dimanche 31 janvier 2010

"Recherche le peuple désespérément" note de lecture de Jean-Paul Allétru


La gauche a perdu le contact avec le peuple, et en particulier les ouvriers et employés qui constituent toujours la grande majorité de la population. Si elle veut reconquérir le pouvoir, il lui faut renouer ce contact, trouver la stratégie, le langage et les propositions qui leur redonnent des perspectives. Et pour cela, il faut d’abord les reconnaître là où ils sont.

Les auteurs nous invitent à changer de regard, notamment sur les zones pavillonnaires et sur les campagnes ; à y voir d’abord des victimes du néolibéralisme. Ils font œuvre salutaire. Espérons qu’ils soient entendus.

« Notre pays a perdu de vue le peuple », estiment les auteurs, qui se proposent, en s’appuyant largement sur la sociologie, de « chasser les mythes ».

« Fin de la classe ouvrière » ? « entreprise sans usine » ? L’essentiel de la réalité sociale de notre pays est occultée, environ deux tiers de la population : ouvriers, employés, travailleurs indépendants ; relégués loin des centres, oubliés. Avant-garde prolétarienne » pour le « mao » de 1970, l’ouvrier français est vite devenu le « beauf » raciste d’un Charlie Hebdo « gentrifié ».

La globalisation financière a modifié notre société, son impact se fait sentir physiquement. Il ne s’agit plus de théorie. Il s’agit de la vie quotidienne et concrète de millions de nos concitoyens.

Bien qu’ayant presque disparu des discours politiques, les couches populaires (ouvriers et employés) représentent encore 60 % de la population active, soit une part constante depuis 1954.

Les jeunes et les chômeurs sont les principaux perdants de l’évolution économique de la décennie. Les bacheliers trouvent de plus en plus de place parmi les ouvriers et employés au terme d’un processus rapide de dévalorisation sociale. Et si le processus de dévalorisation sociale des jeunes générations ne devient pas plus explosif, c’est grâce à une solidarité familiale qui joue un rôle d’amortisseur social.

Pour les « seniors » qui ne sont pas propriétaires et qui touchent de petites retraites, la situation s’est détériorée. Les taux de suicide atteignent 60 pour 100 000 hommes de 75 à 84 ans, et 124 pour ceux de 85 ans ou plus.

Finalement, on a bien du mal à identifier les bénéficiaires de la mondialisation néolibérale. Au sein même de la classe capitaliste des 10 % les plus riches, les écarts de revenu explosent.

La lutte contre les inégalités pourrait utiliser deux leviers essentiels : à l’intérieur, l’usage d’un impôt sur le revenu qui garantit une vraie redistribution des richesses ; et à l’international, la lutte pour un protectionnisme européen afin de rétablir la loyauté de l’échange.

Il n’y a nulle sinophobie à vouloir éviter la concurrence de l’ouvrier chinois et de l’ouvrier européen ou nord-américain. Il n’y a nulle sinophobie à vouloir éviter à la frêle industrie africaine la concurrence des produits manufacturés d’une puissance comme la Chine.

Le système libre-échangiste, c’était à l’origine l’échange inégal. En se fondant sur les théories de Ricardo, les apôtres du libre-échange n’ont cessé de clamer que nos économies se tourneraient vers les activités de recherche et développement. Mais il suffit d’observer les économies chinoises ou indiennes pour être sûr qu’il n’y aura pas de spécialisation du Nord dans les biens à forte valeur ajoutée et à haute teneur technologique.

Puissamment ancrée dans l’esprit des « élites » européennes, l’idée libre-échangiste est souvent davantage promue et pratiquée par les représentants de l’Union Européenne que par ceux du Département du commerce états-unien qui se gardent bien d’appliquer le libre-échange quand cela menace des intérêts nationaux.

Le monde du travail a pris de plein fouet le vent néolibéral. Ce sont les salariés qui subissent en première ligne les conséquences d’une nouvelle organisation du travail qui tend à dévaloriser les travailleurs autant que le travail lui-même. Pénibilité, précarisation, stress, temps partiel subi, salaires insuffisants.

Ce qui gagne la conscience des milieux populaires, c’est l’effet du « descenseur social » sur leur vie personnelle.

Le déclassement social concerne toutes les nouvelles générations et toutes les classes sociales. Dans la France des années 2000 et à l’âge de 40 ans, un fils de cadre supérieur sur quatre et une fille sur trois sont employés ou exercent des emplois ouvriers, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans.

Le problème du lien entre la gauche et les classes populaires se pose avec acuité, et vient de loin, probablement du tournant libéral de 1983. La captation de l’électorat du Front National par Nicolas Sarkozy lui a permis de faire progresser la droite dans des zones historiquement de gauche. Le basculement à droite de la France industrielle du Nord-Est semble consécutif à une phase de percée de l’extrême droite chez les ouvriers victimes des mutations industrielles de ces régions.

Dans le même temps, les scores de la candidate de gauche semblent atteindre des sommets dans les villes -centres, à Paris en particulier.

Par quel mystère la France du « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen, celle qui a tremblé devant la directive Bolkestein et la « concurrence libre et non faussée », a-t-elle pu élire Nicolas Sarkozy président de la République ? Sans doute parce qu’au contraire de beaucoup d’autres, il lui a parlé.

Entre les villes-centres, où se concentrent les médias, et la réalité d’une France majoritaire, péri-urbaine et rurale, s’est établi un fossé béant.

Les villes-centres ont rejeté à leur périphérie (les banlieues) ceux qui pouvaient porter le conflit de classe. L’habitant des villes-centres a moins de difficulté à élever et éduquer ses enfants que l’habitant des zones périurbaines. La reproduction sociale peut se mettre en place. Ce n’est pas le moindre des handicaps pour le PS et ses alliés Verts d’être devenus les « représentants naturels » de cette nouvelle petite bourgeoisie urbaine.

Mais les choses se compliquent avec la précarisation des jeunes diplômés, journalistes, chercheurs, surdiplômés sous-employés, qui se multiplient dans les villes-centres, créant une situation potentiellement explosive.

Force est par ailleurs de constater l’échec global de la « politique de la ville », qui escamote la question sociale derrière des vocables flous ou inopérants comme celui de « mixité ».

