vendredi 29 avril 2011

Hollande : "chef anesthésiste d'une gauche aux idées étriquées"

Candidat aux primaires socialistes, François Hollande a lancé sa campagne ce mercredi 27 avril à Clichy-la-Garenne. Militant socialiste et co-auteur du livre "Voyage au bout de la droite", Jean-Philippe Huelin se montre sévère à l'égard de l'ancien Premier secrétaire de son parti qui ne s'empare pas suffisamment, selon lui, des questions majeures de notre époque.

On a les Rubicon qu’on peut et, pour François Hollande, Clichy-la-Garenne (« socialiste depuis un siècle » !) demeurera le sien face aux légions strauss-kahniennes. Le député de Corrèze s’est donc pleinement lancé mercredi soir dans la bataille pour les primaires. Impossible pour lui maintenant de faire machine arrière et de se retirer en négociant des places avec l’exilé de Washington. Oubliée sa vocation de comique troupier qu’il a pu développer à loisir naguère à la tête du PS : le nouveau Hollande est amaigri et sérieux, presque ennuyeux. Il a des propositions à faire pour la France. Prenons-le au mot et examinons…

Des propositions qui oublient les questions essentielles de notre époque

Son projet est fondé sur trois axes : la jeunesse, des impôts justes et le travail. Se côtoient donc « contrat de génération » permettant aux plus jeunes comme aux plus vieux de rester actifs avec des aides publiques, fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG et nouvelle démocratie sociale sur fond de participation… Sur ces sujets, on nous dit que le candidat a beaucoup travaillé, loin du tapage médiatique, entouré d’experts, avec sérieux.

Décidément, il y a un passé (passif ?) que le clan hollandais veut à tout prix faire oublier. On serait tenté d’y croire si le nouveau Hollande ne maitrisait pas l’art de l’esquive aussi bien que l’ancien Hollande l’art de la petite phrase.

Où est-il question de la mondialisation néolibérale, de la désindustrialisation de notre pays (voir le récent rapport du sénateur Bourquin) et des éventuelles solutions dans un protectionnisme européen qui érigerait des écluses sociales et environnementales aux importations venues du grand large ? Serait-ce les « vents dominants » qui effrayent l’ex-deloriste ? Et on ne parle même pas de la question de l’euro… Comme si les grands débats n’allaient pas être au centre des primaires ni de l’élection présidentielle, le candidat Hollande semble délimiter le champ du discutable et du non-discutable. Quand on a renoncé à mener des politiques budgétaires, monétaires et industrielles, on en est effectivement réduit à gérer les conséquences de la mondialisation néolibérale d’où les trois fameux axes de la campagne hollandaise.

DSK et Hollande : un renoncement commun

Il y avait donc, avec Dominique Strauss-Kahn, le renoncement assumé au socialisme sous label Washington, capitale de la finance mondiale, il y a aujourd’hui le renoncement patelin et biaisé à la mode de chez nous. Finalement, le Corrézien Hollande c’est Chirac moins la flamboyance. Il ne reste donc que le « petit père Queuille » celui qui théorisa l’évitement des problèmes.

En réalité, s’il monte dans les sondages, c’est certainement parce qu’il incarne le mieux le PS d’aujourd’hui. Après avoir organisé un long coma idéologique de dix ans comme fondé de pouvoir de Lionel Jospin (1997-2007), François Hollande est aujourd’hui l’incarnation du « socialisme municipal » qu’il a fait naître, celui qui gagne les élections locales pour éviter de vouloir changer le monde. Dans ces primaires, le candidat Hollande sera le chef anesthésiste d’une gauche aux idées étriquées et aux rêves qui se limitent à l’Élysée et l’Assemblée. Un moindre mal sans doute…

Jean-Philippe Huelin, Atlantico.fr, 29 avril 2011

jeudi 28 avril 2011

La droitisation des esprits

L'an dernier, dans Le Monstre doux (Gallimard-Le Débat), Raffaele Simone s'interrogeait sur l'émergence en Occident d'une droite adaptée à la nouvelle donne capitaliste, émergence qui depuis deux ou trois décennies laissait les gauches sans ressort. À titre d'explication, il mettait en avant la séduction hédoniste sur laquelle avaient joué des gens comme Berlusconi ou Sarkozy. Aujourd'hui, dans Voyage au bout de la droite, Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin reprennent le débat sur des bases qui paraissent plus solides et vont davantage à l'essentiel. Pour les deux auteurs, une nouvelle droite est donc apparue en différents pays dont le coup de génie a été d'emprunter à la gauche son esprit de contestation. Une droite agressive voulant bousculer l'ordre régnant et rompant avec le vieux conservatisme du changement dans la continuité».

