mardi 29 janvier 2013

Brice Couturier distingue ma note sur France culture

Sur le site du think tank du PS, la Fondation Jean Jaurès, vous pouvez trouver une note très intéressante de Jean-Philippe Huelin, intitulée « Où en est le vote ouvrier ? ».

Huelin, qui a publié plusieurs essais, « Recherche le peuple désespérément » et « Voyage au bout de la droite », est de ceux qui, à gauche, ne se résignent pas à voir Marine Le Pen capter la majorité du vote ouvrier, avec près d’un tiers de leurs voix, en 2012. Il remarque une forte disparité entre l’Est de la France, où ce vote ouvrier pour le FN est très fort, et l’Ouest, où le phénomène est beaucoup moins marqué. Il observe que l’abstention est au moins aussi importante parmi les ouvriers que le vote FN.

C’est parce que c’est au sein du monde ouvrier que le discrédit envers la classe politique est le plus accentué. C’est tout particulièrement dans ce milieu que se fait entendre une demande de protection, « physique, économique, sociale et nationale » face à la mondialisation, qui grignote nos emplois industriels. Contrairement à ce qu’on croit souvent, le monde ouvrier n’est pas hostile au libéralisme culturel et sociétal. C’est pourquoi Jean-Philippe Huelin critique vertement la position récemment adoptée par Terra Nova qui prenait acte du divorce entre une classe ouvrière sur le déclin sur le plan numérique et la gauche, et proposait une stratégie électorale fondée sur une coalition entre jeunes diplômés et minorités ethniques et culturelles.

Huelin estime que la reconquête du vote ouvrier par la gauche, qui a commencé avec Ségolène Royal en 2007, passe par une stratégie de « gauche populaire », apportant des réponses à un besoin de sécurité, qui émane de toutes les catégories populaires.

vendredi 25 janvier 2013

jeudi 24 janvier 2013

Note sur le vote des ouvriers en Franche-Comté

Après un compte-rendu de ma note sur le vote ouvrier publié par la fondation Jean-Jaurès, vous pouvez lire sur le blog politique de France 3 Franche-Comté ma note, adaptation régionale de la première, donnant des pistes de réflexion sur ce vote dans la région la plus ouvrière de France, la Franche-Comté  :



Les ouvriers et le vote en Franche-Comté 

La Franche-Comté est la région de France où les ouvriers sont les plus nombreux en pourcentage. La question du vote des ouvriers est donc plus qu’ailleurs une préoccupation légitime pour les observateurs et les élus régionaux. Pour autant, nous manquons de sondages régionaux le jour du vote pour évaluer précisément, comme on peut le faire au niveau national, le sens du vote ouvrier. Je développerai donc ici quelques éléments adaptés à notre région de ma note publiée par la fondation Jean-Jaurès : « Où en est le vote ouvrier ? » 

Lors de l’élection présidentielle de 2012, notre région s’est distinguée par rapport au vote de l’ensemble des Français en votant au premier tour moins pour François Hollande (-2 points) et plus pour Marine Le Pen (+ 3 points). Cette situation ne fait d’ailleurs que dupliquer l’élection de 2007 puisque Ségolène Royal faisait 2 points de moins que son score national et Jean-Marie Le Pen 4 points de plus. De la même façon, précédemment, en 2002, Jean-Marie Le Pen faisait 2 points de mieux dans notre région que son score national aux deux tours de scrutin. Cette réalité ancre notre région dans une dynamique droitière plus large couvrant l’ensemble du quart Nord-est de la France. Jérôme Fourquet, en particulier, a mis en lumière l’importance stratégique de cette grande région pour le résultat de l’élection présidentielle et on constate que les régions Champagne-Ardenne, Lorraine, Alsace, le nord de la Bourgogne et donc la Franche-Comté ont voté majoritairement pour Nicolas Sarkozy au second tour. 

Cette France du Nord-est est aussi celle qui, en plus du littoral méditerranéen, donne à Marine Le Pen ses meilleurs résultats, partout au-dessus de 21%. On observe d’ailleurs que le bon score du président sortant au second tour est largement dû à un meilleur report des voix obtenues par Marine Le Pen au premier tour. Alors que la moyenne nationale se situe, selon les instituts de sondages, à un électeur FN sur deux, il y en a plus en Franche-Comté ce qui conforte une évolution née au cours des années 2000 et qui inverse ce qui se passait auparavant, au cours des années 80 et au début des années 90, quand l’électeur « sociologiquement de gauche » votant pour Le Pen au premier tour revenait plus volontiers vers la gauche au second tour. Le vote Le Pen a donc aussi changé de caractéristiques : il s’agit de plus en plus d’un vote d’adhésion à une partie du programme frontiste et non d’un simple vote protestataire. 