Les régions industrielles font partie de la France périphérique, celle qui est tenue à l’écart du développement des grandes métropoles, celle sur qui s’abattent la régression sociale et la désindustrialisation depuis une trentaine d’années. La désaffiliation des ouvriers avec la gauche se fait en deux temps : de 1977 à 1988, le vote communiste ouvrier se porte sur le PS ; à partir de 1993, le vote PS recule nettement, l’abstention progresse et le FN monte en profitant de l’anxiété ouvrière. « Plus que l’expression d’un racisme ouvrier, on peut considérer le vote ouvrier pour le FN comme une tentative ultime de différentiation et de revendication du droit à l’existence dans un contexte de déclassement structurel du groupe ouvrier » (Stéphane Beaud, Michel Pialoux). Avec les externalisations des années 1990, le patronat casse la forteresse ouvrière. La classe ouvrière se disperse « dans des univers professionnels moins hiérarchiques et moins structurés, beaucoup plus proche de celui des prestataires de services que de celui des ateliers de production » (tri, emballage, conducteurs d’engin, conducteurs de transports en commun, livreurs, jardiniers, …).

Le pavillon périurbain, refuge d’une France invisible ? La France pavillonnaire est électoralement majoritaire ; la relégation sociale qui frappe de plus en plus les périurbains est une question sociale potentiellement explosive. La tranquillité a un coût qui se paie en temps de transport. Plus qu’ailleurs, la détention d’une automobile est nécessaire. L’augmentation inéluctable du prix du pétrole va rendre cet espace encore plus hostile qu’il ne l’est déjà pour les populations les plus fragiles. L’habitat en pavillon périurbain expose à une fragilité financière des populations nouvellement accédantes à la propriété déjà en situation de fragilité économique.

La gauche doit en grande partie ses défaites de 2002 et 2007 à son incompréhension des désirs du monde pavillonnaire.

Et le monde rural ? La France rurale d’aujourd’hui est beaucoup moins une France paysanne qu’une France des oubliés, une France d’ouvriers et d’employés qu’une France d’agriculteurs. Sait-on que plus d’un Français de 15 à 24 ans sur trois vit à la campagne ? Sait-on que les accidents de la route concernent davantage les jeunes ouvriers ruraux (soumis à des cadences de travail harassantes et à de longs trajets domicile-travail) ?

Quant aux « travailleurs pauvres » (revenu inférieur à 681 € par mois, chiffre de 2005), nouveau prolétariat des services, ils sont partout et personne ne les voit. Travaillant toujours plus, ils gagnent de moins en moins.

Dans les milieux populaires, l’heure est plus que jamais à l’attente d’une réponse politique aux problèmes économiques et sociaux.

La question du protectionnisme semble fondamentale et doit être au cœur d’une redéfinition de l’action publique. En effet, comme nos voisins (européens), notre société est maintenue dans un état d’asphyxie, prisonnière d’un système économique mondial exacerbant les rivalités. Les jeunesses d’Europe sont les dernières victimes d’un processus de mise en concurrence des savoir-faire et des mains d’œuvre. Désormais, cette mise en concurrence atteint les strates les plus élevées de la société. Le néolibéralisme a détruit le compromis fordiste mis en place pour sortir de la crise de 1929 et permettant de stabiliser les salaires et donc la consommation. Pour les sociétés occidentales, la désindustrialisation est en marche.

L’Europe est capable de contribuer à l’organisation plus rationnelle et plus juste des échanges mondiaux. Sans craindre d’éventuelles rétorsions commerciales, tant notre marché intérieur est autosuffisant. Loin de tout égoïsme, un protectionnisme non agressif à l’égard des « Grands du Sud » peut permettre aux populations d e ces pays de profiter réellement de la croissance, car on sait bien que dans un cadre libre-échangiste, la Chine dispose pour de longues années encore d’une « armée de réserve » rurale comprimant ses salaires vers le bas.

La clé d’une nouvelle République réside probablement dans la (re)localisation de l’activité économique, qu’elle soit agricole, industrielle ou de services.

Le parti socialiste compte en son sein 8 % de fils d’ouvriers en 1998 contre 28 % en 1985. Le nombre d’ouvriers, lui-même, passe de 10 % en 1985 à 5 % en 1998.

Mais qu’en est-il de la sociologie militante des partis et mouvements dits de « la gauche de la gauche » ou de la « radicalité » ( NPA, Parti de Gauche ou même ATTAC) ? Et du lien que ces structures entretiennent avec les classes populaires ?

Le trait commun d’une certaine élite de gauche reste la prolophobie : raciste, homophobe, inculte, le « beauf » sert de justificatif inconscient à la désertion des combats sociaux par certaines élites des partis de gauche, au grand désespoir de leur base souvent confrontée localement à l’urgence sociale.

L’ alternative à construire doit se fonder sur une coalition sociale majoritaire, unifiant « l’autre gauche des centres-villes », les ouvriers et les employés périurbains et ruraux ainsi que les banlieues. Et s’appuyer sur un projet républicain, adossant les émancipations à venir au socle le plus solide qui soit : la République.

lundi 21 décembre 2009 par Jean-Paul Allétru
http://yonne.lautre.net/spip.php?article3797

vendredi 29 janvier 2010

Vite, un bouclier rural pour les Français péri-urbains

A la suite du socialiste Jean-Philippe Huelin, l'Hérétique, militant MoDem, défend l'idée d'un "bouclier rural". Il appelle aussi les militants de son parti à se saisir du sujet de la ruralité.

Je ne puis que m'associer à l'appel de Jean-Philippe Huelin en faveur de la mise en place d'un bouclier rural. Je le rejoins entièrement pour estimer que les espaces ruraux sont les grands oubliés de la sphère politique. Je voudrais à cet égard souligner que c'est une erreur commune que de confondre les espaces ruraux avec la ruralité.

De fait, comme l'observe avec beaucoup d'intelligence et de finesse Jean-Philippe Huelin, les espaces ruraux ne sont pas exclusivement le lieu d'expression et d'évolution du monde agricole, mais, bien au contraire, un déversoir pour d'ex-urbains refoulés des villes devenues trop chères, trop hostiles.

C'est là que l'on trouve les précaires, les ouvriers (que la gauche croit disparus), les petites gens, les déqualifiés, les personnes âgées, les femmes seules avec enfants et j'en oublie d'autres, tous ces péri-urbains condamnés à consacrer parfois près d'une demie journée en transport pour pouvoir accéder à leur lieu de travail.

