mercredi 21 décembre 2011

mercredi 13 juillet 2011

MBF : aux côtés d'Arnaud Montebourg (2)


Primaire : pour en finir avec la «prolophobie»

En désaccord avec la fondation Terra Nova qui ignore la géographie sociale française en conseillant à la gauche d'abandonner les couches populaires, Gaël Brustier - proche d'Arnaud Montebourg - et Jean-Philippe Huelin estiment que la primaire du PS peut révéler l'existence d'une véritable coalition sociale majoritaire.

Les primaires ont une vertu fondamentale : s’adresser à l’ensemble du pays non seulement pour désigner un candidat, pour définir un projet mais également pour changer la stratégie électorale de la gauche. Au-delà des rebondissements de la campagne, la gauche a l’occasion d’opérer un réalignement électoral conforme à ses valeurs et aux attentes du pays.

Dès l’instant où les partis ont décidé de cesser d’être des consciences collectives, il fallait changer d’organisation. Les primaires sont un chemin vers la conscientisation d’un plus grand nombre de Français, elles ont représenté et représentent le meilleur moyen de faire se lever un imaginaire alternatif à celui des droites dans notre pays. Les critiques des primaires sont souvent inopérantes car elles se fondent sur une conception du parti qui précisément n’existe plus. Le vieux parti hérité de la section des piques de la Révolution, à la fois conscience collective et outil de cette conscience collective, a bien souvent sombré. Il n’existe plus qu’en apparence et rassemble souvent des supporters parfois moins politisés qu’une bonne part de la société (il suffit de contempler le lip-dub UMP paru l’an passé).

Reconnaissons à la dernière publication de la fondation Terra Nova le mérite d’avoir posé à la gauche une question stratégique déterminante pour l’élection présidentielle de 2012 comme pour sa capacité à gouverner dans la durée. Cette note stratégique assume – ou avalise – avec un fond d’honnêteté une stratégie pourtant perdante. Elle théorise les conséquences du tournant néolibéral opéré, mais jamais revendiqué, par le PS en 1983. Terra Nova a donc publié une sorte de « Bad Godesberg stratégique ».

Le refrain des sociaux-libéraux les plus assumés est simple : ne servant plus les intérêts des couches populaires, la gauche ne doit plus leur mentir et aller chercher ses voix chez les classes plus favorisées qui ont fait ses derniers succès électoraux… obtenus dans des contextes d’abstention massive.

Cette stratégie là fait l’impasse sur la réalité de la géographie sociale française, électoralement objectivée le 29 mai 2005 et dans laquelle la droite s’est fondue le 6 mai 2007. La ligne de front politique passe à la fois par le Nord-est et par les zones périurbaines. C’est là que c’est opéré un réalignement électoral qui a porté la droite au pouvoir. C’est aussi là que les conséquences de la mondialisation atteignent un point d’incandescence préoccupant.

Abandonner ouvriers et employés (qui sont majoritaires en France), concéder les seniors à la droite (dans un pays relativement vieillissant) a pour corollaire de miser sur l’abstention. C’est là le grand non-dit de la note de Terra Nova mais c’est aussi le pari d’une certaine gauche, qui ne se donne pas les moyens de la conquête du temps long. Ce non-dit se fonde néanmoins sur une réalité, maintes fois démontrée par le géographe Christophe Guilluy : la gauche ne gagne les élections que quand les classes populaires ne se déplacent pas. Pour autant, sommes-nous certains que la gauche va pouvoir répondre durablement aux attentes d’un électorat des villes-centres tenté par ce que nous définissons comme l’hédonisme sécuritaire, électorat qui lui se déplace certes pour voter, mais qui manifeste une volatilité certaine ?

Terra Nova théorise a posteriori une stratégie électorale subie plus que voulue par les social-démocraties européennes (et donc française) depuis vingt ans, structurellement perdante, conséquence de choix politiques par rapport à la mondialisation et qui ne permet l’accession au pouvoir que très provisoirement à une gauche incapable d’inverser la droitisation des sociétés occidentales. La preuve par Prodi.

Cette stratégie, appelée dans le cas de Terra Nova « France de demain » mais qui prend aussi l’apparence fantasmagorique des « classes moyennes », est perdante car minoritaire. Cette coalition sociale associant « les diplômés, les jeunes, les minorités, les quartiers populaires et les femmes », outre qu’elle additionne des pommes et des poires, ne permet aucunement d’avoir une coalition sociale majoritaire sur laquelle une gauche de transformation sociale puisse s’appuyer dans la durée. Terra Nova omet, dans sa référence à Obama, de dire que les stratèges démocrates ont parfaitement intégré que les Démocrates ne domineraient dans la durée que s’ils parvenaient à reconquérir la « majorité oubliée » : les cols bleus, la working class, délaissée depuis quarante ans par le Democratic Party. Avec la stratégie de Terra Nova, on abandonnerait d’ailleurs le moteur stratégique de la gauche qui est le « front de classe », variante du bloc historique théorisé par Gramsci, le combat pour l’hégémonie culturelle, condition à la prise du pouvoir, et la volonté transformatrice sur la société. Que resterait-il donc à une gauche qui oublierait ses électeurs, son histoire et plus encore sa mission historique ?

Le grand impensé de la gauche française qui lui permettrait de sortir de l’impasse apparente qu’elle connait est donc la géographie sociale née de la mondialisation néolibérale. Comment prétendre faire une note de stratégie électorale en oubliant que la gauche n’est majoritaire que dans les centres des villes et qu’elle perd du terrain à mesure que l’on s’en éloigne ? Il y a une France des perdants de la mondialisation à qui l’accès aux villes et devenu impossible et qui est reléguée de plus en plus loin des centres. N’est-ce pas à eux que la gauche doit s’adresser ? Est-ce un hasard si ce sont surtout des ouvriers et des employés (qui sont d’ailleurs souvent mariés et qui pèsent beaucoup plus qu’un quart de la population active !) ? Une certaine prolophobie empêche de voir que les solutions à apporter sont de deux ordres : économiques et sociales d’une part, culturelles et identitaires de l’autre. C’est la force de l’idée de démondialisation, portée par Arnaud Montebourg, que de répondre à l’un et à l’autre.

Une coalition sociale majoritaire existe pour la gauche ; elle se définit par le rapport à la mondialisation, mais aussi à la démocratie et à l’égalité, à l’autorité de l’Etat et à la volonté politique face aux marchés. C’était une bonne part de la recette victorieuse de 1981, occultée par les commémorations sirupeuses du 10 mai dernier... Elle rassemblerait les ouvriers et les employés, périurbains et ruraux, l’autre gauche des centres-villes (c'est-à-dire les jeunes diplômés précarisés et les banlieues) et tous ceux qui aspirent dans les couches plus favorisées à voir notre pays retrouver le chemin d’un vrai progrès. Nos concitoyens possèdent une partie de la solution. Ils pourront choisir, s’ils le souhaitent, lors des primaires d’octobre prochain un socialisme de transformation, fortement républicain. A nous, collectivement, de leur faire percevoir l’importance de leur choix.

Jean-Philippe Huelin, & Gaël Brustier, co-auteurs de « Recherche le peuple désespérément » (Bourin Editeur, 2009) et « Voyage au bout de la droite » (Mille et une nuits, 2011)

Marianne2, Mardi 12 Juillet 2011

lundi 4 juillet 2011

MBF : aux côtés d'Arnaud Montebourg

Ce jeudi après-midi, Arnaud Montebourg est venu soutenir les salariés de MBF. Après une visite très instructive de l’entreprise, il s’est entretenu avec Francis Lahaut, maire de Saint-Claude et Nail Yalcin, délégué CGT du CE. Il s’est ensuite adressé aux salariés, élus et militants présents. Alors que l’entreprise est mise en redressement judiciaire avec désignation par le tribunal de commerce de Lons d’un administrateur, il a rappelé qu’il connaissait bien la fonction des administrateurs et s’est engagé à suivre nationalement le dossier sanclaudien. Merci aux salariés pour leur accueil !





dimanche 26 juin 2011

Bouclier rural à Lamarche

Voici, sur le site de Rénover maintenant 21, le compte-rendu de la réunion de section des cantons d'Auxonne et Pontailler en Côte d'Or à laquelle j'ai participé vendredi soir. Encore un grand merci à mes camarades pour leur invitation !

mardi 21 juin 2011

Il y a 10 ans, une autre campagne présidentielle commençait...