Dans ses analyses, ce Voyage au bout de la droite emprunte largement à la pensée de Gramsci et à sa conception de l'hégémonie culturelle. Tout simplement parce que la droite nouvelle (un «dextrisme»!) a compris que, dans la montée d'un mouvement politique et la constitution de ses thèmes de combat, il fallait s'assurer une domination culturelle large.

C'est aux États-Unis que, très tôt, ce coup de force a eu lieu, et en particulier sous Reagan, ce véritable chef de guerre. Nous sommes après le Vietnam et les mouvements étudiants. Pour quelques penseurs, réunis dans des groupes de réflexion et des revues, il est grand temps de reprendre la main face à une gauche intello qui sature l'idéologie régnante. Pour les inspirateurs du mouvement, il s'agit par ailleurs de s'appuyer sur quelques grands thèmes, produits des « paniques morales» ambiantes : déclin de l'Occident, montée de l'islamisme et de son terrorisme, crise de l'État nation, etc.

Mais le plus remarquable est que bien souvent ce sont des penseurs et politiques venus de la gauche qui entretiennent ces thèmes et mobilisent à partir d'eux, anticommunisme ou antitotalitarisme compris. Ceux-là s'identifient d'emblée comme étant des néoconservateurs - en abrégé « néocons » - et vont faire le procès d'une gauche libérale qui, dans sa défense des causes raciales ou des droits de l'homme, a perdu de vue les couches populaires blanches et leur revendication égalitariste.

Or, tout cela va faire tache d'huile dans différents pays d'Europe. Vont, en effet, prendre le relais Thatcher au Royaume-Uni (que relaie Blair sous une bannière de gauche édulcorée) et, plus tard, Berlusconi en Italie. Côté français, un Balladur représente ce courant, avant que ne vienne Sarkozy. Mais, en France, est surtout remarquable le glissement de toute une mouvance de penseurs de gauche (« nouveaux philosophes », Gauche prolétarienne) dans les rangs d'une droite antitotalitaire, pro-guerre en Irak, etc.

À partir de quoi, Brustier et Huelin passent en revue avec beaucoup d'allant les différentes situations «régionales».

La nouvelle droite ne s'est pas faite en un jour et ne s'est pas faite toute seule. Elle a ses leaders, déjà cités, mais aussi ses penseurs et stratèges. Ceux-ci nous valent dans l'ouvrage quelques portraits percutants qui retracent des carrières sinueuses : Newt Gingricht aux States, Alastair Campbell en Grande-Bretagne, Gianfranco Fini en Italie, Henri Guaino en France. Le dextrisme atteint par ailleurs un électorat inattendu qui correspond à toute une reconfiguration sociale. Ainsi de larges pans des couches populaires sont passés de son côté, dont le vote est éminemment mobile. Mais n'était-ce pas déjà le cas au temps des fascismes?

Au total, le néoconservatisme brouille considérablement le spectre idéologique. On a parfois peine à le situer exactement. Que penser des actuelles Tea Parties américaines, qui se tiennent au dehors des grands appareils ? Où mettre les partis nationalistes qui s'appuient sur des régions riches visant à gérer égoïstement leur prospérité - de la Lega italienne à la NVA belge ? De plus, le néoconservatisme a toute une gamme de stratégies : elle va des interventions brutales et antidémocratiques comme de casser les syndicats avec Thatcher ou de mettre la main sur les médias avec Berlusconi jusqu'à des attitudes plus soft comme cet hédonisme sécuritaire dont se réclame la tendance bling-bling (laissez-nous jouir de l'existence au calme). Il n'en reste pas moins que les paniques demeurent et sont soigneusement entretenues.

