mardi 30 juin 2009

Les classes moyennes oubliées et précarisées, par Jean-Philippe Huelin

Cet atlas paru en 2005 reste particulièrement instructif. En voici une note de lecture qui reprend ses principaux acquis.

Dix ans après la campagne victorieuse du candidat Chirac, ce livre est comme l’exploration de la face cachée de son thème de campagne : la lutte contre la fracture sociale. Derrière une présentation soignée et conviviale, composée de nombreuses cartes, tableaux et graphiques tous très lisibles, cet atlas est dans son commentaire une véritable bombe politique ainsi qu’un utile outil de travail pour l’honnête homme soucieux de sa cité. Il faut beaucoup de jeunesse et beaucoup d’indépendance à ses deux géographes pour nous réconcilier avec cette discipline jargonnante, académique et trop souvent incompréhensible qu’est devenue la géographie. Ici, au contraire, ils se « mouillent » en adoptant à la fois le sérieux de l’analyse, un regard sans concession sur une réalité souvent cachée et des commentaires qui remettent bien des discours à leur place. Le sujet du livre est d’ailleurs révélé dès le sous-titre : les classes moyennes oubliées et précarisées. Et nous lisons la charge la mieux illustrée et la plus argumentée sur les errances du chiraquisme ; les auteurs font le constat de l’accentuation des inégalités sociales au détriment des couches populaires doublée d’une ségrégation territoriale qui les éloigne toujours plus des centres.

Pour en finir avec le mythe de la classe moyenne, les auteurs n’ont besoin que d’un chiffre ; la France est toujours majoritairement composée des couches populaires, employés et ouvriers, qui représentent 60 % de la population active soit une part constante depuis 1954. Cette réalité nous paraît pourtant incroyable car ces couches populaires ont disparu des discours depuis longtemps. En fait, les couches populaires les premières ignorent assez largement leur statut social. Ce sont les effets encore prégnant du mythe des Trente Glorieuses qui devait permettre à ces couches populaires d’intégrer la fameuse classe moyenne, signe d’ascension sociale et récompense promise à ceux qui reconstruisaient le pays. Il ne devait rester aux marges de la société qu’un petit nombre de démunis ou d’exclus. Cette promesse généreuse avait à l’époque les moyens économiques de ses ambitions sociales, la croissance constante et soutenue pouvait laisser croire à tous ceux qui travaillaient que l’embourgeoisement était au bout du chemin. Ce mythe a eu des effets tellement dévastateurs dans les couches populaires que trente ans après le début du retournement de tendance économique, il continue à enfumer la réalité ; d’abord dans la mesure où les couches populaires y croient encore et ensuite car cette illusion a détruit toute conscience de classe, toute lisibilité puis toute existence politique du peuple dans les représentations collectives. Comment dès lors prendre en compte les problèmes de catégories qui n’existent plus ?

Aujourd’hui, ces couches populaires encore appelées classes moyennes par habitude sont à la fois loin, récupérées, dominées et finalement oubliées par les élites. Le premier constat à faire est en effet l’éloignement des centres-villes que subissent les plus modestes. A cause de l’augmentation des prix de l’immobilier au cœur des villes, les ouvriers ont d’abord été relégués en banlieue, puis actuellement de plus en plus vers les espaces périurbains voire ruraux. Alors que l’étalement urbain s’intensifie, les plus modestes sont progressivement renvoyés toujours plus loin des centres d’où une croissance vertigineuse des temps de déplacement pour aller travailler. Cette ségrégation territoriale renforcée par le coût de l’immobilier peut avoir des conséquences dramatiques. A ce propos, les auteurs s’attardent sur le statut social de l’habitat pavillonnaire qui bourgeonne dans les grandes périphéries des métropoles : est-il la marque d’une ascension sociale ou d’un déclassement ? Si l’accès à la propriété est le souhait de beaucoup de Français et en particulier des habitants des grands ensembles urbains dont les conditions de vie se détériorent, le pavillon de grande banlieue peut rapidement devenir un piège qui se referme sur ses occupants. Avec la précarisation des emplois du secteur privé, le risque du chômage puis du surendettement guettent ces couches populaires qui se croyaient tranquilles ; d’autant plus que les lotissements sont victimes de l’éloignement des centres et d’un véritable sous-équipement public. Il n’y a qu’un pas de la relégation urbaine au déclassement social qui nourrira les votes extrémistes.