Pourquoi le berlusconisme pourrait survivre à Berlusconi

La double défaite électorale de Silvio Berlusconi - municipales et référendum - n’entame en rien la vigueur des droites italiennes. Umberto Bossi, le chef de la Ligue du Nord, a profité de la fragilisation du Cavaliere pour exiger ce dimanche 20 juin, à Pontida, site de la kermesse annuelle de son parti, une réforme fiscale et la décentralisation vers le Nord de quatre ministères.

A lire la presse française, après ses revers électoraux des municipales du 30 mai dernier et du référendum de lundi 13 juin, Berlusconi serait proche de la sortie. Nous serions donc au terme d’un épisode politique qui a débuté en 1994 quand le magnat transalpin est devenu le Premier ministre new look d’une Italie engluée dans un affairisme qui finit de détruire la 1ère république italienne. Par abus de langage, certains parlent même de « fin du berlusconisme ». Rien n’est moins sûr tant Il Cavaliere sait, tel le phénix, renaitre de ses cendres. En sus, comme disait Auguste Comte, « on ne détruit que ce que l’on remplace » et l’on voit mal aujourd’hui l’alternative à la droitisation impulsée par Berlusconi.

La gauche italienne n'est pas en mesure de remplacer Berlusconi

Qu’y a-t-il en effet face au berlusconisme ? Une gauche divisée, sans stratégie ni stratège. Rappelons que la gauche italienne est représentée au Parlement italien par le Parti Démocrate (PD), ce dernier avatar du Parti communiste italien qui est hégémonique à gauche, et l’Italie des Valeurs (IDV) d’Antonio Di Pietro. Ce petit parti de centre-gauche s’est rapproché de la gauche plus radicale, absente du Parlement depuis 2008, incarnée par le parti Gauche, Ecologie et Liberté (SEL) où cohabitent communistes et écologistes. Or c’est cette gauche « marginale » qui a remporté les plus grandes victoires aux municipales – Luigi de Magistris (IDV) à Naples et Giuliano Pisapia (SEL) à Milan – et c’est elle qui est à l’origine du référendum victorieux contre l’immunité pénale du Premier ministre, pour l’interdiction du retour au nucléaire et contre la privatisation de l’eau, à l’occasion duquel elle a su s’appuyer sur les associations citoyennes et la « société civile ».

Le Parti Démocrate, sorte de gauche institutionnelle, tente bien de récupérer les récentes victoires électorales mais il pâtit d’une sérieuse défiance dans l’opinion. Ses chefs n’ont rien d’autre à proposer qu’une énième grande coalition électorale qui irait des communistes au centre-droit, comme en 1996 et en 2006. Or il manquerait à cet attelage la clé de voûte naguère incarnée par Romano Prodi, l’homme de la parenthèse au berlusconisme.

La droite italienne est encore majoritaire en Italie

Ce que la gauche italienne n’arrive pas à comprendre c’est la profonde marque (pas seulement publicitaire) que le berlusconisme, fondé sur l’égoïsme et l’hédonisme, a imprimé sur la vie politique. En vingt ans, il a imposé une droitisation qui va bien au-delà d’une simple victoire électorale. C’est pourquoi le berlusconisme pourrait bien survivre à Berlusconi. En effet, dans un contexte politique favorable à la gauche, un récent sondage sur les intentions de vote des Italiens publié dans « la Repubblica » accorde 39% à la majorité parlementaire (le Peuple des Libertés de Silvio Berlusconi et la Ligue du Nord d'Umberto Bossi), 13% au centre-droit (UDC et Fini) et 42.5% à la gauche. La droite est donc encore majoritaire en Italie…

Berlusconi affaibli, Fini provisoirement sur la touche, c’est Bossi, partenaire incontournable de la coalition parlementaire, qui organise donc une nouvelle contestation de l’intérieur à la politique gouvernementale en demandant le transfert symbolique de ministères de Rome vers la « Padanie » et une réforme fiscale qui, ici comme ailleurs, rimerait avec baisse d’impôt…pour les plus riches.

On retrouve ici la fameuse alliance de la conservation et de la contestation, fondement de la droitisation tel que nous l’avons envisagé avec mon complice Gaël Brustier. Et déjà pointe le bout du nez de Giulio Tremonti, ancien du PSI et principal artisan de cette droitisation. Ministre de l’économie de Berlusconi depuis 1994, il s’impose comme une solution de rechange en cas de chute de Berlusconi, voire en successeur officiel pour les élections générales de 2013 si Berlusconi tient jusque-là. Quand on sait que Tremonti pense pouvoir faire sortir l’Italie de la crise politique et économique en réformant l’impôt sur le revenu qui passerait de cinq tranches à trois, on comprend mieux comment fonctionne ce processus dextriste : cette droite-là est un tank qui ne connaît ni la pause, ni la marche arrière...

Jean-Philippe Huelin, Atlantico.fr, 21 juin 2011

dimanche 12 juin 2011

La désindustrialisation de la France continue

Des suppressions d'emploi ont été annoncées chez l'équipementier automobile MBF dans le Haut-Jura (450 emplois), d'autres sont envisagées pour deux sites de PSA à Aulnay-sous-Bois et à Sevelnord. Jean-Philippe Huelin tire la sonnette d’alarme concernant ce phénomène de désindustrialisation.

Il a été annoncé le 31 mai 2011, la suppression de 199 des 450 emplois de l’équipementier automobile MBF Technologies à Saint-Claude dans le Haut-Jura. Cette usine, plus connue localement sous son nom historique, Manzoni-Bouchot (MB), est le dernier reliquat d’un groupe né dans cette même cité après la Seconde Guerre mondiale. L’usine a une activité de fonderie d’aluminium sous pression et d’usinage de pièces pour l’automobile, en particulier pour le voisin sochalien Peugeot et pour Renault. L’usine est passée de plus de 800 personnes en 2007 à 450 aujourd’hui et donc 250 demain.

Ce pourrait être à terme une fermeture d’usine de plus, celle d’une entreprise familiale tombée en 1999 dans la financiarisation de l’économie avec son rachat par un groupe financier suisse puis dans les griffes de l’externalisation de Peugeot à qui MB rachète la fonderie de Villers-la-Montagne en 2002. Tout aurait pu s’arranger avec la reprise de la branche fonderie par un concurrent français, le groupe Arche, en 2007, mais ce ne fut pas le cas.

Aujourd’hui en effet, ces licenciements portent en eux un symbole et un signal d’alarme. Le symbole tient dans la désindustrialisation d’un bassin d’emploi, le deuxième en Franche-Comté (elle-même première région industrielle de France), qui se situe dans une très vieille région industrielle, loin des grandes villes. Saint-Claude est une sous-préfecture de 11 000 habitants au cœur d’une zone rurale, d’un parc régional et d’un bassin de vie qui a perdu 10% de ses emplois entre 1999 et 2007.

Mais il y a deux autres informations tombées ce jour qui mettent en perspective ce désastre industriel pour ce secteur du Jura et qui au-delà de lui sont un véritable signal d’alarme. La première information est le projet de fermeture du site PSA d’Aulnay-Sous-Bois. Pour le groupe français PSA, cela doit correspondre à une volonté de rattraper son concurrent français qui le devance encore en matière de délocalisation : Peugeot affiche 37,2% de véhicules assemblés en France, Renault n'en a produit que 26,4%. Dans ces conditions, nul doute que la pression à la délocalisation soit très forte sur les sous-traitants de Peugeot ! Il faut ajouter que Renault a pris de l’avance en faisant tourner à plein régime la fonderie de Dacia en Roumanie…

La seconde information est le montant du déficit de la balance commerciale française qui a atteint en avril 2011 plus de 7 milliards d’euros. Notons que parmi les causes de l’accentuation de ce déficit vient le repli de 1.5% des exportations industrielles dû à la baisse des ventes d’équipements automobiles.