Bref, dans tout cet écheveau, il y a de quoi s'y perdre comme s'y perdent par moments les deux auteurs. Mais ils ont procédé à un excellent déblayage autour d'un thème fort. À d'autres de creuser à présent. À la gauche par ailleurs, mais c'est une autre paire de manches, de se donner à nouveau de grands thèmes de conquête et de combat qui fassent pièce à la «fausse conscience» de la droite.

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, Voyage au bout de la nouvelle droite. Des paniques morales à la contestation ordinaire, Paris, Mille et une nuits, 2011. 18 €.

Jacques Dubois, 28 avril 2011

Retour sur les cantonales dans le Jura

lundi 11 avril 2011

Patrick Buisson fustige les prolophobes... mais travaille pour eux !

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin répondent à la « prolophobie » - un concept qu'ils ont inventé - brocardée par Patrick Buisson dans Paris Match. Ils montrent que le conseiller de Nicolas Sarkozy travaille pour une droite qui n'a elle non plus rien de « prolophile ».

Depuis quelques jours, le terme de prolophobie fait florès. Dans un entretien donné à Paris Match le 29 mars 2011, Patrick Buisson, stratège de la droite et éminence grise du Président de la République, s’est en effet saisi d’un concept que nous avions inventé dans notre livre Recherche le peuple désespérément publié en 2009. Pour nous, il ne s’agissait pas de créer une panique morale en ajoutant une phobie de plus au manuel, déjà bien épais, des bons sentiments. Il s’agissait d’apostropher la gauche sur son rapport teinté de méfiance ou de défiance avec les catégories populaires qu’elle était censée représenter dans sa diversité. Nous n’avons pas déposé le terme et ne demandons aucun droit d’auteur mais puisque M. Buisson nous fait l’honneur de le reprendre à son compte, gageons qu’il acceptera notre grain de sel à son analyse.

Remarquons d’abord qu’il ne suffit pas de dénoncer la prolophobie pour être « prolophile ». La droite actuelle n’a rien de « prolophile », accordons lui d’être simplement pragmatique sinon un tantinet cynique. Il y eut une classe ouvrière pro-Reagan, il en eut une pro-Thatcher. Les régions industrielles d’Italie voient leurs ouvriers voter à droite et à l’extrême droite. Cette réalité électorale ne manifeste pas pour autant un basculement de cette droite dans le camp du progrès social ni de la révolution prolétarienne. Les ouvriers français attendent toujours les effets du slogan de 2007 : « Travailler plus pour gagner plus » … C'est peut-être d'ailleurs dans ce slogan que l'on retrouve les ressorts véritables de l'élection de Nicolas Sarkozy qui avait combiné habilement dimension économique et sociale d'une part et dimension culturelle et identitaire de l'autre. La combinaison des deux donnait cohérence et force à sa coalition sociale dans les urnes.

Le conseiller du Prince observe justement la délégitimation sociale d’un grand nombre de nos concitoyens – ouvriers ruraux, employés périurbains – quasi-absents du débat public, mais on ne comprend pas bien de quelle « classe dirigeante » il parle quand il dit : « Le mépris dans lequel les tient la classe dirigeante a quelque chose de sidérant. Nos élites sont mues par une invraisemblable prolophobie dont elles n’ont parfois même pas conscience. » Parle-t-il bien de la même classe dirigeante que nous, celle qui depuis dix ans fait des moulinets verbaux mais reste bien calée dans l’orthodoxie néolibérale ? Ou bien est-ce un raccourci pour désigner une fois de plus les élites soixante-huitardes qui seraient, malgré toutes les alternances, au pouvoir sans discontinuer depuis quarante ans ? On s’y perd un peu…