Depuis une vingtaine d’années, on observe un « renouvellement » social au centre des villes. Profitant de la désindustrialisation des villes qui ne consentent plus qu’à accueillir les emplois très qualifiés pour des activités jugées prestigieuses (direction, recherche, communication…) et donc de l’augmentation du prix de l’immobilier, les nouvelles classes bourgeoises (les bobos ou bourgeois post-industrialisés) investissent les anciens quartiers ouvriers des villes et récupèrent cette culture ouvrière dont seuls les oripeaux survivent par eux. Ce changement ne se fait pas sans violence symbolique et sociale dont sont victimes les couches populaires qui se voient dépouillées d’un ancrage ancien dans les centres et d’une culture qui leur donnait une unité. Ce phénomène, qui fonctionne selon le modèle américain dit de gentrification, se manifeste clairement dans le quartier de la Bastille (XIe arrondissement de Paris) par exemple. Encore majoritaire au début des années 1980, les classes populaires quittent le quartier remplacées par des cadres supérieurs nés avec la société de l’information, sans même permettre l’installation des catégories intermédiaires. La « mixité sociale », tant vantée par les bobos, ne résiste pas et en particulier par rapport à la carte scolaire où l’évitement social vers les « bons établissements » est devenu la règle. Politiquement, le discours et la pratique bobo participe du brouillage des classes. Avec les apparences du peuple mais les intérêts de la bourgeoisie, ils votent certes socialistes à Paris et Lyon (pour ne pas se mélanger avec la bourgeoisie traditionnelle) mais ils substituent aux questions sociales la mise en scène d’un faux conflit à base de disputes sociétales (environnement, place de la voiture en ville, mariage homosexuel…).

En réalité, la récupération de la culture ouvrière a de plus en plus de mal à cacher la domination des élites, à laquelle appartiennent les bobos, sur le peuple. L’embourgeoisement massif des centres a provoqué l’édification de véritables « ghettos de riches » qui ont renforcé leur poids politique en imposant dans le débat public leurs préoccupations (temps libre, 35 heures, baisse de l’impôt direct…). Quand elle est évoquée, c’est-à-dire rarement, la question sociale ne recoupe que les revendications des catégories moyennes et supérieures du secteur public, jusqu’à la caricature. Lorsque les seules manifestations de contestation sociale sont dues aux professeurs, aux artistes voire aux chercheurs, aussi légitimes que soient leurs revendications, on peut se demander quelle est la représentativité du « mouvement social » ! D’autant plus quand on sait que les cadres sont aujourd’hui proportionnellement plus syndiqués que les ouvriers et que la fonction publique, secteur protégé du chômage, l’est quatre fois plus que le secteur privé… Bref, les couches populaires ont disparu de la rue, des centres-villes et des médias, elles sont reléguées en périphérie de la vie sociale et devenues aphones politiquement.

Si certains ne veulent plus ni voir ni entendre parler des couches populaires, c’est parce qu’elles subissent de plein fouet les ravages de la mondialisation néolibérale et de nos jours les perdants n’ont pas bonne presse. Victimes de la désindustrialisation des régions industrielles du Nord et de l’Est de la France, reléguées loin des centres des villes, marginalisées socialement et privées d’une culture autonome, les couches populaires survivent dans le silence et l’oubli. Longtemps, le Parti communiste et sa contre-culture leur ont donné une fierté et un poids politique dans la société française. Par la confrontation, le PCF imposait des politiques plus équilibrées qui laissaient place à une certaine justice sociale au sein de l’économie de marché. Aujourd’hui, la marginalisation des communistes ne laisse comme expression politique aux plus modestes que l’abstention ou le vote extrémiste qui renforcent encore la mise à l’écart politique.