Qui peut aujourd’hui encore nier le lien entre désindustrialisation, délocalisation, appauvrissement et chômage ouvrier ? On ne peut plus seulement proposer au monde ouvrier, comme l’a fait avec courage le Conseil Régional de Franche-Comté, des formations qualifiantes en attendant la reprise. La crise financière de 2008 a bon dos et sert de prétexte à une désindustrialisation beaucoup plus profonde. Il s’agit donc de s’attaquer aux racines du processus. Rôle de l’euro, mesures de protectionnisme à l’échelle continentale, combat pour la « made in France », valorisation des savoir-faire ouvriers, tels sont entre autres, les vrais sujets sur lesquels on attend les candidats aux primaires. A eux de nous convaincre que le futur président de la République pourra s’opposer à la désindustrialisation de notre pays ! Qu’ils viennent l’expliquer aux ouvriers de Manzoni-Bouchot à Saint-Claude, on saura les écouter.

Jean-Philippe Huelin - Tribune | Dimanche 12 Juin 2011

mardi 7 juin 2011

Après le Portugal, il faut un état d'urgence idéologique à gauche!

Sur vingt-sept pays européens, plus que cinq sont aujourd'hui dirigés par la gauche, dont trois par coalition. Face à la percée des partis de droite en Espagne et surtout au Portugal, Jean-Philippe Huelin, professeur de géographie et militant socialiste, appelle à un renouveau de la social-démocratie européenne.

Nouvelle élection et donc nouvelle défaite pour la gauche européenne. José Socratès n’est qu’un nom de plus sur la liste des valeureux chefs de gouvernement socialiste ou social-démocrate européen vantés par les élites européennes avant d’être battus par leur propre peuple. Avec près de 38% des voix, son challenger conservateur, le bien-nommé Parti social-démocrate portugais a remporté 105 sièges dans la chambre monocamérale qui en compte 230. Allié au Centre démocratique et social qui a obtenu 24 sièges pour 12% des voix, la droite conservatrice a donc une confortable majorité qui va lui permettre de mettre en place des plans de rigueur encore plus rigoureux que ceux de José Socratès. Le futur premier ministre, Pedro Passos Coelho, s’est d’ailleurs déclaré « absolument lié » aux termes du dernier plan d’austérité élaboré par l’UE et le FMI.

Après les victoires municipales et régionales des droites espagnoles il y a quinze jours seulement, nous assistons donc à un printemps droitiste ibérique dont on peut déjà tirer au moins trois leçons :

1) Les échecs électoraux des socialistes ibériques Zapatero et Socratès, pourtant portés aux nues pour leur pragmatisme par les oppositions de gauche dans le reste de l’Europe, sonnent le glas du socialisme d’accompagnement de la crise. Sur les 27 pays européens, la gauche ne dirige plus aujourd’hui, excusez du peu, que 5 pays : Chypre (dirigé par un communiste), la Slovénie (où le gouvernement social-démocrate est minoritaire depuis mai), l’Autriche (en grande coalition avec les conservateurs), la Grèce de Papandréou et donc l’Espagne de Zapatero.

2) Les débats électoraux n’ont porté que sur la position du curseur sur l’échelle de l’austérité généralisée. Aucune imagination de la gauche gouvernementale, un suivisme ahurissant à l’égard des marchés financiers qui dictent leurs lois, tel est le quotidien du pauvre électeur qui se réclamerait encore de gauche… On le démobiliserait pour moins que cela !

3) Le mécontentement déserte le champ électoral pour se réfugier dans l’indignation (en Espagne) ou l’abstention (41% ce dimanche au Portugal, nouveau record pour la pourtant jeune démocratie portugaise !). Même la gauche de la gauche ne profite pas de la crise (-5% pour le Bloc de gauche au Portugal).

Face à un tel désastre, la sidération de la social-démocratie européenne est au moins aussi grande que celle de la France face à l’affaire DSK ! Il suffirait presque de quelques victoires municipales d’une gauche morale en Italie qui conteste plus Berlusconi dans son style que dans le fond de sa politique pour que la gauche se reprenne à rêver ! Chimères en réalité ! La crise continue de porter les droites européennes et les contestations semblent autant de nourritures nouvelles dont elles se délectent.

Face à un tel séisme politique et idéologique, la solution ne peut pourtant venir que d’une Révolution interne à la social-démocratie européenne. On attendrait d’elle qu’elle invente un socialisme de transformation qui lui permette de gagner un soutien populaire dans la durée. On voudrait voir l’Internationale socialiste décréter une sorte d’état d’urgence idéologique, s’ouvrir à toutes les tendances progressistes et tenir des Etats généraux du renouveau. On voudrait voir des responsables politiques prendre du recul par rapport à leur action, des penseurs européens lancer un débat pour la refondation de la gauche. On aimerait participer d’un grand mouvement d’émancipation des peuples, un nouveau printemps des peuples européens… malheureusement, comme l’écrivait le dramaturge espagnol Calderon au XVIIe siècle : « La vie est un songe et les songes rien que des songes. »

Jean-Philippe Huelin - Tribune | Mardi 7 Juin 2011

vendredi 3 juin 2011

Communiqué de presse de soutien à MBF

Texte du communiqué in extenso :

L’annonce du licenciement prochain de 199 salariés chez MBF Technologies à Saint-Claude est une nouvelle saignée sociale pour le Haut-Jura. 

Je pense d’abord aux ouvriers qui ont bataillé pour sauver leur emploi depuis le dernier plan social de 2009 et qui pourraient venir grossir les rangs des chômeurs. Dans un contexte de grave crise économique, l’argent public n’a pourtant pas manqué pour aider cette entreprise. De ce fait, le Groupe Arche a des responsabilités à assumer face à l’ensemble de la collectivité et pas seulement face à ses actionnaires. 

Je soutiens la détermination des syndicats pour sauvegarder l’emploi. On ne peut, en effet, rester les bras ballants face à la désindustrialisation de notre pays en général et du Haut-Jura en particulier. L'issue des combats politiques à venir dépendra de la capacité de la gauche à réaliser une « alliance des productifs » qui permette à chacun de vivre dignement de son travail. Elle dépendra aussi de sa volonté de maintenir l’activité industrielle dans notre pays, voire de tracer des pistes pour le réindustrialiser. 

Pour commencer, il serait souhaitable que les forces de gauche du secteur se réunissent rapidement pour évoquer ce dossier et les solutions disponibles. 

Jean-Philippe Huelin 
Candidat socialiste à l’élection cantonale de Moirans

mercredi 1 juin 2011

L'hégémonie culturelle de la droite contestataire-conservatrice


Valéry Rasplus a écrit un compte-rendu très circonstancié de "Voyage au bout de la droite" sur son site "Le Voyageur social". Vous pouvez le lire en cliquant ici.

Jean-Philippe Huelin : « Les collectivités locales ne sont pas un contre-pouvoir »

Politique. Dans son dernier essai, le socialiste jurassien analyse la droitisation de la société. Un phénomène que, selon lui, les victoires de la gauche aux élections locales n’arrivent pas à enrayer.

Votre nouveau livre parle de la droitisation des sociétés occidentales. De quoi s’agit-il ?

Au départ, il y a un constat : malgré le contexte économique et social qui pourrait lui être favorable, la gauche ne gagne plus d’élections. Aujourd’hui, tout débat politique se résume à des prises de position des droites. La gauche est marginalisée, elle n’a plus de modèle à proposer et elle n’arrive pas à en inventer un autre. Nous avons essayé de comprendre ce phénomène.

Comment cette droitisation s’est-elle opérée ?

Ça commence à la fin des années 70 et au début des années 80 avec l’arrivée d’une droite néolibérale en Grande-Bretagne et aux États-Unis puis le phénomène s’est étendu à l’ensemble des sociétés occidentales. La droitisation, ce n’est pas une réanimation des droites du passé mais un phénomène nouveau lié à la peur du déclassement de l’occident qu’il soit américain et européen. Depuis trente ans, les droites ont imposé leur vision du monde, leur hégémonie culturelle qui se sont traduites par des victoires électorales. Elles ont imposé le néolibéralisme contre le keynésianisme de l’après-guerre, l’anticommunisme puis le choc des civilisations… Elles ont repris à la gauche sa capacité de contestation. Il n’y a qu’à voir ceux qu’on a appelés les nouveaux philosophes qui sont passés du droit-de-l’hommisme à Nicolas Sarkozy.