Patrick Buisson omet également une explication (alors qu’il fut l’artisan du rapprochement Villiers-Goldsmith en 1994) : deux systèmes de légitimation se font concurrence en France. Il y a une déconnexion entre le processus décisionnel européen – consensuel et élitaire – et le champ démocratique français – conflictuel et ancré dans la souveraineté populaire. Pour plus de rigueur et de cohérence, on aurait aimé que l’analyste de la prolophobie de 2011 ne participât pas à l’équipe présidentielle qui a fait passer par la fenêtre (celle du traité de Lisbonne), ce que le peuple français (et les couches populaires dans des proportions encore supérieures à la moyenne) avait évacué par la grande porte en mai 2005 ! De mauvais esprits pourraient dire qu’il a, à cette occasion, succombé à une méprise très prolophobe, « sans en avoir conscience » assurément…

Si la réponse à la mondialisation néolibérale et aux questions posées par le libre-échange demeure un enjeu fondamental (et alors même qu’un certain consensus élitaire, dont fait partie M. Sarkozy, interdit tout débat public sur ces questions), on ne peut nier aux représentations collectives une autonomie relative mais réelle par rapport aux problèmes économiques objectifs. N’y a-t-il pas là une explication aux difficultés des social-démocraties mais aussi de la « gauche de la gauche » ou de la gauche républicaine à parer le phénomène de droitisation ?

Prolophobie et droitisation

La prolophobie donne, nous semble-t-il, l’occasion d’aborder la question de la symbolique et des représentations collectives en politique.

Patrick Buisson commet en outre une erreur d’analyse : les classes populaires ne votent pas FN parce que le FN serait « identitaire » mais parce qu’il leur semble être aujourd’hui le seul à s’opposer à la cogestion des conséquences du libre-échange et à porter une forme de symbolique correspondant à la vision qu’ils se font du monde. C’est cette articulation des deux phénomènes qu’avait pourtant réussi le candidat Sarkozy en 2007. Il convient donc de relativiser une explication qui ne serait qu’économique et sociale et qui dénierait à la poussée du Front National toute dimension « culturelle ». Mais c’est néanmoins la question de la non-résolution des problèmes liés à la mondialisation néolibérale qui est au cœur du problème. Miser sur les pèlerinages pour redresser la situation, c’est assurer à son candidat le destin du Comte de Chambord, prétendant au trône écarté pour avoir plus pensé au drapeau blanc qu’à la France.

Classique, la différence entre l'idéologique et le culturel explique l'échec des débats sur l'identité nationale ou la faiblesse de l'adhésion à un discours sur les racines chrétiennes de la France. Il faut néanmoins se défier de solutions qui feraient l'impasse sur la dimension culturelle de la droitisation. Penser que des solutions purement économiques résoudront le divorce entre la gauche institutionnelle et les classes populaires risque de conduire à une impasse...

La gauche peut-elle continuer de nier la force propulsive de l’imaginaire collectif et son autonomie par rapport aux questions économiques et sociales ? Ce serait passer à coté d’une autre réalité importante de l’évolution électorale du pays. L’exemple du vote « chasseur » démontre que la droitisation n’est pas liée exclusivement à des questions économiques et sociales. Dans un certain nombre de cantons, les voix CPNT sont, dès le premier tour, purement et simplement captées par le candidat du FN. Nicolas Sarkozy avait déjà largement capté ce vote en 2007 alors qu’il avait peu parlé de « chasse », de « pêche », de nature et de traditions (toutes choses qui lui sont parfaitement indifférentes). Rappelons que le vote CPNT n’est, à l’origine, pas lié à la désindustrialisation du pays ni, directement, aux difficultés économiques et sociales que connaissent nos concitoyens. Rappelons aussi que pour 11 millions de Français ruraux, ce vote « chasseur » a pu représenter jusqu’à 1,2 million de voix en 2002 (400 000 voix en 2007). Selon les régions, cet électorat était plutôt d'origine « de gauche » ou « de droite ». Il a surtout représenté une forme de mobilisation ouvrière contre les « élites » et de résistance par rapport à l’hégémonie culturelle urbaine. En la matière, on ne peut nier, il est vrai, que la question soit culturelle mais elle semble liée à une forte dimension démocratique : défense d’un mode de vie contre des règlements et des lois qui semblent échapper au citoyen…

Ce qui a motivé l'invention du terme « prolophobie » c'est l'idée que le divorce entre les élites de gauche et les classes populaires revêtait certes une dimension économique (liée au tournant de 1983), évidemment une forte dimension démocratique mais qu'elle était liée à une forme d'insécurité culturelle qui pouvait motiver le processus de droitisation actuel.