Onze millions d'invisibles

La droite décomplexée et bling bling a abandonné de longue date le monde paysan, désormais seul face à ses difficultés. Il reste quelques élus d'exception de toutes obédiences politiques qui tentent d'alerter, mais en vain, l'opinion du danger qui guette nos campagnes : délocalisations, fermetures d'hôpitaux, de lignes de chemin de fer, de tribunaux et d'écoles, disparitions de services postaux, c'est l'État tout entier qui fout le camp dans nos campagnes.

Onze millions d'invisibles, comme titrait Marianne2 mercredi dernier, onze millions d'invisibles (soit 18% de la population) dont plus personne ne se soucie, en moyenne bien plus pauvres que ces cités dont on nous rebat les oreilles jusqu'à nausée dans les journaux télévisés.

J'ai lu l'appel de Jean Lassalle (mon député MoDem favori) et André Chassaigne (communiste, mais personne n'est parfait) auquel je souscris totalement. C'est à juste titre que les deux députés dénoncent l'agonie des campagnes prises entre la marteau de la rentabilité et l'enclume des naturalistes (les députés ne l'ont pas écrit, mais moi je pense très très très fort aux Verts et à leurs relais médiatiques et politiques, y compris au sein-même du gouvernement...) qui voudraient en faire des réserves d'Indiens.

François Bayrou et Jean Lassalle ont fait de longue date leur cheval de bataille de la pérennité de l'État là où il a déserté. Il ne suffira pas d'assurer la survie d'une agriculture, comme le propose le MoDem, il s'agit de s'occuper des populations qui y résident. La lettre commune d'André Chassaigne et Jean Lassalle, les écrits et la constitution d'un observatoire de la ruralité digne de ce nom par Jean-Philippe Huelin montrent que cette cause peut réunir des hommes et des femmes par delà les clivages politiques.

Le MoDem doit être le porte-voix des oubliés

Le MoDem doit à mes yeux être le fer de lance et le porte-voix des oubliés. Le travail demeure à réaliser, parce que je n'ai vu nulle part dans le programme démocrate le moindre embryon de réflexion sur ces Français de l'ombre. Il revient aux seuls Jean Lassalle et François Bayrou d'évoquer leur sort, dans mon propre parti.

J'attends donc que la base militante et les commissions démocrates s'emparent de cette cause et produisent autre chose que des poncifs médiatiques sur la chose. Il faudrait en finir avec les appels citoyens, les join causes sur Facebook, les « sauvez ma planète » et autres bisounourseries, parce qu'il est grand temps de commencer à s'intéresser au peuple, désormais...

Je laisse à Jean-Philippe Huelin le soin d'aller secouer les puces des Socialistes sur le sujet...à chacun sa maison politique...

http://www.marianne2.fr/Vite,-un-bouclier-rural-pour-les-Francais-peri-urbains_a184352.html

mardi 26 janvier 2010

Vers un bouclier rural

Dans quelques jours, Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, va conclure les Assises des territoires ruraux. Ce grand débat sur la ruralité en France s’est déroulé depuis le mois d’octobre dernier dans l’ombre du débat sur l’Identité nationale. Avec ici moins de tapage médiatique, le résultat risque d’être le même : beaucoup de bruit pour rien. Plein de bonnes intentions, Michel Mercier n’a cependant pas les moyens de sa politique. Ces assises de la ruralité n’auront été qu’un supplément d’âme pour un gouvernement qui n’en a plus depuis qu’il a décidé de maintenir, en pleine crise économique, son « bouclier fiscal ».

Croyant certainement le monde rural acquis à sa cause, le gouvernement essaie de masquer ses choix politiques : toujours plus à ceux qui ont déjà trop et rien pour ceux qui ont de moins en moins. Aujourd’hui, il est plus que temps de construire ensemble un « bouclier rural », c’est-à-dire un projet politique absolument contraire au bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy. La gauche doit se saisir de cette question et comprendre que des pans entiers de notre pays sont en train de décrocher socialement. Un véritable « exode urbain » se fait jour car la campagne accueille de plus en plus de populations urbaines qui ne peuvent plus se payer le « luxe » de loyers toujours plus chers en ville. Ainsi, les près de 20% de la population qui résident dans le monde rural se situent en dessous des moyennes nationales en matière de revenu, de qualification et d’emploi. Cet espace compte plus de personnes âgées, plus d’ouvriers et d’employés que le monde urbain. La pauvreté y est plus présente et on peut, à bon droit, parler de territoire de relégation sociale. On devrait y toucher, par exemple, plus le RSA qu’ailleurs mais le manque d’information ou le réflexe taiseux de ses habitants fait que beaucoup de bénéficiaires n’en profitent pas. Cette situation a été très justement évaluée par un récent rapport de l’IGAS… qui n’a pas été repris, sauf exception, dans la presse nationale.

Heureusement, notre pays dispose encore d’élus locaux qui tentent de sortir de l’oubli la situation du monde rural. Parmi les nombreuses initiatives locales, on peut citer les députés Lassalle et Chassaigne qui ont lancé un appel pour des états généraux des campagnes françaises ou le conseiller général de la Nièvre Fabien Bazin qui, le premier, a dressé la liste de ce qui pourrait devenir un véritable bouclier rural. Ces initiatives méritent d’être plus largement rendues publiques et coordonnées afin de construire un grand projet national pour le monde rural. La première des dimensions à prendre en compte concerne bien évidemment les services publics. Comment ne pas exiger aujourd’hui un moratoire sur la suppression des services publics ruraux ? Il faut que cesse le démantèlement des services de l’Etat à la campagne : hôpitaux, maternités, écoles, bureaux de poste, perceptions, gendarmeries…etc. Mais il faut aussi donner les moyens à cet espace de se développer économiquement afin que se réduisent ces déplacements pendulaires de plus en plus longs entre lieux de résidence et de travail. Parmi les mesures à prendre, la plus symbolique et une des plus utiles serait la couverture totale de notre pays en fibre optique qui puisse apporter partout, dans chaque foyer et dans chaque entreprise, grande ou petite, le haut débit. Pourquoi ce qui a été réalisé pour l’électricité après la deuxième guerre mondiale ne serait plus possible dans le France du XXIe siècle ?