N’y a-t-il pas un paradoxe à parler de droitisation alors que la gauche arrive en tête des élections locales depuis 2007 et qu’elle est à la tête de nombreuses villes…

Mais l’enjeu idéologique dans les élections locales est inexistant ! Pour moi, il s’agit là d’une nouvelle forme de cohabitation. Depuis 2002, et l’organisation des législatives dans la foulée de la présidentielle, il n’y a plus de cohabitation possible au plus haut sommet de l’État. Inconsciemment les citoyens procèdent à un équilibrage en confiant les exécutifs locaux à la gauche qui jouent les infirmières pour panser les coups portés par le pouvoir national. Mais cette nouvelle forme de cohabitation est dangereuse pour la gauche.

Pourquoi ?

Parce qu’elle peut anesthésier ses ambitions pour reprendre le pouvoir national. La gauche se recroqueville sur les collectivités qui ne sont pas un contre-pouvoir et qui n’ont finalement qu’une emprise limitée sur la vie des gens. Certes elle n’a pas intérêt à délaisser ces collectivités qui donnent des places pour les siens. Mais je ne crois pas que ces élections locales posent des jalons idéologiques politiques sur lesquels on pourrait s’appuyer pour une victoire nationale. C’est totalement déconnecté.

Même analyse pour le conseil général du Jura qui a basculé à gauche en mars ?

Oui. D’ailleurs, on peut souligner la victoire fragile de la gauche qui est certes majoritaire en sièges mais minoritaire en voix avec un écart d’un millier de voix. Dans la perspective des futures élections territoriales en 2014, sur les sept cantons les plus petits du Jura susceptibles de disparaître, cinq sont tenus par la gauche, deux seulement par la droite. Si l’on analyse le résultat des cantonales, la droite reste majoritaire dans deux des trois circonscriptions du département : Lons et le haut Jura. On est loin d’un mouvement porteur.

Ce vote à gauche peut aussi témoigner d’une volonté de changement des électeurs…

Les gens n’attendent plus de la gauche qu’une alternance par rapport à la droite. Or l’alternance sans alternative ne sert pas à grand-chose. On ne sait pas en quoi une gestion de gauche est radicalement nouvelle. On a confié les clés du département à une majorité sans savoir très bien ce qu’elle va faire. C’est une critique que je fais à toute la gauche, dont nous sommes collectivement responsables. Avoir des élus locaux ne suffit pas à gagner une élection nationale. On l’a vu en 2007 pour la présidentielle. Si on n’a pas préparé idéologiquement le terrain, on n’en tire aucun bénéfice.

Vous-même avez été candidat PS dans le canton de Moirans-en-Montagne ?

Et j’en sais quelque chose : j’ai voulu faire une campagne idéologique notamment autour du thème du bouclier rural qui n’a pas pris.

Cela n’a pas été repris par le PS comme argument de campagne.

On a laissé chacun mener campagne comme il l’entendait, avec un programme mais sans un projet issu d’un travail collectif, qui aurait pu guider tout le monde.

Vous participez à l’organisation de la primaire socialiste dans le Jura…

Oui, je fais partie de l’équipe qui s’en occupe. J’étais, dès le départ, favorable aux primaires qui devaient initialement s’étendre sur plusieurs mois avec une désignation rapide des candidats. Cela aurait permis de faire émerger un inconnu comme Obama aux États-Unis par exemple. Au lieu de cela, on a vu une longue période de jeu de dupes où les candidats potentiels se testent par rapport aux sondeurs. Avec des primaires fixées au 9 octobre, la campagne de fond va durer trois semaines. Le système retenu ne favorise finalement que les personnalités établies, ce qui est au fond là encore un réflexe conservateur, un réflexe de droite.

Propos recueillis par Sandrine Chabert, publié dans le Progrès le 1er juin 2011


lundi 30 mai 2011

Le salaire maximum: aujourd'hui dans Pater, demain dans la loi ?

Animateur du site « Pour un salaire maximum » et coauteur de « Voyage au bout de la droite » (Mille et une nuits, 2011), Jean-Philippe Huelin défend l'idée qu'une loi pour le salaire maximum serait un symbole judicieux pour la campagne présidentielle de 2012.

Histoire d'une complicité puis d'un affrontement entre un président de la République (Alain Cavalier, le réalisateur) et son Premier Ministre (Vincent Lindon), le film Pater avance et défend l'idée d'un salaire maximum indexé sur le salaire minimum selon un coefficient qui sur lequel les deux hommes sont en désaccord : le Premier Ministre pense que le ratio doit être de un à dix, le président penche pour un à quinze. Pater ne figure pas au palmarès du festival, l’honneur des festivaliers est donc sauf !

Loin de la Croisette néanmoins, l’idée fait son chemin depuis le lancement de la pétition de Marianne en 2009. Elle fait aujourd’hui partie du programme des principaux partis de gauche : écart maximum de 1 à 20 entre les plus bas et les plus hauts salaires dans chaque entreprise pour le Parti de gauche, revenu maximal qui correspondrait à 30 fois le revenu médian pour Europe écologie - Les Verts, même le PS y vient puisque dans son projet pour 2012, il propose « qu'au sein des entreprises qui ont une participation publique dans leur capital, les rémunérations soient comprises dans une échelle de l'ordre de 1 à 20. » L’avancée peut paraître timide par rapport aux autres partis de gauche, il n’en reste pas moins que c’est un progrès encore inenvisageable il y a quelque temps…

Dans cette précampagne présidentielle, le salaire maximum sert de marqueur. Il est de presque tous les discours de Jean-Luc Mélenchon qui n’hésite jamais, avec son verbe gouailleur, à ressusciter le Georges Marchais de 1981 qui disait sur le plateau de l’émission Cartes sur table : « Au-dessus de 4 millions (d’anciens francs), 100% d'impôt, je prends tout ! » Eva Joly le reprend à son compte sans que Nicolas Hulot, étrangement, n’en fasse autant. Rien encore du côté des candidats socialistes à la primaire mais Arnaud Montebourg devrait sans doute le défendre pour donner du contenu symbolique à son socialisme de transformation. N’oublions pas qu’un récent sondage de l'Ifop publié par L’Humanité (1) montrait contre toute attente que la mesure recevait le soutien de 75% des personnes interrogées.

Le salaire maximum serait certes une mesure symbolique, c’est sa limite mais c’est sa principale force. Comment entrer dans un débat aussi ardu que celui sur la fiscalité sans annoncer une rupture avec les excès de la période actuelle ? Le salaire maximum pourrait être l’accroche populaire à la révolution fiscale si brillamment défendu par le trio Landais-Piketty-Saez (2). On ne pourra pas faire croire aux Français qu’on va sérieusement réformer l’impôt sur le revenu en lui redonnant sa nécessaire progressivité sans fixer de limites à la goinfrerie des hauts salaires. Un nouveau partage entre travail et capital passe par un retour à une décence commune qui rend impossible des écarts de revenus de 1 à 400.

Le salaire maximum est donc une formidable arme dont pourra se saisir un candidat de gauche qui voudrait battre le président sortant au second tour. Pour retrouver un écho et une crédibilité dans les couches populaires, le candidat de l’alternative en aura bien besoin.

(1) L’Humanité du 11 janvier 2011
(2) Pour une révolution fiscale, Le Seuil, 2011

Marianne2 - Jean-Philippe Huelin - Tribune | Lundi 30 Mai 2011

lundi 23 mai 2011

Lutter contre la prolophobie, retrouver le peuple

Jean-Philippe Huelin, co-auteur de « Recherche le peuple désespérément » (François Bourin, 2009), était l’un des invités de l’Université Participative et Populaire, organisée samedi 14 mai à Villers-sur-Orge par Désirs d’avenir en Essonne et intitulée « Gauche/classes populaires : le divorce ? »

Essonne Info : Votre livre a servi de fil conducteur à cet après-midi de débat. Que démontrez-vous dans votre livre ?

Jean-Philippe Huelin : Nous avons voulu faire le bulletin de santé des couches populaires en France. Absents médiatiquement, de plus en plus méprisés, les ouvriers et les employés constituent encore près de 60% de la population active et leur vote est décisif lors des grands rendez-vous électoraux (référendum sur la Constitution européenne en 2005, présidentielle en 2007).

Essonne Info : Une note de « Terra Nova » sur la stratégie électorale pour 2012 a été publiée il y a une dizaine de jours, et recommande à la gauche d’assumer son éloignement avec les couches populaires. Qu’en avez-vous pensé ?