Cette France du Nord-est est enfin celle où les ouvriers sont surreprésentés. Avec l’Ouest intérieur, le Nord-est compte près de 20% de la population de plus de 15 ans qui est ouvrière. Si on regarde plus précisément dans notre région, la proportion est encore plus forte dans deux types d’espace : la bande frontalière et la grande périphérie des villes. En valeur absolue, les ouvriers sont bien sûr très nombreux dans l’Aire urbaine et à Besançon mais ils sont, dans les zones urbaines, sous-représentés. Or si la question des frontaliers arrive à trouver sa place dans le débat public (plutôt sous l’angle fiscal d’ailleurs), quand parle-t-on des navetteurs, ceux qui font plusieurs dizaines de kilomètres chaque jour pour aller travailler ? Quelles sont les politiques publics qui visent à leur faciliter la vie ? A dire vrai, ils semblent ne pas exister ; inconsciemment, un ouvrier habite près de son usine comme il y a cinquante ans. Le navetteur périurbain est trop souvent le grand oublié. 

En grossissant le trait, on observe ainsi trois types d’ouvriers qui ont chacun des comportements électoraux différents : 
  • L’ouvrier des villes ouvrières, celui qui habite à proximité des grands pôles de production de la région (Aire urbaine, Besançon), garde encore en héritage une propension à voter à gauche malgré un vote FN qui revient à son très haut niveau de 2002 mais sans l’atteindre totalement (surtout si l’on ajoute au score de Jean-Marie Le Pen celui de Bruno Mégret). Nicolas Sarkozy y réalise des scores plus faibles qu’en 2007 dans des proportions supérieures à son score régional, comme une sanction des promesses non-tenues au monde ouvrier. 
  • L’ouvrier frontalier est certainement le plus conservateur. Traditionnellement acquis à la droite, haut-Doubs et haut-Jura plébiscitent le président sortant dans des proportions parfois supérieures même à son score de 2007 (+ 2 points à Villers-le-Lac par exemple au premier tour, +3.5 points au second). Le vote FN est en repli par rapport à 2002 et reste bien en-dessous de la moyenne régionale. 
  • L’ouvrier périurbain ou rural habite entre 15 et 40 km environ des grandes agglomérations dans notre région. C’est un espace où les ouvriers sont surreprésentés et où le vote FN est le plus fort, souvent Marine Le Pen y arrive en tête du premier tour. On le voit très bien sur la carte du premier tour de la présidentielle 2012 où se dessine une couronne autour de l’Aire urbaine où partout le FN arrive en tête avec plus de 10 points de plus que le score régional de Marine Le Pen. 
Incontestablement, il y a une forte adéquation entre présence ouvrière et vote Front national. La Franche-Comté voit se reproduire, mais à un niveau d’adhésion électorale supérieure, la même dynamique qu’à l’échelon national : Marine Le Pen est d’autant plus forte que l’on s’éloigne du centre des grandes agglomérations et c’est à peu près l’inverse pour le candidat socialiste qui est très fort là où il y a le moins d’ouvriers, au cœur des grandes villes. Autre élément à retenir, le report des voix entre le FN et la droite entre les deux tours semble se renforcer, en serait-il de même si le report devait se faire de la droite vers le FN ? C’est à craindre comme l’ont montré les résultats de candidats FN dans certains cantons en 2011. Le bloc droitier est donc particulièrement puissant dans notre région. 

Tout laisse même à penser que le score de Nicolas Sarkozy aurait pu être plus fort avec une participation plus forte. Or cette participation en Franche-Comté est en repli, « lors des élections du printemps 2012, 48,1 % des électeurs de la région se sont rendus aux urnes à chaque tour de scrutin. C’est à peine mieux que la moyenne nationale, mais en net recul par rapport à 2007.[1] » Et l’on sait bien, quand on observe les résultats des élections intermédiaires, que c’est la gauche qui profite dans les urnes d’une moindre participation qui concerne surtout les couches populaires. La gauche sans le peuple est devenue la réalité. 