Face à la crise, la nouvelle droite révèle son véritable visage. Loin de la droite d’hier qui savait s’appuyer sur la campagne, la droite néolibérale d’aujourd’hui est au service des « gagnants », ces catégories supérieures qui vivent entre les centres urbains, les aéroports et les grands hôtels du monde entier, une catégorie totalement coupée du territoire et presque déracinée. Méprisée par des élites qui agitent en toute bonne conscience une taxe carbone qui serait surtout une taxe anti-rurale, délaissée par cet archipel métropolitain et ultra-riche, la France rurale ne peut se tourner que vers la gauche qui l’a trop longtemps oubliée. Il est encore temps d’apporter des réponses politiques à cette fracture territoriale et sociale qui se creuse continuellement entre ces deux Frances.

Pour orienter le débat public vers cette question fondamentale, un site internet vient d’être lancé qui s’intitule « Vers un bouclier rural ». Il vise à rassembler tous les outils d’analyse sociologiques, démographiques et économiques qui permettent de mieux comprendre le monde rural. Il recensera également les actions locales et les propositions qui émergeront pour renforcer la protection des habitants de la campagne. Nous avons besoin de rassembler toutes les bonnes volontés, le monde rural en a besoin !

Jean-Philippe HUELIN, coauteur du livre « Recherche le peuple désespérément » (Bourin éditeur) et animateur du site « Vers un bouclier rural ».

mercredi 20 janvier 2010

Les «Français des champs», onze millions d'invisibles

Près d’un métropolitain sur cinq vit en milieu rural. Mais politiques et médias ignorent cette population des campagnes et des zones périurbaines. Un récent rapport de l’Igas montre pourtant que cette «France des champs» est beaucoup plus pauvre que la « France des villes ». Et beaucoup plus discrète aussi.

Il existe une France des invisibles, une France dont personne — politiques et médias réunis — ne parle. Ou si peu. Cette France-là, c’est celle des campagnes. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) s’est penchée sur ces inaudibles au travers d’un rapport intitulé « Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural ». Publié fin 2009, il n’a évidemment pas fait grand bruit.

Pourtant, ces « Français des champs » sont au nombre de 11 millions, « soit 18% de la population de France métropolitaine ». Et leur situation n’est pas aussi enviable que ce que peuvent penser les « Français des villes » abreuvés au mythe de la vie au grand air et du retour à la terre : « Les personnes âgées en milieu rural, écrivent dans leur synthèse les rapporteurs, sont proportionnellement plus nombreuses : 27 % de plus de 60 ans, contre 21 % en milieu urbain. Mais surtout les catégories les moins qualifiées sont sur-représentées parmi les actifs en emploi : 32% d’ouvriers et 27 % d’employés, contre 7 % de cadres et professions intellectuelles (7% d’agriculteurs). Dans les dernières années, le milieu rural a subi de plein fouet les réductions d’emploi qui ont touché les secteurs de l’industrie et de l’agriculture. »

Résultat des courses, « le taux de pauvreté monétaire moyen dans l’espace rural en 2006 est de 13,7%, contre 11,3% dans l’espace urbain. Les ruraux sont donc en moyenne “plus souvent pauvres”. » Ce chiffre dépasse même les 19%, dans « plus d’un tiers des départements de France métropolitaine » (notamment dans le Nord de la France, en Paca, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Auvergne, Limousin…).

Plus inattendue, la typologie de « ces populations en difficulté ». Les auteurs du rapport de l’Igas distinguent deux catégories :
- D’une part, on trouve de façon classique « les agriculteurs (…) dont l’exploitation dégage peu de revenus, des personnes victimes de la désindustrialisation, des personnes âgées à faible revenu, isolées et mal-logées, ainsi que des jeunes sans qualification et parfois en rupture familiale. Ces catégories de population font peu valoir leurs droits. »
- Dans la seconde catégorie, on trouve ceux qui après le fameux « exode rural » ont fait le choix de l’« exode urbain », « les néo-ruraux installées à la campagne pour des raisons de coût du logement et confrontés à des difficultés à la fois financières et liées à l’isolement, des familles urbaines en situation de pauvreté s’installant en milieu rural et des personnes en “errance”. Pour les publics concernés, le milieu rural a parfois été idéalisé, sans prise en compte suffisante des problèmes de mobilité (coût du transport, ou accès à des transports collectifs), d’organisation de gardes d’enfants, de rareté de l’emploi, d’accès à divers services et notamment au logement très social. »

Ces « prolos » des campagnes et ces néo-ruraux, ces « oubliés des champs » par les « puissants des villes », ce sont justement ceux-là sur qui Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin se sont penchés dans leur essai Recherche le peuple désespérément. Un ouvrage « conçu » dixit les auteurs « comme un grand manuel de survie pour une gauche en péril ou pour les républicains soucieux de voir leur pays renouer avec son histoire » et dont Marianne2 s’était fait le relais en fin d’année dernière. Et pour cause : avec ce livre, les deux auteurs (l’un est docteur en sciences politiques et l’autre professeur d'histoire-géographie), mettaient très justement en évidence une mutation géographique, sociale et politique passée inaperçue. Une mutation qu’on pourrait résumer de la sorte : le peuple a déserté peu à peu les centres urbains pour s’installer dans les zones dites périurbaines et rurales et pourtant la gauche s’obstine à s’adresser aux habitants des villes. Ce qui explique sans doute que le PS ait opté pour le « oui » au TCE en 2005 quand cette population des petites communes s’est, elle, d’après les auteurs, prononcée majoritairement pour le « non »…

Mais les habitants des zones rurales ne sont pas seulement oubliés par la gauche. Ils le sont aussi des politiques sociales. Ou plutôt, ils ont tendance à « se faire oublier » des structures d’aide sociale. Car comme le note les rapporteurs de l’Igas, « une des difficultés importantes du travail social en milieu rural tient aux attitudes “taiseuses”, de personnes ou de familles qui supportent sans se manifester de très mauvaises conditions de vie, se replient sur elles-mêmes, ou se protègent du qu’en dira-t-on. » Ou comment les invisibles se font si petits que personne ne finira bientôt plus par les voir…

Gérald Andrieu - Marianne | Mercredi 20 Janvier 2010
http://www.marianne2.fr/Les-Francais-des-champs-,-onze-millions-d-invisibles_a183544.html

jeudi 14 janvier 2010

Nouveau logiciel…nouveau logo

Chassez l'intrus ?

