mercredi 11 novembre 2009

La peur du déclassement…et l’oubli du peuple

Le livre d’Eric Maurin, La Peur du déclassement, est en train de créer un des débats publics du moment. Même si l’auteur jouit d’une reconnaissance des médias dit de référence (la une du Monde le jour de la sortie du livre !) son analyse n’en demeure pas moins partielle et partiale sur la réalité sociale en France. Trois éléments majeurs peuvent être avancés pour critiquer sa thèse :

De la même façon que l’insécurité il y a quelques temps, le déclassement ne peut aucunement être réduit à un sentiment ou une peur irraisonnée qui ne serait qu’un problème périphérique de la société française. De nombreux indicateurs montrent que la situation sociale se dégrade réellement pour certaines catégories de la population. La souffrance sociale n’est plus seulement l’apanage de la base de la pyramide sociale (« les exclus »), elle est en train de gagner les « couches moyennes » de la société. Le discours psychologisant sur une société malade que les bons experts devraient soigner de ses névroses a un côté paternaliste et misérabiliste des plus détestables. Pour soigner notre société, un divan ne suffira pas !

Par ailleurs, Eric Maurin attribue les raisons de cette peur à une société qu’il qualifie incessamment de « bloquée » par des protections sociales qui mettent à l’abri les détenteurs de CDI et les fonctionnaires mais qui jetterait dans la jungle sociale tous les autres. C’est une vieille thèse franchement néolibérale qui s’est imposée comme un passage obligé de la « pensée unique » des années 90. On comprend les glapissements de Laurence Parisot à la lecture du livre ! L’auteur n’oublie rien de moins que l’entrée dans la globalisation et ses conséquences sur les conditions de travail et sur le niveau des salaires. L’explication d’Eric Maurin, très « franco-française », ne restitue pas la réalité sociale de notre pays dans son contexte mondialisé.

En réalité, nous avons face à nous un statisticien renommé qui oublie le peuple et qui le méprise un peu. De fait, Eric Maurin méconnait la géographie sociale de la France d’aujourd’hui. Cela n’apparaît pas dans sa grille de lecture ; or c’est un élément essentiel pour appréhender la question du déclassement qui est aussi, et de plus en plus, un éloignement du Centre. Cet élément est au cœur de l’analyse de notre livre « Recherche le peuple désespérément » (Bourin éditeur). On ne comprend rien à notre société si l’on ne parle pas de la ségrégation spatiale et sociale que vit la France périphérique, celle qui est obligée de se lever tôt pour aller au travail car le temps de trajet augmente entre le lieu de travail et le domicile. Cette France-là est mise à l’écart de la France des centres à cause d’un prix du logement prohibitif en ville. Le seul espace disponible devient l’espace périurbain voire le monde rural qui accueille de plus en plus « d’exclus des villes ». Pour cette France périphérique, électoralement majoritaire faut-il le rappeler, le déclassement n’a rien d’un fantasme.

Jean-Philippe HUELIN

1 commentaire:

  1. j'avais deja vu une analyse de ce livre sur le blog d'olivier noblecourt, mais la votre est également de qualit", continuez

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