l’oreille à la colère des perdants de la mondialisation ou rencontrer l’insurrection droitière des riches régions de notre continent.

En parcourant ce Gulf Stream idéologique que forme la droitisation, nous allons rencontrer ceux qui en ont été les initiateurs aussi bien que ses actuels acteurs, nous en saisirons les principales caractéristiques idéologiques et les ressorts de sa domination, voire de son hégémonie, pour nous intéresser à la réalité de la domination de cette droite new look sur la société française et ses classes populaires. Alliant conservation et contestation, monopolisant dans l’hémisphère droit de la vie publique l’essentiel du débat politique, la droitisation fait tache d’huile. Ce périple commence loin d’Europe et loin de France… pour mieux nous y ramener.

(1) Cf. Marcel Gauchet, « La droite et la gauche », dans Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, Gallimard, coll. « Quarto », 1997, tome II, p. 2533-2600.
(2) Cf. Daniel Lindenberg, Le Procès des Lumières. Essai sur la mondialisation des idées, Le Seuil, 2009.
(3) Raffaele Simone, « Pourquoi l’Occident ne va pas à gauche », Le Débat, n°156, septembre-octobre 2009.
(4) Raffaele Simone, Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?, Gallimard, 2010.
(5) Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Gallimard, 1978, tome 12, chap. 1, p. 1513-1520.

Marianne2, le 2 mars 2011