Le Parti socialiste vient de changer son logo à l’occasion du rhabillage de son site Internet. En douce, en catimini. Les militants n’ont pas été consultés, personne ne l’a signalé dans les médias. Le poing et la rose n’est plus qu’une apostrophe d’un sigle PS repeint en rose. Signe des temps, les concepteurs de ce nouveau logo n’ont pas (encore ?) troqué la rose pour le tournesol mais les feuilles sont maintenant vertes, « greenwashing» oblige. Il est néanmoins certain que le poing et la rose est en sursis. Au prochain relooking du site, il disparaitra… On aimerait bien savoir si le changement de logo a été décidé par la direction socialiste ou si elle n’est que le caprice d’un graphiste ? A-t-on si peu le sens des symboles au PS d’aujourd’hui pour que ce nouveau logo fasse son entrée de façon si discrète !

Pour ma part, je préférais le poing et la rose. Dessiné en 1969 par l’illustrateur Yann Berriet, il lui est commandé par la fédération socialiste de Paris sur une idée initiale de Didier Motchane. Ce logo, « offert » par les socialistes parisiens à la direction nationale, est le symbole de ce nouveau PS qui sait s’appuyer sur un dynamisme militant extraordinaire et qui se donne les moyens de conquérir le pouvoir. Comme l’écrivait François Mitterrand dès 1972 : « le poing pour le combat, la rose pour le bonheur ». Sans oublier que les pédales sont rouges et non pas rose. Ses qualités graphiques et symboliques alliées à l’élan du PS français permettent à ce logo de se diffuser dans bon nombre de partis-frères européens… Les temps ont bien changé et seul le PS portugais conserve encore la rose et le poing comme emblème.

Avec son nouveau logo, le PS suit, une fois de plus, les vents dominants. Il court après le Parti Socialiste Européen (qui a abandonné la rose étoilée et qui se fait appeler PES, à l’anglaise…) et les partis sociaux-démocrates qui ne gardent que la pudique couleur rose pour bien monter qu’ils ne sont que des rouges…très très pâles. Encore un peu de bonheur mais plus du tout de combat. Ce poing qui symbolisait la lutte, le prolétariat, la classe ouvrière est définitivement rangé dans les placards de l’histoire. On peut d’ailleurs craindre que le PS ne devienne bientôt que la Section Française du Parti Socialiste Européen, comme un juste retour des choses, vers cette SFIO à laquelle il ressemble de plus en plus.

Le PS aura ainsi mis vingt-cinq ans à entériner graphiquement sa mue programmatique, comme une « parenthèse » que l’on refuse de refermer. Ce si beau logo du poing et la rose est mort progressivement depuis le milieu des années 1980. Le nouveau est maintenant en phase avec le logiciel social-démocrate et européiste. Déjà le détournement historique commis en 2005 avec une affiche du centenaire qui faisait porter à Jean Jaurès un drapeau européen annonçait de sombres desseins. Aujourd’hui nous y sommes, le PS tourne le dos à Epinay et crie : « Vive Guy Mollet ! »

Article publié sur Marianne2 : http://www.marianne2.fr/Logo-d-avenir-pour-PS-du-passe_a183460.html

mercredi 13 janvier 2010

Le jospinisme, la maladie gériatrique du socialisme

Deux militants Gaël Brustier et Jean-Philippe Huellin et un élu Mickaël Vallet, tous socialistes, fustigent le retour sur la scène médiatique de Lionel Jospin. Pour eux, l'auto-congratulation de l'ex-premier ministre est représentative de la sclérose idéologique du parti depuis 27 ans.

Il revient parce qu’il n’est jamais parti. Dans un livre de mémoires à paraître très prochainement, Lionel Jospin s’apprête à rappeler l’alpha et l’oméga de la pensée socialiste à ses camarades, ou du moins celle que les clercs et les intellectuels de système sont chargés de faire respecter. Le camarade Jospin va parler et l’enjeu est plus vaste qu’une autojustification égotiste.

D’aucuns reprocheront à Lionel Jospin de tenir le même discours depuis 2002. Ils auront tort. Lionel Jospin n’a pas changé depuis 1983 ! Metteur en scène de l’autocritique de sa propre défaite en 2002, il offre aux Français le seul regard qui lui semble légitime : le sien. Dans cette Eglise qu’est le PS, l’abbé Jospin, las d’en avoir été le principal docteur de la foi, souhaite depuis sept ans revêtir les habits du martyr. Son bilan était bon, c’est sa « perception » par les Français qui ne l’était pas. De l’inconvénient de gouverner la France, ce pays d’impies !

Rien de neuf en réalité, car l’enthousiasme pincé du camarade Jospin pour son « bon bilan » de 2002 fait irrésistiblement penser à celui manifesté à la tribune du Congrès de Bourg-en-Bresse en 1983. A l’époque, théoricien de la « parenthèse libérale », le Premier Secrétaire, empressé qu’il était de justifier le tournant libéral de l’action gouvernementale, concluait les débat en exigeant de ses camarades, « un Parti plus unanime pour l’appuyer ».

A partir de 1983, le PS devenait un parti « campé aux côtés du gouvernement », c’est-à-dire faisant siennes les contraintes qui pesaient sur l’action gouvernementale et cessant de facto d’exercer les fonctions d’un parti socialiste. Le PS, arrivé au pouvoir, voyait ses cadres se lover dans l’appareil d’Etat et bientôt ses anciens experts et ses hauts-fonctionnaires se ruer dans le secteur privé. La réussite sociale d’une génération remplaçait l’accomplissement du socialisme en France.

Pour agrémenter « idéologiquement » le quotidien, le PS se dotait de fausses consciences chargées de se substituer à l’idéal socialiste et à la « rupture avec le capitalisme » : « Europe sociale » et « antiracisme » devenaient les vasodilatateurs d’un Parti à l’encéphalogramme plat chargés de donner brièvement l’illusion de la maîtrise des choses alors que les « vents dominants » l’emportaient vers les rives du Potomac et l’Amérique reaganienne.