Cette situation ne doit pas manquer d’inquiéter les élus des collectivités locales, presque toutes dirigés par des socialistes. Le Parti socialiste détient le conseil régional, les quatre conseils généraux et presque toutes les grandes villes de la région. Avec la défiance qui monte envers le président de la République et le gouvernement (je signale au passage que François Hollande n’a plus la confiance que de 28% des ouvriers, soit une perte de 35 points depuis son élection, et Jean-Marc Ayrault de 19% seulement), les échéances de 2014 et 2015 s’annoncent particulièrement difficiles pour la gauche et plus encore dans notre région. 

mercredi 16 janvier 2013

« La gauche a tourné le dos aux ouvriers ! »

Vous venez de publier, pour la fondation Jean-Jaurès, une note intitulée "où en est le vote ouvrier ?". Avec la désindustrialisation et, parallèlement, le développement des services, la classe ouvrière a diminué, mais elle a aussi changé. Qui sont les ouvriers aujourd'hui ?

Le monde ouvrier a beaucoup changé. Il est loin de l’image d’Epinal que l’on peut encore s’en faire, loin du film « Faubourg 36 », loin des ouvriers de la « forteresse Billancourt ». Les ouvriers sont aujourd’hui plus qualifiés et travaillent dans des entreprises de plus petite taille. Ils sont moins souvent métallos, sidérurgistes ou ouvriers agricoles, plus souvent manutentionnaires ou chauffeurs de poids lourds. Les collectifs de travail se sont érodés, la syndicalisation moins forte, l’ouvrier est devenu « opérateur », la chaîne est devenue la « ligne ». Le travail s’est individualisé comme les rémunérations. En réalité, si beaucoup le croit disparu, c’est parce que l’ouvrier a perdu en « visibilité sociale ».  

Pourquoi cette perte de visibilité ?

Notons d’abord que le nombre d’ouvriers à certes un peu baissé depuis la fin des années 1970 (un peu plus d’un million d’ouvriers en moins) mais ils restent près de 6 millions et l’augmentation du nombre d’employés a largement compensé cette perte. A leur perte de visibilité, il y a d’abord des raisons économiques, liés aux transformations du processus de production avec le déclin de la grande industrie tayloriste mais aussi une perte de statut dans une mondialisation libérale qui précarise la production (le développement des CDD et de l’intérim pèse surtout sur les couches populaires). Il y a une raison essentielle, à cheval entre l’économique et le culturel, qui est l’éloignement entre lieux d’habitation et de production. Les ouvriers ne sont plus les « sentinelles de l’usine », ils ont leur voiture, ils habitent loin, parfois très loin de leur lieu de travail et cet éloignement vers des espaces où l’immobilier est moins cher n’est pas toujours voulu. Ils se sont « dilués » dans l’espace. Il y a enfin des raisons politiques. La « gauche officielle » a tourné le dos aux ouvriers, depuis 1983 pour trouver une date symbolique. Le prolo est devenu un affreux jojo pour l’intello de gauche parisien, entre « Dupond Lajoie » et le bœuf de Cabu. Bref, il ne compte plus, il n’a plus les valeurs de la gauche officielle comme l’a théorisé « Terra nova ».  

De quelle "gauche officielle" parlez-vous ? S'agit-il du Parti socialiste et rejoignez-vous l'économiste Bertrand Rothé lorsqu'il affirme que le PS a "tourné le dos à la classe ouvrière" ?

Je parle du Parti Socialiste mais aussi de la gauche intellectuelle sociale-démocrate qui a validé le mythe de la « classe moyenne » comme dépassement de la lutte des classes. On en arrive aujourd’hui à avoir 64% des Français gagnant moins de 500 euros par mois qui se classent parmi la « classe moyenne » et un ministre socialiste qui avoue n’avoir jamais cru à la lutte des classes… En ce sens je partage entièrement l’analyse de Bertrand Rothé.  

A propos de lutte des classes, vous évoquez dans votre note une "après-conscientisation de classe". De quoi s'agit-il ?

C’est la mission historique que ce sont donnés les socialistes que de conscientiser les ouvriers. Par delà les grands événements du XXe siècle, la gauche française est parvenue à capter environ 70% du vote ouvrier à la fin des années 1970. Cet alignement du vote ouvrier sur la gauche est le fruit d’un patient travail collectif qui n’a pas résisté à l’exercice du pouvoir par les socialistes au cours de la décennie 80. Aujourd’hui, la conscience de classe a disparu, les ouvriers n’accorent quasiment plus de prime à la gauche aux élections.  