Gaël Brustier & Jean-Philippe Huelin - Tribune | Lundi 11 Avril 2011

lundi 4 avril 2011

“Aujourd’hui, la contestation se fait par la droite”


Docteur en science politique et co-auteur avec Jean-Philippe Huelin de “Voyage au bout de la droite”, Gaël Brustier analyse le processus de radicalisation de la droite.

Quel a été le point de départ de ce voyage au bout de la droite ?
Dans “Recherche le peuple désespérément” sorti en 2009, nous avions avec Jean-Philippe Huelin décrit les mutations de la géographie sociale du pays en lien avec la modernisation néolibérale. Cependant, mettre en lumière cette réalité devait avoir une contrepartie. Il fallait éclairer les représentations collectives qui lui sont propres.
Et puis, nous avons observé que partout en Europe, les droites ont gagné. Elles sont en situation au minimum de domination culturelle sinon d’hégémonie. Cela ne veut pas dire que les gauches ne peuvent pas gagner de temps en temps, sur un malentendu ou par lassitude de la droite. Le Blairisme a été une expérience dite de gauche, mais sous la domination culturelle thatchérienne. Le SPD en Allemagne a longtemps été en grande coalition et dépendant de l’agenda néolibéral. Le plus préoccupant est que l’alternance se réalise dans un certain nombre de pays entre partis de droite. Nous avons fait le constat que nos sociétés ont pour trait commun d’être soumises à une peur de déclassement de l’Occident, du déclin de leur pays, et que cela motivait une contestation. Une contestation qui ne se fait pas par la gauche mais par la droite.

De quelle manière se manifeste-t-elle ?
Par le Tea Party aux Etats-Unis, le FN de Marine Le Pen en France, la Ligue du Nord en Italie avec évidemment une sophistication différente dans le discours…

Vous écrivez que l’action de Jacques Chirac a été le terreau de cette droitisation en France. Comment ?
Dès le début des années 80, le pari de Jacques Chirac a été de faire muter le RPR vers un modèle reaganien. Le RPR est devenu un parti très néolibéral et agressif. Mais surtout il a renoncé à son projet national. Ce qui faisait son originalité, c’était d’être à la fois “le parti du métro aux heures de pointe” comme disait Malraux et le parti de l’indépendance nationale et d’une certaine mystique nationale mais républicaine héritée de la résistance. Jacques Chirac a cassé l’identité du RPR et l’a droitisé avec Alain Juppé, Edouard Balladur et d’autres membres du Club de l'Horloge. Ils ont créé un système commun entre l'UDF, le RPR et le FN. Les rédacteurs des projets économiques des trois partis sont alors Gérard Longuet, Yvon Blot et Bruno Mégret. En suivant ce chemin, il était certain d’atteindre les rives de la droite extrême. Et si Jacques Chirac a résisté, c’est parce qu’il a toujours refusé l’alliance avec le Front national.
Ce rappel est surprenant d’autant que l’on a plutôt tendance à faire référence à Nicolas Sarkozy…
En vérité, Nicolas Sarkozy n’est pas arrivé sur du néant. Il est plus le produit de ce qu’est devenue la France que l’initiateur de ce qu’elle est aujourd’hui. Son élection est une conséquence. Il faut relativiser le pouvoir de l’homme, mais pas ce qu’il symbolise. S’il est le fils politique de Jacques Chirac, il n’est pourtant pas l’alpha et l’oméga de cette droitisation. Alors il est vrai que le personnage fascine. Mais il convient de le replacer non pas dans son image médiatique mais dans la relativisation de ses actions sur le moyen terme.
Selon vous, l’expérience française est la plus emblématique. Pour quelles raisons?
On est arrivé à un tel degré préoccupant de pragmatisme de la droite, à un cynisme assez sidérant, à une légitimation complète des thèses obsessionnelles du FN, à un délaissement des vieilles traditions dans l’appareil et dans le discours politique de la droite… Aujourd’hui, la démocratie chrétienne est totalement absente, le gaullisme a été dissout et le libéralisme républicain bon enfant a du mal à se faire entendre. Ceux qui s’agitent au sein de l’UMP actuellement sont les réformateurs comme Hervé Novelli et Gérard Longuet, d’anciens cadres de l’extrême droite passés à l’UDF puis à l’UMP et les députés de la droite populaire. Ce sont les deux seules expressions car on ne perçoit pas la force du message des centristes. Les vieilles droites antérieures ont été liquidées. Symboliquement la mort du Gaullisme correspond physiquement à la mort de Philippe Seguin.