« Rien n’a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste ! »

Dans l’histoire du socialisme français, le jospinisme n’est pas un épiphénomène ou une incongruité historique, il est autant le produit des contraintes qui ont réellement pesé sur l’action des socialistes en 1983 que cette absence de volonté des socialistes que l’on pourrait définir comme le souhait de ne point penser le monde de peur que la raison ébranle ce à quoi ils sont souvent le plus attachés : le raisonnable. En conséquence, rien n’a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste !

Pas une idée neuve, pas une analyse novatrice, pas un poste électif qui n’ait échappé à l’appétit prédateur d’une caste qui s’est peu à peu substituée aux militants. Pour penser, aujourd’hui, le socialisme, on doit se réfugier en dehors du Parti Socialiste, voilà la conclusion – à notre sens erronée - de beaucoup. Lucile Schmid, vice-présidente démissionnaire du Laboratoire des idées socialiste, a rappelé récemment qu’on a opposé à sa candidature aux élections régionales le fait qu’elle serait une « intellectuelle ». Triste bilan !

Ce qui manque à la Gauche, au PS comme à ses « alliés », c’est la volonté de quitter enfin les années 1980 et de faire un retour vers le présent sinon vers le futur. Période de réussites individuelles hors du commun, ces années ont aussi été celles d’une glaciation idéologique de la social-démocratie et de la gauche française dans son ensemble et de l’emprise croissante d’une caste social-libérale sur le destin de la gauche.

Aujourd’hui, penser la globalisation financière, la nouvelle géopolitique mondiale et la géographie sociale française, c’est penser les fameuses contraintes que le PS met si peu d’énergie à vouloir desserrer. Pour bâtir un projet progressiste face aux droites européennes, nous devons penser l’alliance de l’idéal égalitaire et de la protection de la planète. Voilà des pistes pour sortir le camp progressiste de l’ornière. Cela passe aussi par un réveil militant !

Nous n’avions pas cinq ans au moment du Congrès de Bourg-en-Bresse de 1983, pourtant l’histoire nous a enseigné que, comme après 1920, comme après 1945, comme après 1969, la « vieille maison » pouvait être un des lieux d’élaboration d’une alternative politique et sociale. Il est temps qu’après les Français en 2002, les socialistes remercient définitivement cette fois le camarade Jospin. Aidons-les !

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin sont membres du Parti Socialiste, auteurs de Recherche le peuple désespérément, Bourin Editeur, 2009. Mickaël Vallet est Maire (PS) de Marennes (17).

http://www.marianne2.fr/Le-jospinisme,-la-maladie-geriatrique-du-socialisme_a183444.html

mardi 12 janvier 2010

Discours de Régis Debray aux Assises du socialisme (octobre 1974)


Mes chers camarades, je ne voudrais pas alors que l'heure est à l'harmonie et à l'harmonisation des conclusions notamment, des divers carrefours et commissions, faire entendre une fausse note en guise d'introduction à cette séance plénière. Mais il y a une note, et même une musique, que l'on n'a guère entendue et qui est celle de la réalité internationale du moment, la réalité du rapport des forces internationales dans lequel nous nous trouvons pris. Je sais que c'est un bruit de fond particulièrement sinistre, mais il me semble dangereux de ne pas l'entendre.

J'entends bien que ce n'est pas l'objet de notre débat qui se doit à son titre : ce sont les assises nationales, mais cette mise entre parenthèses de la lutte des classes internationales telles qu'elle se développe actuellement est une nécessité de méthode, elle ne peut être, à mon sens un oubli pur et simple ou un refoulement inconscient, parce qu'alors on risquerait peut-être de verser dans l'utopie, et ce ne serait pas la première fois, mais les utopies paient et elles coûtent même très cher.

Comme le rappelait hier François Mitterrand, le projet de société s'inscrit dans le cadre d'une stratégie ; qui dit stratégie, dit lutte et combat, et qui dit lutte dit affrontement avec un adversaire.

Voilà une lapalissade qu’on oublie trop souvent dans ce genre de discussion ; il me semble qu'on n'a guère senti suffisamment la présence d'un adversaire et même d'un ennemi : il n'y a pas eu de carrefour, que je sache, sur les structures actuelles de 1'impérialisme, ni sur les problèmes du Tiers-Monde, ni sur la stratégie actuelle du capital international.

Disons franchement qu'on s'est occupé plus de ce que nous voulons et non de ce que l'adversaire veut et encore moins de ce que 1'adversaire peut faire.

Or, vous savez qu'une stratégie par définition qui ne tient pas compte de celle de l'adversaire et des moyens dont il dispose, cela s'appelle le Café du Commerce, connais toi toi-même, connais l'ennemi comme toi-même et tu gagneras sans bataille. C'est un proverbe chinois... je pense que nous devrions 1'écouter un peu.

Pour le dire en quelques mots, la bonne nouvelle de ces assises et c'est capital de s’exprimer ainsi, le socialisme que nous voulons n'est pas un socialisme comme les autres. Il leur sera infiniment supérieur, parce qu'il incorporera tous les acquis de l'histoire de notre pays et la France a une exceptionnelle maturité, fruit de plusieurs siècles de luttes qui trouvera son couronnement dans le socialisme qu'elle inventera à sa mesure.

Peut-être dira t-on un jour que la vraie histoire du socialisme ou l'histoire du socialisme authentique commencera ici, en France. Mais si notre socialisme ne sera pas comme les autres, il aura les mêmes ennemis que les autres. Bien plus, dans la mesure même où il instaurera un pôle d'influence, un pôle d'incitation et de rayonnement international sans précédent, il aura beaucoup plus d'ennemis que les autres. Je veux dire que ses adversaires naturellement seront prêts à tout pour lui barrer la route : Qu'est-ce que le Chili dans le monde ?

Un petit pays de 6 millions d'habitants coincé entre le Pacifique et les Andes, sans moyens économiques, cerné par des régimes hostiles, avec tous les fardeaux du sous-développement, et pourtant quand Allende en fut élu président, Kissinger a dit : "Il nous faut la peau d'Allende, car l'expérience chilienne peut avoir des contre coups en Italie et en France.

Alors, faites une règle de trois entre le Chili et la France et vous saurez ce que dira Kissinger devant le Comité des 40, au lendemain de l'arrivée au pouvoir, par la volonté du peuple, d'un gouvernement de gauche ! (Applaudissements)

Et pas seulement ce qu’il dira, mais ce qu'il fera.