Jean-Philippe Huelin : Cette note assume les conséquences du tournant néolibéral entérinant la mondialisation que le PS a opéré sans jamais le revendiquer depuis 1983. Elle théorise a posteriori une stratégie électorale structurellement perdante pour la gauche, qui ne permet l’accession au pouvoir que très provisoirement, la gauche se montrant incapable d’inverser la droitisation des sociétés occidentales.

Essonne Info : Vous êtes donc en totale opposition avec Terra Nova, mais alors quelle stratégie adopter pour la gauche ?

Jean-Philippe Huelin : Il ne faut pas faire l’impasse sur la réalité de la géographie sociale française. La ligne de front politique passe à la fois par le Nord-est et par les zones périurbaines. C’est là que s’est opéré un réalignement électoral qui a porté la droite au pouvoir. Il y a une France des perdants de la mondialisation à qui l’accès aux villes est devenu impossible et qui est reléguée de plus en plus loin des centres. N’est-ce pas à eux que la gauche doit s’adresser ? Est-ce un hasard si ce sont surtout des ouvriers et des employés ? Une certaine prolophobie des élites de gauche empêche de voir que les solutions à apporter sont de deux ordres : économiques et sociales d’une part, culturelles et identitaires de l’autre.

Essonne info, 23 mai 2011

jeudi 19 mai 2011

jeudi 12 mai 2011

Vers une coalition sociale majoritaire incluant le monde rural ?

Cette semaine, je suis l'invité du site d'information Shogoun et devient donc "l’empereur de Shogoun" (pour la semaine seulement, mon républicanisme est donc sauf!).

Nul doute que le vote du monde rural sera un des enjeux du scrutin présidentiel de l’année prochaine. Le PS a fourbi ses armes en travaillant sur un « bouclier rural » qui a été défendu récemment dans le cadre d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale alors que les députés UMP ruraux se regroupaient dans un groupe d’influence appelé « Droite rurale ».

Rappelons que l’élection présidentielle de 2007 s’est très largement jouée dans la capacité des deux principaux candidats à gagner l’électorat populaire, surreprésenté dans le monde rural. A ce jeu, le candidat Sarkozy a surclassé sa rivale puisque la candidate socialiste, qui a certes rattrapé quelques longueurs dans le vote ouvrier par rapport au désastreux résultat de Lionel Jospin an 2002, reste la candidate des villes quand Nicolas Sarkozy se faisait le champion du monde rural. En réalité, le vote socialiste suit un « gradient d’urbanité » : plus on est proche du centre des villes, plus le score Royal augmente. Loin de la « réalité médiatique », cette coalition sociale des bobos et des banlieues (pour faire très très court) est structurellement minoritaire, la fondation Terra Nova devrait se pencher avec plus de sérieux sur cette réalité. Le défi pour une gauche qui voudrait reprendre le pouvoir dans la durée est donc de reprendre pied, politiquement et culturellement, dans ce monde rural.

Pour ce faire, le « bouclier rural » aborde de front les deux chantiers prioritaires pour le monde rural mais aussi en réalité pour l’ensemble de nos concitoyens : la question de l’égalité, en particulier face aux services publics, et celle de l’emploi. A la première, le texte de la proposition de loi met intelligemment en avant le critère de la durée maximale du trajet entre chaque citoyen rural et les services essentiels. A la seconde, il répond équité en proposant des zones de développement économique rural favorisées par de nouveaux outils fiscaux, bancaires et réglementaires.

Cependant, la perspective doit être bien plus large qu’une série de mesures, aussi indispensables soient-elles. C’est la perception du monde rural par la gauche qu’il faut modifier, c’est la vision souvent méprisante et parfois empreinte de prolophobie des élites urbaines pour la ruralité qu’il faut changer. La gauche doit retrouver le sens de l’épaisseur géographique de la France car l’apparition d’un archipel métropolitain aspiré par le turbo-capitalisme, délaissant et rejetant l’arrière-pays rural est la conséquence géographique de la mondialisation néolibérale. Des élites intégrées d’un côté, des couches populaires de plus en plus écartées du cours du monde de l’autre, cette situation est inacceptable pour tout républicain conséquent.

Finalement, la défense du monde rural, dans cette dimension de la préservation de l’unité nationale et du maintien de l’égalité républicaine entre tous les citoyens, est une des modalités les plus pratiques du combat contre la globalisation.

Jean-Philippe Huelin, Shogoun, 12 mai 2011

dimanche 1 mai 2011

La NAR et "Voyage au bout de la droite"

Dans la revue de la Nouvelle Action Royaliste de Bertrand Renouvin, "Voyage au bout de la droite" est qualifié de "référence historique et document nécessaire à toute réflexion stratégique".

vendredi 29 avril 2011

Hollande : "chef anesthésiste d'une gauche aux idées étriquées"

Candidat aux primaires socialistes, François Hollande a lancé sa campagne ce mercredi 27 avril à Clichy-la-Garenne. Militant socialiste et co-auteur du livre "Voyage au bout de la droite", Jean-Philippe Huelin se montre sévère à l'égard de l'ancien Premier secrétaire de son parti qui ne s'empare pas suffisamment, selon lui, des questions majeures de notre époque.

On a les Rubicon qu’on peut et, pour François Hollande, Clichy-la-Garenne (« socialiste depuis un siècle » !) demeurera le sien face aux légions strauss-kahniennes. Le député de Corrèze s’est donc pleinement lancé mercredi soir dans la bataille pour les primaires. Impossible pour lui maintenant de faire machine arrière et de se retirer en négociant des places avec l’exilé de Washington. Oubliée sa vocation de comique troupier qu’il a pu développer à loisir naguère à la tête du PS : le nouveau Hollande est amaigri et sérieux, presque ennuyeux. Il a des propositions à faire pour la France. Prenons-le au mot et examinons…

Des propositions qui oublient les questions essentielles de notre époque

Son projet est fondé sur trois axes : la jeunesse, des impôts justes et le travail. Se côtoient donc « contrat de génération » permettant aux plus jeunes comme aux plus vieux de rester actifs avec des aides publiques, fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG et nouvelle démocratie sociale sur fond de participation… Sur ces sujets, on nous dit que le candidat a beaucoup travaillé, loin du tapage médiatique, entouré d’experts, avec sérieux.

Décidément, il y a un passé (passif ?) que le clan hollandais veut à tout prix faire oublier. On serait tenté d’y croire si le nouveau Hollande ne maitrisait pas l’art de l’esquive aussi bien que l’ancien Hollande l’art de la petite phrase.

Où est-il question de la mondialisation néolibérale, de la désindustrialisation de notre pays (voir le récent rapport du sénateur Bourquin) et des éventuelles solutions dans un protectionnisme européen qui érigerait des écluses sociales et environnementales aux importations venues du grand large ? Serait-ce les « vents dominants » qui effrayent l’ex-deloriste ? Et on ne parle même pas de la question de l’euro… Comme si les grands débats n’allaient pas être au centre des primaires ni de l’élection présidentielle, le candidat Hollande semble délimiter le champ du discutable et du non-discutable. Quand on a renoncé à mener des politiques budgétaires, monétaires et industrielles, on en est effectivement réduit à gérer les conséquences de la mondialisation néolibérale d’où les trois fameux axes de la campagne hollandaise.

DSK et Hollande : un renoncement commun

Il y avait donc, avec Dominique Strauss-Kahn, le renoncement assumé au socialisme sous label Washington, capitale de la finance mondiale, il y a aujourd’hui le renoncement patelin et biaisé à la mode de chez nous. Finalement, le Corrézien Hollande c’est Chirac moins la flamboyance. Il ne reste donc que le « petit père Queuille » celui qui théorisa l’évitement des problèmes.