Toute l’ironie de cet atlas était de nous fournir plus de six mois avant le référendum sur la Constitution européenne une carte très précise de ce qui allait devenir la France du NON. Par ce vote qui refuse d’entériner l’état du monde et de l’Europe tel qu’il est, les couches populaires se sont saisies d’un des derniers droits que lui reconnaît notre République démocratique, celui de voter ce que l’on veut malgré toutes les pressions des médias ; rudoyant au passage ces mêmes médias qui ne cessent de clamer que le peuple n’existe plus, qui ne se focalise, par intermittence et par bons sentiments, que sur l’exclusion et la grande pauvreté en sous-entendant que les couches populaires ont intégré une vaste classe moyenne. D’une certaine façon, ce discours du mensonge et de l’oubli du peuple a renforcé le rejet des élites. L’autre France, celle qui perd et qui est abandonnée, est entré en fureur contre la France qui gagne mais qui est finalement minoritaire. Implicitement, la France d’en bas comme l’appelait Raffarin a manifesté son existence à la France d’en haut, elle l’a invité à se dégriser d’une mondialisation enivrante, elle lui a rappelé que le contrat républicain impose de la solidarité et de la justice sociale. Mais cette interpellation a-t-elle été comprise par les élites politiques ? Rien ne serait plus grave que de laisser se creuser le fossé entre les deux Frances. Les auteurs de cet atlas posent d’ailleurs avec lucidité la seule véritable question qui reste après le résultat du 29 mai 2005 : quelle place pour les couches populaires dans une société post-industrielle et mondialisée ? Plus que cela même, à nous politiques, ils font la liste des sujets à étudier enfin : précarisation des salariés modestes du secteur privé, survalorisation foncière et immobilière qui mène à la ségrégation territoriale, fin de la promotion sociale par l’Ecole pour les plus modestes auxquels on peut rajouter en matière de politique urbaine la modernisation des transports et la redensification des villes pour ralentir l’étalement urbain. Voilà des sujets sur lesquelles nous devons plancher pour tenter de redonner une ambition et une unité à la France.

Atlas des nouvelles fractures sociales
de Christophe Guilluy et Christophe Noyé
Paris, Editions Autrement, 2004

Une gauche à la Pyrrhus

Un an et demi après, le constat est tristement encore d'actualité...


Pourquoi le PS s’est-il coupé des couches populaires ?

La gauche peut gagner les municipales mais elle peut être vaincue par ses propres conquêtes, comme en 2004. Trois mois avant les élections municipales, le Parti socialiste ne semble faire preuve d’aucune lucidité quant aux causes de son échec du printemps dernier. Incapable de sortir des petits conflits de personnes, il est en train de rater son renouvellement idéologique. Incapable de répondre à la question essentielle de la mondialisation, il s’abaisse à laisser deux des siens - Pascal Lamy et DSK - diriger l’OMC et le FMI, dont le rôle est précisément de renforcer le processus de dérégulation planétaire. Incapable, en France, de faire une critique efficace de la politique sarkozyenne, il se contente d’en critiquer le « style » ou la « méthode ». Pourtant le PS « gagnera » les municipales. Sans grand suspense gagnera-t-il à Paris et Lyon, sans doute conquerra-t-il des villes comme Strasbourg ou Bordeaux… Mais, loin de ce cosmétique « socialisme municipal », il nous faut regarder de près l’incompréhension que le PS manifeste à l’égard de la nouvelle sociologie électorale française, qui le condamne, en fait et malgré les apparences, à une très longue cure d’opposition…

La France est, comme l’ont brillamment souligné les géographes Christophe Guilluy et Christophe Noyé dans leur Atlas des nouvelles fractures sociales, victime d’une forme de ségrégation spatiale et sociale d’ampleur. A contrario des villes-centres « prescripteurs », les périphéries urbaines et les zones rurales accueillent, pour leur part, un nombre croissant d’ouvriers et d’employés. Pour mémoire, peut-on rappeler qu’il y a en France environ 60 % d’ouvriers et d’employés, curieusement absents du discours des élites du PS… Béatement, certains socialistes se sont mis à admirer les scores réalisés par leur parti dans les arrondissements du centre de Paris ou dans certains quartiers en voie de « gentrification ». Seulement, les socialistes ont oublié que, dans le même temps, ils sont en perdition dans de larges secteurs de notre pays.