Voilà ce qui nous indique que ces Assises ne sont pas un jeu de société, mais qu'elles engagent une partie très sérieuse où chacun doit savoir à quoi s'en tenir, je veux dire à quel adversaire il aura affaire.

Nous n'allons pas édifier le socialisme auto-gestionnaire sur une table rase, mais dans le monde tel qu'il est. Dans ce monde sévit une lutte de classes impitoyable dont les lois et règles s'exercent différemment ici et là, mais sont les mêmes fondamentalement partout, que l'on soit à Rome, ou à Santiago ou à Lisbonne.

Comme le rappelait hier Michel Rocard, nous ne sommes pas ici les intellectuels qui faisons les plans de la cité idéale dans un Club de discussion, mais des militants engagés dans un combat très dur, sans répit, où tout se paie.

Je rappellerai donc que dans le langage de la circulation automobile, on appelle l'illusion du mort celle qui consiste à calculer le dépassement d'une voiture sans faire entrer dans ses calculs la vitesse de la voiture qui vient en sens contraire, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de faire un programme, encore faut-il se donner les moyens de le faire passer dans les faits, c'est-à-dire estimer le rapport des forces, notamment les forces adverses et l'emploi que l'adversaire peut et entend faire de ces forces, et nous ne pouvons pas oublier que dans le monde tel qu'il est, le socialisme, et plus encore s'il est auto-gestionnaire, a des adversaires prêts à tout, à frauder, à mentir et à tuer le cas échéant.

Je rappelle qu'il n'y a pas deux univers en vis-à vis, sans rapports l'un avec l'autre, comme deux pages d'un journal que l'on ouvre, à gauche, la rubrique internationale sur laquelle on verse une larme de pitié ou même de solidarité devant toutes ces nouvelles d'assassinat, de complot, de corruption et puis, on passe à l'autre page qui est la page des choses sérieuses, des choses de chez nous, où l'on reste entra gens de bonne compagnie : le sang et la panique pour le Tiers-Monde, la correction, la démocratie pour notre monde à nous.

A ce propos, une parenthèse : il est regrettable que le terme ambigu de "Tiers-Monde" ait été repris dans le projet de société, puisque la fonction de ce mot est parfaitement imprécise et creuse, mettant dans le même sac des réalités aussi incompatibles que Cuba ou le Brésil, que le Bengladesh ou l'Emirat du Koweït… et que faire de l'Australie et du Japon… bref, il est regrettable que ce mot ait été inclus dans le projet tel qu'il est, car la fonction de ce mot est de faire croire que le Tiers-Monde est précisément tiers, c'est-à-dire étranger au nôtre, c'est-à-dire que nous n'avons rien à voir avec lui, comme si le Tiers-Monde n'était pas le sous-produit et l'envers du nôtre, comme si les lois qui président à son sous développement ne sont pas les mêmes que les lois qui président à notre développement à nous.

Bref, il n'y a pas deux ou trois mondes, mais un seul. (Applaudissements)

Et ce monde est celui où Kissinger rappelle à l'ordre l'Ambassadeur des USA à Santiago, parce qu'il avait osé conseiller à la Junte de torturer et de tuer un peu moins, c'est-à-dire avec un peu plus de discrétion, c'est-à-dire le même monde à deux stades de développement : quand le socialisme est encore un thème de discussion, de virtualité, une option pour des opposants, disons que la CIA, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, se contente de faire travailler ses analystes, ses spécialistes des masses média et de l'intoxication ; mais quand le socialisme devient un danger réel, alors ce sont les hommes de main qui remplacent les analystes et les tueurs sont là.

Ou alors croit-on que ceux qui ont planifié, financé, téléguidé l'assassinat d'Allende, de la démocratie chilienne, deviendront doux et généreux comme les oncles d'Amérique devant un gouvernement de gauche en France ?

Je doute pour ma part que la qualité de notre cuisine, les trésors du Louvre et les souvenirs de La Fayette suffisent à les attendrir pour longtemps !(Applaudissements)

Je rappelle donc que Salvador Allende, le Général Prats, que Michel Henriques et des milliers d'autres moins connus, dont on parle moins sont morts pour nous : les mêmes forces qui les assassinent aujourd'hui ne resteront pas les bras croisés demain chez nous.(Applaudissements)

Ce n'est pas un pronostic, ni un jugement de valeur, c'est un constat. La bourgeoisie internationale mène sa lutte de classes sans phrases, sans assises et sans colloques, mais avec une cruauté implacable et des moyens énormes.

Rappelons nous que l'ITT ne fait pas de sentiment, quand on fait des affaires, on n'y met pas du cœur, on pense en terme de rentabilité et d'efficacité, la bourgeoisie est à l'école du big business où seul compte le calcul, et non le sentiment.

Évidemment, nous ne devons, nous ne pouvons pas nous comporter comme elle, mais nous ne pouvons pas non plus faire comme si elle n'était pas ce qu'elle est : prête à tout.

Ces derniers temps des révélations nous sont venues d'outre-Atlantique, elles confirment l’intervention dès le début de Salvador Allende des organismes américains au Chili, on vous a dit que 7 millions de dollars avaient été investis sur ordre du conseil national de sécurité des Etats-Unis dans la subversion contre le régime démocratique chilien, faites la correction : il s'agit de 70 millions de dollars, car ça s'est écoulé au marché noir, mais l'important de ces révélations n'est pas dans le contenu qui confirme ce que tout le monde sait, mais dans leur forme : disons que pour la première fois dans l'histoire de l'Occident les dirigeants de l'Empire capitaliste les plus puissants reconnaissent officiellement le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de n'importe quel pays de leur sphère d'influence.

Certes, les rapports internationaux n'ont jamais été régis par la morale, ni par le droit des gens. Mais une pudeur diplomatique imposait de considérer que les coups bas s'opéraient sous la table.

