mercredi 13 janvier 2010

Le jospinisme, la maladie gériatrique du socialisme

Deux militants Gaël Brustier et Jean-Philippe Huellin et un élu Mickaël Vallet, tous socialistes, fustigent le retour sur la scène médiatique de Lionel Jospin. Pour eux, l'auto-congratulation de l'ex-premier ministre est représentative de la sclérose idéologique du parti depuis 27 ans.

Il revient parce qu’il n’est jamais parti. Dans un livre de mémoires à paraître très prochainement, Lionel Jospin s’apprête à rappeler l’alpha et l’oméga de la pensée socialiste à ses camarades, ou du moins celle que les clercs et les intellectuels de système sont chargés de faire respecter. Le camarade Jospin va parler et l’enjeu est plus vaste qu’une autojustification égotiste.

D’aucuns reprocheront à Lionel Jospin de tenir le même discours depuis 2002. Ils auront tort. Lionel Jospin n’a pas changé depuis 1983 ! Metteur en scène de l’autocritique de sa propre défaite en 2002, il offre aux Français le seul regard qui lui semble légitime : le sien. Dans cette Eglise qu’est le PS, l’abbé Jospin, las d’en avoir été le principal docteur de la foi, souhaite depuis sept ans revêtir les habits du martyr. Son bilan était bon, c’est sa « perception » par les Français qui ne l’était pas. De l’inconvénient de gouverner la France, ce pays d’impies !

Rien de neuf en réalité, car l’enthousiasme pincé du camarade Jospin pour son « bon bilan » de 2002 fait irrésistiblement penser à celui manifesté à la tribune du Congrès de Bourg-en-Bresse en 1983. A l’époque, théoricien de la « parenthèse libérale », le Premier Secrétaire, empressé qu’il était de justifier le tournant libéral de l’action gouvernementale, concluait les débat en exigeant de ses camarades, « un Parti plus unanime pour l’appuyer ».

A partir de 1983, le PS devenait un parti « campé aux côtés du gouvernement », c’est-à-dire faisant siennes les contraintes qui pesaient sur l’action gouvernementale et cessant de facto d’exercer les fonctions d’un parti socialiste. Le PS, arrivé au pouvoir, voyait ses cadres se lover dans l’appareil d’Etat et bientôt ses anciens experts et ses hauts-fonctionnaires se ruer dans le secteur privé. La réussite sociale d’une génération remplaçait l’accomplissement du socialisme en France.

Pour agrémenter « idéologiquement » le quotidien, le PS se dotait de fausses consciences chargées de se substituer à l’idéal socialiste et à la « rupture avec le capitalisme » : « Europe sociale » et « antiracisme » devenaient les vasodilatateurs d’un Parti à l’encéphalogramme plat chargés de donner brièvement l’illusion de la maîtrise des choses alors que les « vents dominants » l’emportaient vers les rives du Potomac et l’Amérique reaganienne.

« Rien n’a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste ! »

Dans l’histoire du socialisme français, le jospinisme n’est pas un épiphénomène ou une incongruité historique, il est autant le produit des contraintes qui ont réellement pesé sur l’action des socialistes en 1983 que cette absence de volonté des socialistes que l’on pourrait définir comme le souhait de ne point penser le monde de peur que la raison ébranle ce à quoi ils sont souvent le plus attachés : le raisonnable. En conséquence, rien n’a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste !

Pas une idée neuve, pas une analyse novatrice, pas un poste électif qui n’ait échappé à l’appétit prédateur d’une caste qui s’est peu à peu substituée aux militants. Pour penser, aujourd’hui, le socialisme, on doit se réfugier en dehors du Parti Socialiste, voilà la conclusion – à notre sens erronée - de beaucoup. Lucile Schmid, vice-présidente démissionnaire du Laboratoire des idées socialiste, a rappelé récemment qu’on a opposé à sa candidature aux élections régionales le fait qu’elle serait une « intellectuelle ». Triste bilan !

Ce qui manque à la Gauche, au PS comme à ses « alliés », c’est la volonté de quitter enfin les années 1980 et de faire un retour vers le présent sinon vers le futur. Période de réussites individuelles hors du commun, ces années ont aussi été celles d’une glaciation idéologique de la social-démocratie et de la gauche française dans son ensemble et de l’emprise croissante d’une caste social-libérale sur le destin de la gauche.

Aujourd’hui, penser la globalisation financière, la nouvelle géopolitique mondiale et la géographie sociale française, c’est penser les fameuses contraintes que le PS met si peu d’énergie à vouloir desserrer. Pour bâtir un projet progressiste face aux droites européennes, nous devons penser l’alliance de l’idéal égalitaire et de la protection de la planète. Voilà des pistes pour sortir le camp progressiste de l’ornière. Cela passe aussi par un réveil militant !

Nous n’avions pas cinq ans au moment du Congrès de Bourg-en-Bresse de 1983, pourtant l’histoire nous a enseigné que, comme après 1920, comme après 1945, comme après 1969, la « vieille maison » pouvait être un des lieux d’élaboration d’une alternative politique et sociale. Il est temps qu’après les Français en 2002, les socialistes remercient définitivement cette fois le camarade Jospin. Aidons-les !

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin sont membres du Parti Socialiste, auteurs de Recherche le peuple désespérément, Bourin Editeur, 2009. Mickaël Vallet est Maire (PS) de Marennes (17).

http://www.marianne2.fr/Le-jospinisme,-la-maladie-geriatrique-du-socialisme_a183444.html

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