En réalité, s’il monte dans les sondages, c’est certainement parce qu’il incarne le mieux le PS d’aujourd’hui. Après avoir organisé un long coma idéologique de dix ans comme fondé de pouvoir de Lionel Jospin (1997-2007), François Hollande est aujourd’hui l’incarnation du « socialisme municipal » qu’il a fait naître, celui qui gagne les élections locales pour éviter de vouloir changer le monde. Dans ces primaires, le candidat Hollande sera le chef anesthésiste d’une gauche aux idées étriquées et aux rêves qui se limitent à l’Élysée et l’Assemblée. Un moindre mal sans doute…

Jean-Philippe Huelin, Atlantico.fr, 29 avril 2011

jeudi 28 avril 2011

La droitisation des esprits

L'an dernier, dans Le Monstre doux (Gallimard-Le Débat), Raffaele Simone s'interrogeait sur l'émergence en Occident d'une droite adaptée à la nouvelle donne capitaliste, émergence qui depuis deux ou trois décennies laissait les gauches sans ressort. À titre d'explication, il mettait en avant la séduction hédoniste sur laquelle avaient joué des gens comme Berlusconi ou Sarkozy. Aujourd'hui, dans Voyage au bout de la droite, Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin reprennent le débat sur des bases qui paraissent plus solides et vont davantage à l'essentiel. Pour les deux auteurs, une nouvelle droite est donc apparue en différents pays dont le coup de génie a été d'emprunter à la gauche son esprit de contestation. Une droite agressive voulant bousculer l'ordre régnant et rompant avec le vieux conservatisme du changement dans la continuité».

Dans ses analyses, ce Voyage au bout de la droite emprunte largement à la pensée de Gramsci et à sa conception de l'hégémonie culturelle. Tout simplement parce que la droite nouvelle (un «dextrisme»!) a compris que, dans la montée d'un mouvement politique et la constitution de ses thèmes de combat, il fallait s'assurer une domination culturelle large.

C'est aux États-Unis que, très tôt, ce coup de force a eu lieu, et en particulier sous Reagan, ce véritable chef de guerre. Nous sommes après le Vietnam et les mouvements étudiants. Pour quelques penseurs, réunis dans des groupes de réflexion et des revues, il est grand temps de reprendre la main face à une gauche intello qui sature l'idéologie régnante. Pour les inspirateurs du mouvement, il s'agit par ailleurs de s'appuyer sur quelques grands thèmes, produits des « paniques morales» ambiantes : déclin de l'Occident, montée de l'islamisme et de son terrorisme, crise de l'État nation, etc.

Mais le plus remarquable est que bien souvent ce sont des penseurs et politiques venus de la gauche qui entretiennent ces thèmes et mobilisent à partir d'eux, anticommunisme ou antitotalitarisme compris. Ceux-là s'identifient d'emblée comme étant des néoconservateurs - en abrégé « néocons » - et vont faire le procès d'une gauche libérale qui, dans sa défense des causes raciales ou des droits de l'homme, a perdu de vue les couches populaires blanches et leur revendication égalitariste.

Or, tout cela va faire tache d'huile dans différents pays d'Europe. Vont, en effet, prendre le relais Thatcher au Royaume-Uni (que relaie Blair sous une bannière de gauche édulcorée) et, plus tard, Berlusconi en Italie. Côté français, un Balladur représente ce courant, avant que ne vienne Sarkozy. Mais, en France, est surtout remarquable le glissement de toute une mouvance de penseurs de gauche (« nouveaux philosophes », Gauche prolétarienne) dans les rangs d'une droite antitotalitaire, pro-guerre en Irak, etc.

À partir de quoi, Brustier et Huelin passent en revue avec beaucoup d'allant les différentes situations «régionales».

La nouvelle droite ne s'est pas faite en un jour et ne s'est pas faite toute seule. Elle a ses leaders, déjà cités, mais aussi ses penseurs et stratèges. Ceux-ci nous valent dans l'ouvrage quelques portraits percutants qui retracent des carrières sinueuses : Newt Gingricht aux States, Alastair Campbell en Grande-Bretagne, Gianfranco Fini en Italie, Henri Guaino en France. Le dextrisme atteint par ailleurs un électorat inattendu qui correspond à toute une reconfiguration sociale. Ainsi de larges pans des couches populaires sont passés de son côté, dont le vote est éminemment mobile. Mais n'était-ce pas déjà le cas au temps des fascismes?

Au total, le néoconservatisme brouille considérablement le spectre idéologique. On a parfois peine à le situer exactement. Que penser des actuelles Tea Parties américaines, qui se tiennent au dehors des grands appareils ? Où mettre les partis nationalistes qui s'appuient sur des régions riches visant à gérer égoïstement leur prospérité - de la Lega italienne à la NVA belge ? De plus, le néoconservatisme a toute une gamme de stratégies : elle va des interventions brutales et antidémocratiques comme de casser les syndicats avec Thatcher ou de mettre la main sur les médias avec Berlusconi jusqu'à des attitudes plus soft comme cet hédonisme sécuritaire dont se réclame la tendance bling-bling (laissez-nous jouir de l'existence au calme). Il n'en reste pas moins que les paniques demeurent et sont soigneusement entretenues.

Bref, dans tout cet écheveau, il y a de quoi s'y perdre comme s'y perdent par moments les deux auteurs. Mais ils ont procédé à un excellent déblayage autour d'un thème fort. À d'autres de creuser à présent. À la gauche par ailleurs, mais c'est une autre paire de manches, de se donner à nouveau de grands thèmes de conquête et de combat qui fassent pièce à la «fausse conscience» de la droite.

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, Voyage au bout de la nouvelle droite. Des paniques morales à la contestation ordinaire, Paris, Mille et une nuits, 2011. 18 €.

Jacques Dubois, 28 avril 2011

Retour sur les cantonales dans le Jura

lundi 11 avril 2011

Patrick Buisson fustige les prolophobes... mais travaille pour eux !

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin répondent à la « prolophobie » - un concept qu'ils ont inventé - brocardée par Patrick Buisson dans Paris Match. Ils montrent que le conseiller de Nicolas Sarkozy travaille pour une droite qui n'a elle non plus rien de « prolophile ».

Depuis quelques jours, le terme de prolophobie fait florès. Dans un entretien donné à Paris Match le 29 mars 2011, Patrick Buisson, stratège de la droite et éminence grise du Président de la République, s’est en effet saisi d’un concept que nous avions inventé dans notre livre Recherche le peuple désespérément publié en 2009. Pour nous, il ne s’agissait pas de créer une panique morale en ajoutant une phobie de plus au manuel, déjà bien épais, des bons sentiments. Il s’agissait d’apostropher la gauche sur son rapport teinté de méfiance ou de défiance avec les catégories populaires qu’elle était censée représenter dans sa diversité. Nous n’avons pas déposé le terme et ne demandons aucun droit d’auteur mais puisque M. Buisson nous fait l’honneur de le reprendre à son compte, gageons qu’il acceptera notre grain de sel à son analyse.

Remarquons d’abord qu’il ne suffit pas de dénoncer la prolophobie pour être « prolophile ». La droite actuelle n’a rien de « prolophile », accordons lui d’être simplement pragmatique sinon un tantinet cynique. Il y eut une classe ouvrière pro-Reagan, il en eut une pro-Thatcher. Les régions industrielles d’Italie voient leurs ouvriers voter à droite et à l’extrême droite. Cette réalité électorale ne manifeste pas pour autant un basculement de cette droite dans le camp du progrès social ni de la révolution prolétarienne. Les ouvriers français attendent toujours les effets du slogan de 2007 : « Travailler plus pour gagner plus » … C'est peut-être d'ailleurs dans ce slogan que l'on retrouve les ressorts véritables de l'élection de Nicolas Sarkozy qui avait combiné habilement dimension économique et sociale d'une part et dimension culturelle et identitaire de l'autre. La combinaison des deux donnait cohérence et force à sa coalition sociale dans les urnes.