Dans le nouveau contexte sociologique français, le rapport à la mondialisation est déterminant. 51 % des Français qui sont pour « imposer les entreprises qui délocalisent » et 49 % de ceux qui voyaient la mondialisation comme un « danger » ont voté… Nicolas Sarkozy ! Si Ségolène Royal a fait mieux que Jospin (1995 et 2002) chez les ouvriers (25 % le 22 avril), le PS reste à la traîne par rapport à la droite, qui rassemble plus de 60 % d’entre eux. On peut multiplier les exemples de la crise sociologique qui frappe l’électorat de gauche et du faux virage à droite de la société française. En effet, les ouvriers et les employés ne sont pas devenus de droite. Avec un taux global record de refus de l’économie de marché (50 %), on ne peut pas dire que nos concitoyens cèdent au néolibéralisme ! Ce n’est pas être de droite que de s’inquiéter de la mondialisation !

Le PS mise actuellement sur une alliance des villes-centres et de ses proches banlieues, alliance sociologique durablement minoritaire (le 29 mai 2005 comme le 6 mai 2007), alors qu’il lui faut penser l’alliance des banlieues et des zones périurbaines, c’est-à-dire reconquérir les classes populaires et constituer ce qui fait le succès d’une authentique stratégie socialiste : un front de classe ! Ouvriers, employés des banlieues et des zones périurbaines ou rurales, mais aussi artisans ou professions intermédiaires doivent faire l’objet d’une attention et d’un dialogue renouvelés. Eux qui ont soutenu le discours volontariste de Sarkozy ne seront convaincus par le PS que s’il adopte un projet républicain et socialiste tournant le dos aux serpents de mer néolibéraux. Pour ce faire, la gauche doit définir un nouveau rapport à la mondialisation, se déterminer sur le protectionnisme européen, sur le déséquilibre capital-travail, sur les services publics, sur l’école… Alors que certains claironnent que le PS doit succomber aux délices d’une social-démocratie battue dans le monde entier, les préférences des classes populaires sont à l’opposé de celles des hiérarques solférinesques…

Collectivement, nous devons désormais procéder au renouvellement idéologique et programmatique de notre camp pour établir, le plus tôt possible, l’hégémonie culturelle nécessaire aux victoires électorales à venir. À défaut, le risque, pour le PS, c’est, pour prendre une allégorie astrophysique, de se rétracter sur les centres-villes et de devenir une « naine blanche ». Refusant de s’adresser aux marges, c’est lui qui, finalement, sera électoralement marginalisé.

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin

L'Humanité, 1er décembre 2007
http://www.humanite.fr/2007-12-01_Tribune-libre_Une-gauche-a-la-Pyrrhus

dimanche 14 juin 2009

Les chefs socialistes n'ont toujours rien compris ! par Jean-Philippe Huelin, publié sur le site Marianne2

Jean-Philippe Huelin explique sa colère contre les réactions (ou plutôt l'absence de réaction) des socialistes, et notamment Catherine Trautmann, eurodéputé de l'Est, après la bérézina du 7 juin.

Au dépit s’ajoute la colère. On n’épargne décidément rien aux derniers militants socialistes. Après le résultat catastrophique de dimanche soir, il doit en effet avaler dès le lendemain la littérature « décalée » de ses heureux élus. Parmi eux, le communiqué de presse publié par Catherine Trautmann (voir encadré ci-dessous), tête de liste socialiste dans le Grand Est, en dit long sur les causes de la Bérézina.

C’est technocrate, hautain, méprisant, jargonnant, européiste et finalement symptomatique d’une certaine classe dirigeante socialiste qui depuis 10 ans n’a toujours rien compris. Bref, c’est du Jospin, en pire… Ce qui regrette Madame Trautmann, c’est « l’affaiblissement de l’idéal européen ». En ne se déplaçant pas, le peuple heurte le dernier idole de notre hiérarque socialiste. Ce n’est ni le score ridicule de son parti, ni l’avenir de la Gauche qui la préoccupe, c’est son idéal qui n’est plus socialiste (on le savait depuis 1983) mais européen.

Catherine Trautmann devrait lire Védrine !
Comme lors de la belle époque des affrontements entre souverainistes et fédéralistes, les ennemis sont les « nationalismes » dont la « montée » est perpétuellement « inquiétante », ce sont les « gouvernements européens » qui empêchent l’épanouissement d’une « Europe des citoyens ». Mais dans quel monde vit donc Mme Trautmann ? Cette logorrhée est datée, caduque, renvoyée dans les placards de l’histoire depuis le référendum de 2005. Elle pourrait quand même investir un peu de son temps pour lire Hubert Védrine ! Plus que des électeurs, c’est de son côté que l’on révèle le plus de « frustration », celle de ces élites omniscientes qui n’acceptent jamais d’avoir tort, de pas être suivies par ce peuple ignare.