Est-ce en cela qu'on peut dire, comme vous en émettez l'hypothèse, que les ouvriers se sont droitisés ? Commet cette droitisation se manifeste-t-elle ?

 Le concept de « droitisation » est assez ambigu. Il faut d’abord dire que le vote ouvrier s’est déplacé de la gauche vers la droite (hors Front national). C’est un fait qui s’observe très facilement en regardant les résultats des élections depuis 1988 ; le déplacement est de plus de 15 points. Il y a en sus la montée en puissance du vote ouvrier pour le FN qui est un fait établi. Pour autant, il y a aussi une notion idéologique au terme de « droitisation », les valeurs des ouvriers se rapprocheraient de celles des partis de droite. Cette allégation-là est beaucoup plus discutable, surtout pour les générations récentes d’ouvriers qui partagent assez largement avec leurs contemporains un certain libéralisme culturel. Sur le front des combats sociaux, les ouvriers restent en pointe ; ils ne sont pas devenus des adeptes du libre-échange ni de la dérégulation des marchés… En réalité, les ouvriers sont demandeurs de protections (économiques, sociales, nationales, culturelles) et force et de reconnaître que les droites se sont mieux positionnées sur ce terrain que la gauche. La gauche ne proposent pas ici d’alternatives aux discours de droite, elle refuse le débat, elle a fait du libéralisme l’alpha et l’oméga de son programme comme de son action signant la victoire (provisoire) de la stratégie Terra Nova.  

Justement : durant la campagne présidentielle de 2012, le candidat Mélenchon a tenu un discours très antilibéral sur le plan économique. Pourtant, son score chez les ouvriers n'est pas meilleur que celui de candidate communiste en 2007. Pourquoi ?

Parce que Mélenchon voit le peuple avec les yeux d’un homme des années 30, au mieux des années 60 ! Son discours social est certes très sympathique aux oreilles du professeur de collège qui n’a pas oublié qu’il est issu du monde ouvrier mais il ne passe pas si bien chez les ouvriers qui ne lui donnent presque pas de préférence (seul l’IFOP le place à 18% des ouvriers, les autres instituts le place au même niveau que dans le reste de la population). Laissons-lui tout de même le bonus d’avoir porter le fer avec le Front national avec un certain succès dans certains anciens bastions ouvriers où la gauche avait perdu toute boussole. Néanmoins, et malgré tout ce qu’il peut dire, son score chez les ouvriers est décevant. Il est beaucoup moins bon que celui de Georges Marchais en 1981 qui talonnait François Mitterrand dans cette catégorie si symbolique pour la gauche. Il n’a pas réussi car il ne répond pas aux préoccupations des ouvriers d’aujourd’hui. Son positionnement sur l’Union européenne et l’euro est flou. Son « grand cœur » à l’égard de l’immigration inquiète. Enfin, il semble plus s’adresser aux classes moyennes du secteur public, plus protégées, qu’aux classes populaires. Son incapacité à prendre en compte l’insécurité culturelle ressentit par l’électorat populaire lui a été préjudiciable.  

En somme, ni le PS ni Mélenchon ne parviennent, pour l'instant, à séduire l'électorat ouvrier. Quelles sont, selon vous, les conditions pour y réussir, notamment en vue des élections locales de 2014 ?

Si l’austérité permettait de réduire le chômage avant les élections locales de 2014, comme le Président de la République et le gouvernement le prédisent, il y aurait peut-être des résultats. Comme presque tout le monde, je n’y crois guère ; de même je ne pense pas que les grandes réformes sociétales favorisent un tant soit peu la confiance des ouvriers pour le gouvernement. Je rappellerais au passage que selon le dernier baromètre politique TNS-Sofres de décembre, le président de la République ne recueille que 28% de confiance chez les ouvriers soit 35 points de moins depuis son élection ; le premier ministre est à 19% ! Le chemin risque d’être long… On parlera du Front national qui pourrait amplifier sa progression chez les ouvriers mais les élections locales ne sont pas les meilleures pour le FN. Je crains que ce soit l’abstention qui l’emporte alors que traditionnellement, les élections municipales sont, avec l’élection présidentielle, l’élection la plus populaire. Je remarque que les ouvriers étaient 30% à s’abstenir au premier tout de l’élection présidentielle de 2012 contre 20% pour l’ensemble de la population. La démocratie sans le peuple est une option qui devient de plus en plus acceptable pour nos élites politiques. Cette évolution présente un risque bien négligé pour notre démocratie.

lundi 14 janvier 2013

jeudi 10 janvier 2013