Le conseiller du Prince observe justement la délégitimation sociale d’un grand nombre de nos concitoyens – ouvriers ruraux, employés périurbains – quasi-absents du débat public, mais on ne comprend pas bien de quelle « classe dirigeante » il parle quand il dit : « Le mépris dans lequel les tient la classe dirigeante a quelque chose de sidérant. Nos élites sont mues par une invraisemblable prolophobie dont elles n’ont parfois même pas conscience. » Parle-t-il bien de la même classe dirigeante que nous, celle qui depuis dix ans fait des moulinets verbaux mais reste bien calée dans l’orthodoxie néolibérale ? Ou bien est-ce un raccourci pour désigner une fois de plus les élites soixante-huitardes qui seraient, malgré toutes les alternances, au pouvoir sans discontinuer depuis quarante ans ? On s’y perd un peu…

Patrick Buisson omet également une explication (alors qu’il fut l’artisan du rapprochement Villiers-Goldsmith en 1994) : deux systèmes de légitimation se font concurrence en France. Il y a une déconnexion entre le processus décisionnel européen – consensuel et élitaire – et le champ démocratique français – conflictuel et ancré dans la souveraineté populaire. Pour plus de rigueur et de cohérence, on aurait aimé que l’analyste de la prolophobie de 2011 ne participât pas à l’équipe présidentielle qui a fait passer par la fenêtre (celle du traité de Lisbonne), ce que le peuple français (et les couches populaires dans des proportions encore supérieures à la moyenne) avait évacué par la grande porte en mai 2005 ! De mauvais esprits pourraient dire qu’il a, à cette occasion, succombé à une méprise très prolophobe, « sans en avoir conscience » assurément…

Si la réponse à la mondialisation néolibérale et aux questions posées par le libre-échange demeure un enjeu fondamental (et alors même qu’un certain consensus élitaire, dont fait partie M. Sarkozy, interdit tout débat public sur ces questions), on ne peut nier aux représentations collectives une autonomie relative mais réelle par rapport aux problèmes économiques objectifs. N’y a-t-il pas là une explication aux difficultés des social-démocraties mais aussi de la « gauche de la gauche » ou de la gauche républicaine à parer le phénomène de droitisation ?

Prolophobie et droitisation

La prolophobie donne, nous semble-t-il, l’occasion d’aborder la question de la symbolique et des représentations collectives en politique.

Patrick Buisson commet en outre une erreur d’analyse : les classes populaires ne votent pas FN parce que le FN serait « identitaire » mais parce qu’il leur semble être aujourd’hui le seul à s’opposer à la cogestion des conséquences du libre-échange et à porter une forme de symbolique correspondant à la vision qu’ils se font du monde. C’est cette articulation des deux phénomènes qu’avait pourtant réussi le candidat Sarkozy en 2007. Il convient donc de relativiser une explication qui ne serait qu’économique et sociale et qui dénierait à la poussée du Front National toute dimension « culturelle ». Mais c’est néanmoins la question de la non-résolution des problèmes liés à la mondialisation néolibérale qui est au cœur du problème. Miser sur les pèlerinages pour redresser la situation, c’est assurer à son candidat le destin du Comte de Chambord, prétendant au trône écarté pour avoir plus pensé au drapeau blanc qu’à la France.

Classique, la différence entre l'idéologique et le culturel explique l'échec des débats sur l'identité nationale ou la faiblesse de l'adhésion à un discours sur les racines chrétiennes de la France. Il faut néanmoins se défier de solutions qui feraient l'impasse sur la dimension culturelle de la droitisation. Penser que des solutions purement économiques résoudront le divorce entre la gauche institutionnelle et les classes populaires risque de conduire à une impasse...

La gauche peut-elle continuer de nier la force propulsive de l’imaginaire collectif et son autonomie par rapport aux questions économiques et sociales ? Ce serait passer à coté d’une autre réalité importante de l’évolution électorale du pays. L’exemple du vote « chasseur » démontre que la droitisation n’est pas liée exclusivement à des questions économiques et sociales. Dans un certain nombre de cantons, les voix CPNT sont, dès le premier tour, purement et simplement captées par le candidat du FN. Nicolas Sarkozy avait déjà largement capté ce vote en 2007 alors qu’il avait peu parlé de « chasse », de « pêche », de nature et de traditions (toutes choses qui lui sont parfaitement indifférentes). Rappelons que le vote CPNT n’est, à l’origine, pas lié à la désindustrialisation du pays ni, directement, aux difficultés économiques et sociales que connaissent nos concitoyens. Rappelons aussi que pour 11 millions de Français ruraux, ce vote « chasseur » a pu représenter jusqu’à 1,2 million de voix en 2002 (400 000 voix en 2007). Selon les régions, cet électorat était plutôt d'origine « de gauche » ou « de droite ». Il a surtout représenté une forme de mobilisation ouvrière contre les « élites » et de résistance par rapport à l’hégémonie culturelle urbaine. En la matière, on ne peut nier, il est vrai, que la question soit culturelle mais elle semble liée à une forte dimension démocratique : défense d’un mode de vie contre des règlements et des lois qui semblent échapper au citoyen…

Ce qui a motivé l'invention du terme « prolophobie » c'est l'idée que le divorce entre les élites de gauche et les classes populaires revêtait certes une dimension économique (liée au tournant de 1983), évidemment une forte dimension démocratique mais qu'elle était liée à une forme d'insécurité culturelle qui pouvait motiver le processus de droitisation actuel.

Gaël Brustier & Jean-Philippe Huelin - Tribune | Lundi 11 Avril 2011

lundi 4 avril 2011

“Aujourd’hui, la contestation se fait par la droite”


Docteur en science politique et co-auteur avec Jean-Philippe Huelin de “Voyage au bout de la droite”, Gaël Brustier analyse le processus de radicalisation de la droite.

Quel a été le point de départ de ce voyage au bout de la droite ?
Dans “Recherche le peuple désespérément” sorti en 2009, nous avions avec Jean-Philippe Huelin décrit les mutations de la géographie sociale du pays en lien avec la modernisation néolibérale. Cependant, mettre en lumière cette réalité devait avoir une contrepartie. Il fallait éclairer les représentations collectives qui lui sont propres.
Et puis, nous avons observé que partout en Europe, les droites ont gagné. Elles sont en situation au minimum de domination culturelle sinon d’hégémonie. Cela ne veut pas dire que les gauches ne peuvent pas gagner de temps en temps, sur un malentendu ou par lassitude de la droite. Le Blairisme a été une expérience dite de gauche, mais sous la domination culturelle thatchérienne. Le SPD en Allemagne a longtemps été en grande coalition et dépendant de l’agenda néolibéral. Le plus préoccupant est que l’alternance se réalise dans un certain nombre de pays entre partis de droite. Nous avons fait le constat que nos sociétés ont pour trait commun d’être soumises à une peur de déclassement de l’Occident, du déclin de leur pays, et que cela motivait une contestation. Une contestation qui ne se fait pas par la gauche mais par la droite.

De quelle manière se manifeste-t-elle ?
Par le Tea Party aux Etats-Unis, le FN de Marine Le Pen en France, la Ligue du Nord en Italie avec évidemment une sophistication différente dans le discours…

Vous écrivez que l’action de Jacques Chirac a été le terreau de cette droitisation en France. Comment ?
Dès le début des années 80, le pari de Jacques Chirac a été de faire muter le RPR vers un modèle reaganien. Le RPR est devenu un parti très néolibéral et agressif. Mais surtout il a renoncé à son projet national. Ce qui faisait son originalité, c’était d’être à la fois “le parti du métro aux heures de pointe” comme disait Malraux et le parti de l’indépendance nationale et d’une certaine mystique nationale mais républicaine héritée de la résistance. Jacques Chirac a cassé l’identité du RPR et l’a droitisé avec Alain Juppé, Edouard Balladur et d’autres membres du Club de l'Horloge. Ils ont créé un système commun entre l'UDF, le RPR et le FN. Les rédacteurs des projets économiques des trois partis sont alors Gérard Longuet, Yvon Blot et Bruno Mégret. En suivant ce chemin, il était certain d’atteindre les rives de la droite extrême. Et si Jacques Chirac a résisté, c’est parce qu’il a toujours refusé l’alliance avec le Front national.
Ce rappel est surprenant d’autant que l’on a plutôt tendance à faire référence à Nicolas Sarkozy…
En vérité, Nicolas Sarkozy n’est pas arrivé sur du néant. Il est plus le produit de ce qu’est devenue la France que l’initiateur de ce qu’elle est aujourd’hui. Son élection est une conséquence. Il faut relativiser le pouvoir de l’homme, mais pas ce qu’il symbolise. S’il est le fils politique de Jacques Chirac, il n’est pourtant pas l’alpha et l’oméga de cette droitisation. Alors il est vrai que le personnage fascine. Mais il convient de le replacer non pas dans son image médiatique mais dans la relativisation de ses actions sur le moyen terme.
Selon vous, l’expérience française est la plus emblématique. Pour quelles raisons?
On est arrivé à un tel degré préoccupant de pragmatisme de la droite, à un cynisme assez sidérant, à une légitimation complète des thèses obsessionnelles du FN, à un délaissement des vieilles traditions dans l’appareil et dans le discours politique de la droite… Aujourd’hui, la démocratie chrétienne est totalement absente, le gaullisme a été dissout et le libéralisme républicain bon enfant a du mal à se faire entendre. Ceux qui s’agitent au sein de l’UMP actuellement sont les réformateurs comme Hervé Novelli et Gérard Longuet, d’anciens cadres de l’extrême droite passés à l’UDF puis à l’UMP et les députés de la droite populaire. Ce sont les deux seules expressions car on ne perçoit pas la force du message des centristes. Les vieilles droites antérieures ont été liquidées. Symboliquement la mort du Gaullisme correspond physiquement à la mort de Philippe Seguin.