Eh bien ! maintenant, non, il existe une nouvelle légitimité impériale qui a remis officiellement le droit des peuples en cause, qui a remis officiellement en cause le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est le sens qu'il faut, je crois, accorder aux diverses déclarations qui nous ont été faites. Je vous rappelle celle de Kissinger déclarant que si un pays est suffisamment irresponsable pour choisir la voie du communisme- a-t-il dit - nous ne pouvons rester les bras croisés et je vous rappelle les mots de Ford qui a dit que ce qui a été fait au Chili a été fait dans les intérêts des Etats-Unis et du Chili. Que le président des Etats-Unis soit le seul juge des intérêts des Etats-Unis, c'est juste, mais qu'il le soit pour le Chili ne peut que nous laisser rêveurs. C'est un message, un avis aux lecteurs qui sont envoyé aux chancelleries et aux peuples d'occident et qui nous dit : si vous ne vous occupez pas de vos intérêts, nous nous en occuperons pour vous, c'est-à-dire que si les Français venaient à oublier le sens des responsabilités de celles que M Ford voudrait leur voir prendre, eh bien ! il trouverait un moyen de nous les rappeler.

C'est là un exemple d'une nouvelle doctrine qui n'est pas entièrement neuve, puisqu'elle s'appelle la doctrine de la souveraineté limitée.

Et nous avons des exemples, devant nous, en Europe même, car cette doctrine s'applique partout, nous avons l'exemple de l'Italie tout près de nous, nous avons eu l'exemple de la Grèce où vous vous rappelez que fut annoncée d'abord à Washington la destitution des généraux fascistes avant qu'elle ait eu lieu.

Et nous devons aussi parler de la campagne d'intoxication sans précédent qui se développe contre le Portugal, et comme Claude Estier le rappelait dans l'Unité, nos camarades portugais sont très inquiets, ils ont toute raison de l'être, cette campagne n'est pas gratuite, elle signifie certainement le premier échelon de quelque chose de plus sérieux, l'exemple du Chili doit nous ouvrir les yeux.
C'est ainsi que nous avons vu sur les murs de Paris la couverture d'un hebdomadaire de grand tirage nous annoncer qu'il y avait eu au Portugal un coup communiste. Vous et moi, comme les Portugais, on croyait qu'il s'était plutôt agi d'un coup de la Droite fasciste déjoué par le mouvement des forces armées.

Eh bien ! il n'en est rien et nous avons de nouveau quelque chose qui, au Chili, s'est appelé le Plan Z et qui a été destiné à présenter le massacre de 20 000 Chiliens parmi les militaires fascistes chiliens comme un simple réflexe d'autodéfense.

Bref, je me résumerai. J'en ai fini. Je me résumerai avec quelques mots très simples. Je crois que nous sommes tous d'accord que l'unité des forces de gauche en France ne peut pas se concevoir dans la division et l'éparpillement des forces de gauche dans le monde. Nous ne vivons pas sur une autre planète que le Portugal, le Chili ou l'Argentine. La mise en oeuvre d'un socialisme exemplaire à la mesure de l'histoire de la France et de ses traditions politiques, mettra la France aux avant-postes de la lutte contre les adversaires du Socialisme.

La France a tous les atouts pour l'emporter et faire respecter son choix à ceux quels qu'ils soient et quel que soit leur prétexte, qui mettent en cause le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Cela est déjà arrivé dans l'histoire de France qu'elle tienne tête aux forces liguées de l'absolutisme et de l'arbitraire ; elle en a, en tout cas, les moyens matériels et politiques aussi, et elle en aura un peu plus les moyens après la fin de ces Assises.

Je souhaite que le rappel de ces quelques évidences n'ait pas fait l'effet d'un coup de pistolet dans un concert. C'est de toute manière, moins une fausse note, je l'espère, qu'un accord complémentaire. Je sais que je prêche des convaincus, et je n'en veux qu'une preuve : dans trois jours, François Mitterrand, à la tête d'une délégation du Parti Socialiste avec Gaston Defferre aussi, rencontrera Fidel Castro pour un échange de vues qui ne peut qu'être fructueux pour l'un et pour l'autre… (Applaudissements) … et puisque nous avons déjà eu droit à des dictons du terroir, permettez-moi de résumer mon propos par une autre lapalissade qui a l'avantage de se traduire dans toutes les langues : un homme averti en vaut deux.

Je vous remercie.(Vifs Applaudissements)

samedi 2 janvier 2010

Made in France ?

Les fêtes de fin d’année sont l’occasion, bon gré mal gré, de faire les courses dans toutes sortes de grandes surfaces plus ou moins spécialisées. Cette année, une chose bien nouvelle m’a sauté aux yeux : la présence sur certains articles de petites étiquettes tricolores portant les inscriptions « Made in France », « Fabrication française » ou « Produit en France ».

En l’espace d’un après-midi et le passage dans trois enseignes différentes de la grande distribution (textile, chaussure, jouet), j’ai vu se multiplier ce type d’étiquette « cocardière ». Tel le village d’Astérix au milieu de la Gaule romaine, il y a une résistance organisée et visible du « Made in France » au milieu d’un territoire que l’on croyait exclusivement réservée au « Made in China ». Voir ainsi des jouets en plastique d’une célèbre marque jurassienne rachetée récemment par un groupe allemand estampillés « fabrication française », cela fait chaud au cœur… Ainsi donc, tout ne serait pas parti en Chine… pas encore ?

Serait-ce alors un indice d’une certaine relocalisation d’une production exilée un temps en Extrême-Orient et revenue dans nos vertes contrées par souci environnemental et social ? L’histoire serait trop belle. Elle est d’ailleurs fausse puisque pour une relocalisation il y aurait dix délocalisations… On sait aujourd’hui comment un autre groupe jurassien, spécialiste de la fabrication de lunettes, a magnifiquement bien communiqué une relocalisation qui ne concernait en fait que 7% de sa production !

Nous voilà rassurés ! On est donc bien dans le domaine du marketing, de la « com ». Ces petites étiquettes sont comme des tests que les commerciaux de ces groupes, plus tout à fait français mais pas encore entièrement chinois, nous imposent : êtes-vous prêts à payer un peu plus cher pour acheter un produit fabriqué au pays ?

Derrière le cas de conscience commerciale, ces gens du marketing ont au moins compris ce que les dirigeants éminents de la gauche officielle refusent d’aborder : celle de la préférence locale en matière commerciale qui pourrait déboucher sur un nécessaire protectionnisme européen. Les amis de Pascal Lamy seraient ainsi bien inspirés de se rendre compte que même les consommateurs des couches populaires sont aujourd’hui prêts à acheter français (ou européen) dans les temples du libre-échange. Une bonne leçon pour débuter 2010.

Article publié sur Marianne2 :
http://www.marianne2.fr/Made-in-France-Le-retour_a183329.html