Comment expliquer que cette fusion de toutes les droites très complexe fonctionne ?
D’une part parce qu’un imaginaire collectif s’est dégagé et d’autre part, par le fait que tout le débat politique a été ramené à droite. Dans le contexte actuel, quel que soit le sujet, vous trouvez une réponse à droite. La droitisation, n’est pas la constitution d’une idéologie unique mais la constitution de plusieurs expressions politiques.
Est-ce qu’au fond, ce n’est pas la société française qui s’est droitisée ?
En France, avec la casse de l’appareil industriel, alors que vous avez autant d’ouvriers mais qui sont livrés au chômage et notamment dans les territoires ruraux, le phénomène de déclassement, la crise de l’école, le fait que 76% des Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, l’imaginaire collectif a évolué. Et la gauche n’apporte pas de réponse. Au contraire des droites dont la force est d’expliquer le monde en trois phrases du coin de la rue à Kaboul.

Alors justement, vous pointez la responsabilité de la gauche…
Elle est immense et à plusieurs titres. Tout d’abord par le personnel qu’elle a fourni à la droitisation. Il faut quand même rappeler que Bernard Kouchner n’est que le bout du chemin. Aux Etats-Unis, Ronald Reagan n’aurait rien été s’il n'avait pas eu un personnel issu de la gauche qui l’a puissamment aidé à mettre en scène sa politique extérieure. En Italie, Silvio Berlusconi a été l’enfant chéri du parti socialiste dans les années 80.
En France, la gauche peut-elle reconstruire une alternative?
Je pense que beaucoup de gens y sont prêts mais que les appareils ne le sont pas. Parce qu’ils fonctionnent sur une allégeance économique et sociale au dogme du libre échange et de la globalisation qu’il ne faut pas remettre en cause. Et la tendance permanente au multiculturalisme et au différencialisme de la gauche l’empêche de voir ce qui fait l’identité des Français par delà leur origine. Ainsi, on traite mal les sujets sociétaux comme la question de la participation égalitaire de tous les citoyens ou de la laïcité. On laisse le champ libre au n’importe quoi droitier parce qu’on n’a pas de discours clair à l’exception d’une dénonciation morale. La gauche passe beaucoup de temps à flatter sa bonne conscience avec son indignation.

Les passes d’armes au sein de la majorité ne laissent-elles pas apparaître des fissures au sein de cette nouvelle droite ?
Il peut y avoir une crise de croissance peut-être. Mais je ne crois pas à la force de nuisances de François Fillon ou d’autres d’ailleurs. La rébellion de certains me semble ahurissante. Je ne vois pas ce qui a fondamentalement changé depuis la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale dans la politique de Nicolas Sarkozy. Cela devient brouillon parce qu’il y a des débats sur n’importe quoi… Mais surtout cela banalise les traits les plus inacceptables du FN. L’utilisation de ses thématiques légitime toutes les pulsions identitaires.

A un an de la présidentielle, quel regard jetez-vous sur cette échéance ?
Que la gauche puisse gagner ? Je le pense. Est-ce qu’elle va gagner ? Je n’en sais rien. De plus, en misant sur tous les défauts de Sarkozy, son impopularité, la gauche fait abstraction de plusieurs risques. Le premier est de se retrouver éliminée du premier tour. Le deuxième est la capacité de Sarkozy à gagner au 2e tour. Et enfin, que fait-elle si elle remporte la victoire en 2012 ? Comment pense-t-elle gouverner sans domination culturelle? En 2006, Romano Prodi a gagné contre Silvio Berlusconi. Il est resté dix huit mois au pouvoir avant d’être balayé. Aujourd'hui, la gauche n’existe plus en Italie. Ce sont des réalités à méditer.