Comment expliquer que cette fusion de toutes les droites très complexe fonctionne ?
D’une part parce qu’un imaginaire collectif s’est dégagé et d’autre part, par le fait que tout le débat politique a été ramené à droite. Dans le contexte actuel, quel que soit le sujet, vous trouvez une réponse à droite. La droitisation, n’est pas la constitution d’une idéologie unique mais la constitution de plusieurs expressions politiques.
Est-ce qu’au fond, ce n’est pas la société française qui s’est droitisée ?
En France, avec la casse de l’appareil industriel, alors que vous avez autant d’ouvriers mais qui sont livrés au chômage et notamment dans les territoires ruraux, le phénomène de déclassement, la crise de l’école, le fait que 76% des Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, l’imaginaire collectif a évolué. Et la gauche n’apporte pas de réponse. Au contraire des droites dont la force est d’expliquer le monde en trois phrases du coin de la rue à Kaboul.

Alors justement, vous pointez la responsabilité de la gauche…
Elle est immense et à plusieurs titres. Tout d’abord par le personnel qu’elle a fourni à la droitisation. Il faut quand même rappeler que Bernard Kouchner n’est que le bout du chemin. Aux Etats-Unis, Ronald Reagan n’aurait rien été s’il n'avait pas eu un personnel issu de la gauche qui l’a puissamment aidé à mettre en scène sa politique extérieure. En Italie, Silvio Berlusconi a été l’enfant chéri du parti socialiste dans les années 80.
En France, la gauche peut-elle reconstruire une alternative?
Je pense que beaucoup de gens y sont prêts mais que les appareils ne le sont pas. Parce qu’ils fonctionnent sur une allégeance économique et sociale au dogme du libre échange et de la globalisation qu’il ne faut pas remettre en cause. Et la tendance permanente au multiculturalisme et au différencialisme de la gauche l’empêche de voir ce qui fait l’identité des Français par delà leur origine. Ainsi, on traite mal les sujets sociétaux comme la question de la participation égalitaire de tous les citoyens ou de la laïcité. On laisse le champ libre au n’importe quoi droitier parce qu’on n’a pas de discours clair à l’exception d’une dénonciation morale. La gauche passe beaucoup de temps à flatter sa bonne conscience avec son indignation.

Les passes d’armes au sein de la majorité ne laissent-elles pas apparaître des fissures au sein de cette nouvelle droite ?
Il peut y avoir une crise de croissance peut-être. Mais je ne crois pas à la force de nuisances de François Fillon ou d’autres d’ailleurs. La rébellion de certains me semble ahurissante. Je ne vois pas ce qui a fondamentalement changé depuis la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale dans la politique de Nicolas Sarkozy. Cela devient brouillon parce qu’il y a des débats sur n’importe quoi… Mais surtout cela banalise les traits les plus inacceptables du FN. L’utilisation de ses thématiques légitime toutes les pulsions identitaires.

A un an de la présidentielle, quel regard jetez-vous sur cette échéance ?
Que la gauche puisse gagner ? Je le pense. Est-ce qu’elle va gagner ? Je n’en sais rien. De plus, en misant sur tous les défauts de Sarkozy, son impopularité, la gauche fait abstraction de plusieurs risques. Le premier est de se retrouver éliminée du premier tour. Le deuxième est la capacité de Sarkozy à gagner au 2e tour. Et enfin, que fait-elle si elle remporte la victoire en 2012 ? Comment pense-t-elle gouverner sans domination culturelle? En 2006, Romano Prodi a gagné contre Silvio Berlusconi. Il est resté dix huit mois au pouvoir avant d’être balayé. Aujourd'hui, la gauche n’existe plus en Italie. Ce sont des réalités à méditer.

La Marseillaise, 4 avril 2011
Entretien réalisé par Sandrine Guidon

vendredi 1 avril 2011

Ghislaine Ottenheimer parle de "Voyage au bout de la droite" dans Challenges

Chevènement recommande "Voyage au bout de la droite" sur France 24

On en parle à la 14ème minute



Verbatim

Roselyne FEBVRE.- Tout de suite, on passe à la chronique de Soumaya Benaïssa. On revient sur le thème de la droite puisque vous nous proposez un livre intéressant « Voyage au bout de la droite » de Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin. Vous avez adoré, pourquoi ?
Soumaya BENAISSA.- Tout simplement car les questions posées dans ce livre, allant dans le sens des questions que vous posiez à M. Chevènement, au lendemain de cette séquence cantonale, les deux principales « comment se fait-il que la gauche ne tire pas profit du discrédit frappant le gouvernement, le Président de la République, de cette crise économique et sociale ? C’est même plutôt, comme vous l’avez souligné, qui en tire bénéfice. Que se passe-t-il à droite ? Elle est déboussolée, le Front National pèse-t-il sur la droite ?
Finalement, on pourrait peut-être résumer l’ensemble des réponses qu’ils proposent en un mot, celui de « droitisation ».
Roselyne FEBVRE.- Qu’est-ce que la droitisation ?
Soumaya BENAISSA.- Pour eux, c’est un mot-clé, un concept faisant référence au fait que la droitisation est un processus qui travaille les sociétés européennes depuis une trentaine d’années, une quarantaine d’années. On peut le faire débuter avec Thatcher en Europe et Reagan aux Etats-Unis. Cela aboutit au fait qu’aujourd’hui, depuis une dizaine d’années, toutes les questions et les débats politiques sont polarisés sur la droite avec les extrêmes droites apparaissant en Europe : Geert Wilders, les droites New-look en Autriche, en Hongrie, un peu partout en Europe. Le tour de force de la droite de ces trente et des dix dernières années, c’est d’avoir concilié deux thématiques complètement contradictoires qui sont la contestation et la conservation. Marine Le Pen représente bien cela.
Peut-être que face aux nouvelles peurs que sont la mondialisation, crise de l’état nation dont vous parlez souvent dans l’intégration européenne, islamisme, immigration, qui sont des peurs globales, les Français veulent un peu de local. Le conservatisme est donc très approprié. Marine Le Pen fait donc basculer la contestation à droite.
Roselyne FEBVRE.- Pourquoi la contestation a-t-elle basculé à droite ?
Soumaya BENAISSA.- Vous allez sourire, mais c’est finalement la gauche d’une certaine manière. C’est une thèse que vous avez d’ailleurs récemment discutée. Les intellectuels de gauche ont favorisé la droitisation de la vie politique.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Et les responsables politiques du parti socialiste en faisant une politique qui n’est plus une politique de gauche.
Roselyne FEBVRE.- Etes-vous d’accord avec ça ?
Soumaya BENAISSA.- Bien sûr.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Le tournant libéral, 1983…
Roselyne FEBVRE.- Et l’émergence du Front National à l’époque.
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Exactement. Cela correspond tout à fait. Je conseille la lecture du livre de Gaël Brustier et de Jean-Philippe Huelin. C’est un excellent livre.
Roselyne FEBVRE.- Vous l’avez donc lu ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Oui, je l’ai lu. C’est un excellent livre. Ils ont été jadis dans ma mouvance. Ils sont maintenant au parti socialiste. Je leur souhaite beaucoup de succès.
Soumaya BENAISSA.- Vous ne contestez donc pas cette idée que les intellectuels de gauche ont pu participer, en critiquant la gauche totalitaire anticommuniste, à cette droitisation idéologique sur le modèle des néo conservateurs américains ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT.- Ils ont apporté leur pierre à cette évolution catastrophique.