Comment ce peuple européen, français ici, a-t-il pu se détourner du Manifesto, la pierre philosophale des sociaux-démocrates en fin de vie ? Il avait pourtant de l’allure ce texte qui prenait bien la peine d’avertir les rebelles gaulois que leur « non » de 2005 se transformait en un « oui » mystique au traité de Lisbonne, son replâtrage sarkozyen. Madame Trautmann doit avoir raison, ce qui manque aux socialistes français est certainement la « crédibilité » incarnée par des responsables qui, comme elle, savent respecter l’électeur, qui ne jouent pas de la démagogie dont use le Président français…

Jusqu’où vont nous mener cette élite socialiste autocentrée et sourde aux préoccupations populaires ? Jusqu’à quand faudra-t-il mettre son poing dans sa poche au nom de la lutte contre Sarkozy ? Aux vues des résultats, il va quand même falloir que la direction socialiste se remette en cause au risque de finir comme le Parti Radical de nos aïeux : une queue de comète politique, plus proche de l’assiette à beurre des collectivités territoriales que du gouvernement d’un peuple souverain.

Communiqué de Catherine Trautmann le 8 juin 2009

Les résultats d’hier avec un taux d’abstention catastrophique, jamais atteint depuis 1979, marquent pour moi d’abord l’affaiblissement de l’idéal européen : l’Union européenne est à un tournant de son histoire ; il lui faut à présent trouver rapidement un nouveau souffle si elle ne veut pas devenir un simple artefact des gouvernements européens. Sans participation électorale, pas de légitimité démocratique ! La montée inquiétante des nationalismes dans certains Etats-membres, participe également à cette négation du projet européen.

Cette abstention peut être interprétée comme l’expression d’une frustration des électeurs par rapport à un projet européen qui leur échappe et la revendication d’une plus grande transparence sur la façon dont le PE peut exercer son pouvoir et dont les décisions sont prises. C’est aujourd’hui la responsabilité des élus au Parlement européen de redoubler d’efforts pour donner un sens à l’Europe.
A l’échelle de l’Union, les Socialistes, unis comme jamais autour d’un véritable projet commun élaboré et porté par l’ensemble des partis membres du PSE –le Manifesto– n’ont pas réussi à incarner de façon crédible l’alternative que ce programme pouvait représenter.

En outre, la défaite du Parti Socialiste français s’explique notamment par une confusion entretenue entre enjeux nationaux et enjeux européens. Et malgré la campagne collective menée sur le Grand Est, c’est l’absence d’unité nationale qui nous a été clairement reprochée.

Aujourd’hui, la question qui se pose à nous autres Socialistes Français, est bien celle de la crédibilité de notre parti, alors même que nous devrions être une force majeure de proposition. Je salue d’ailleurs le courage de Martine Aubry qui en reconnaissant la défaite du Parti socialiste a aussi entendu le message que les Français nous ont adressé. Car si les victoires sont collectives, il est bon de rappeler que les défaites le sont également !

Aujourd’hui, les Européens ont fait le choix d’avoir un Parlement clairement à droite. Il faudra que le PPE l’assume demain. Se pose la question du contrepoids politique face à la Commission et au Conseil, puisqu’avec de tels équilibres nous prenons le risque de prendre le chemin d’une Europe des gouvernements et non d’une Europe des citoyens. La responsabilité des forces de gauche est d’organiser un contrepouvoir, de trouver un mode de gouvernance alternatif au sein du Parlement européen. C’est un enjeu pour les semaines qui viennent. En ce qui me concerne, j’ai pris des engagements clairs sur des sujets sensibles vis-à-vis des électeurs du Grand Est. Je resterai fidèle à ces engagements, et mon action s’inscrira bien sur le fond et dans la durée.