La Marseillaise, 4 avril 2011
Entretien réalisé par Sandrine Guidon

vendredi 1 avril 2011

Ghislaine Ottenheimer parle de "Voyage au bout de la droite" dans Challenges

Chevènement recommande "Voyage au bout de la droite" sur France 24

On en parle à la 14ème minute



Verbatim

Roselyne FEBVRE.- Tout de suite, on passe à la chronique de Soumaya Benaïssa. On revient sur le thème de la droite puisque vous nous proposez un livre intéressant « Voyage au bout de la droite » de Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin. Vous avez adoré, pourquoi ?
Soumaya BENAISSA.- Tout simplement car les questions posées dans ce livre, allant dans le sens des questions que vous posiez à M. Chevènement, au lendemain de cette séquence cantonale, les deux principales « comment se fait-il que la gauche ne tire pas profit du discrédit frappant le gouvernement, le Président de la République, de cette crise économique et sociale ? C’est même plutôt, comme vous l’avez souligné, qui en tire bénéfice. Que se passe-t-il à droite ? Elle est déboussolée, le Front National pèse-t-il sur la droite ?
Finalement, on pourrait peut-être résumer l’ensemble des réponses qu’ils proposent en un mot, celui de « droitisation ».
Roselyne FEBVRE.- Qu’est-ce que la droitisation ?
Soumaya BENAISSA.- Pour eux, c’est un mot-clé, un concept faisant référence au fait que la droitisation est un processus qui travaille les sociétés européennes depuis une trentaine d’années, une quarantaine d’années. On peut le faire débuter avec Thatcher en Europe et Reagan aux Etats-Unis. Cela aboutit au fait qu’aujourd’hui, depuis une dizaine d’années, toutes les questions et les débats politiques sont polarisés sur la droite avec les extrêmes droites apparaissant en Europe : Geert Wilders, les droites New-look en Autriche, en Hongrie, un peu partout en Europe. Le tour de force de la droite de ces trente et des dix dernières années, c’est d’avoir concilié deux thématiques complètement contradictoires qui sont la contestation et la conservation. Marine Le Pen représente bien cela.
Peut-être que face aux nouvelles peurs que sont la mondialisation, crise de l’état nation dont vous parlez souvent dans l’intégration européenne, islamisme, immigration, qui sont des peurs globales, les Français veulent un peu de local. Le conservatisme est donc très approprié. Marine Le Pen fait donc basculer la contestation à droite.
Roselyne FEBVRE.- Pourquoi la contestation a-t-elle basculé à droite ?
Soumaya BENAISSA.- Vous allez sourire, mais c’est finalement la gauche d’une certaine manière. C’est une thèse que vous avez d’ailleurs récemment discutée. Les intellectuels de gauche ont favorisé la droitisation de la vie politique.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Et les responsables politiques du parti socialiste en faisant une politique qui n’est plus une politique de gauche.
Roselyne FEBVRE.- Etes-vous d’accord avec ça ?
Soumaya BENAISSA.- Bien sûr.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le tournant libéral, 1983…
Roselyne FEBVRE.- Et l’émergence du Front National à l’époque.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Exactement. Cela correspond tout à fait. Je conseille la lecture du livre de Gaël Brustier et de Jean-Philippe Huelin. C’est un excellent livre.
Roselyne FEBVRE.- Vous l’avez donc lu ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui, je l’ai lu. C’est un excellent livre. Ils ont été jadis dans ma mouvance. Ils sont maintenant au parti socialiste. Je leur souhaite beaucoup de succès.
Soumaya BENAISSA.- Vous ne contestez donc pas cette idée que les intellectuels de gauche ont pu participer, en critiquant la gauche totalitaire anticommuniste, à cette droitisation idéologique sur le modèle des néo conservateurs américains ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ils ont apporté leur pierre à cette évolution catastrophique.

"Voyage au bout de la droite" dans Le Monde