Source: http://www.marianne2.fr/Les-chefs-socialistes-n-ont-toujours-rien-compris-!_a180679.html

Existe-t-il un risque de marginalisation de la gauche ? par Gaël Brustier

Une mauvaise appréhension de la nouvelle géographie sociale de notre pays et de la mondialisation par la social-démocratie, mais également par une partie de la « gauche radicale » française, nous oblige à tirer la sonnette d'alarme.

Un ancien Premier ministre socialiste avait parlé de « deux France » pour décrire notre pays. A la vérité, aujourd'hui, il y en aurait plutôt trois :

  • Celle des centres urbains, qui sont les lieux les plus en prise avec le modèle néolibéral et concentrent les populations qui en sont les principales gagnantes ;
  • Celle des banlieues, qui accueille ce que l'on pourrait définir comme un prolétariat des services, précarisé lui aussi à l'extrême ;
  • Et enfin une France presque invisible et pourtant majoritaire, celle des zones périurbaines et rurales rassemblant les populations précarisées dont l'emploi qualifié est le plus menacé par les règles de rentabilité financière (Gandrange, Sandouville etc.).

La gauche est forte dans les villes-centres « gentrifiées » et dans les banlieues, tandis que la droite de M. Sarkozy fait son miel dans les zones périurbaines et rurales tout en drainant les voix des quartiers bourgeois de la droite ancestrale. Cette équation électorale rend la droite sociologiquement majoritaire et peut empêcher durablement la gauche d'accéder au pouvoir.

Evidemment, les victoires aux élections municipales et cantonales ont donné l'illusion d'une bonne résistance électorale de la gauche ; certains ont préféré attribuer les échecs de celle-ci à la « division » (2002) ou au prétendu mauvais choix de sa candidate (2007). Il n'en est rien.

En fixant toute son attention sur les villes-centres pour remporter des victoires symboliques (Paris, Lyon, Strasbourg etc.), la gauche s'est enfermée dans une alliance sociologique minoritaire à l'échelle du pays. Par chance, la droite ne dispose pas du réseau de cadres locaux lui permettant de concurrencer le travail d'imprégnation du tissu des collectivités locales entrepris depuis les années 70 par le Parti socialiste.

Pour un temps au moins, le PS peut se stabiliser à la tête d'importantes collectivités territoriales sans pour autant être en mesure de concurrencer la droite aux élections nationales.

En somme, le tour de passe-passe de Nicolas Sarkozy a été, en 2007, de faire voter pour lui les ouvriers de l'Est industriel et les traders de la Défense, c'est-à-dire à la fois les victimes directes et les supplétifs de luxe de la mondialisation néolibérale. Il reste donc à la gauche à mieux comprendre l'articulation entre cette nouvelle géographie sociale française et la mondialisation néolibérale.

Ce n'est évidemment pas gagné… Mais une critique efficace et raisonnée du capitalisme financier pourrait être la base d'un front sociologique très large garant de succès à venir.

Le risque en effet est de voir le parti organique de la gauche -le PS- se cantonner à une critique de surface de la mondialisation néolibérale et de ne pas considérer la présente crise comme la crise du système capitaliste à redéfinir totalement. La question n'est pas de « moraliser » l'actuelle configuration du capitalisme mais de revenir sur le processus d'autonomisation des marchés financiers et sur leur capacité à dominer l'économie réelle.

A cette condition, la gauche peut devenir le porte-voix des Français qui ne vivent que de leur travail et orienter la social-démocratie internationale vers un autre destin que celui de spectateur dégagé de la course folle de la mondialisation financière.

Il reste aussi à régler le problème des rapports entre gauche radicale et social-démocratie : il faut que la gauche radicale, dans le champ intellectuel comme dans le champ politique, soit capable de mener un dialogue de fond avec les sociaux-démocrates et cesse de « tirer sur le pianiste ».

Il lui appartient de savoir prendre en compte la nécessité de préserver au Nord et de bâtir au Sud les seuls instruments capables d'offrir un véritable débouché aux aspirations progressistes : les Etats.

A ces conditions, les forces de gauche peuvent mener les combats culturels et électoraux victorieux que le contexte international et les intérêts de notre pays imposent.

Par Gaël Brustier | Chercheur en science politique | 27/10/2008
Source: http://www.rue89.com/2008/10/27/existe-t-il-un-risque-de-marginalisation-de-la-gauche