jeudi 29 octobre 2009

Construire une nouvelle alliance avec les couches populaires

Pourquoi la disparition de la classe moyenne affecte en priorité le parti socialiste ?

Elles reviennent dans l’actualité comme les feuilles en automne. Régulièrement, on se penche sur leur cas. Triomphantes voilà trente ans, on analyse aujourd’hui leurs difficultés, on les dit oubliées, précarisées… martyrisées. Mais qui sont donc ces classes moyennes ?

Quand on le demande aux Français par voie de sondage, tous ou presque se sentent en faire partie : parmi les 20 % disposant des revenus les plus hauts, 79 % se rangent sous la bannière « classes moyennes » ! De l’autre côté de la pyramide sociale, il y a près de 30 % des ouvriers qui pensent aussi en faire partie ! S’il y a un concept sociologique floutant, voire masquant, celui de classes moyennes détient véritablement la palme. Inventée au XIXe siècle, la classe moyenne a vu sa définition lentement se transformer pour finir par englober près des trois quarts de la population. Les sociologues sont d’ailleurs incapables d’en fixer les limites « scientifiques ». Quels critères retenir en effet : la profession, les revenus, le patrimoine, le niveau culturel ? Il faut dire que la dénomination marxiste (et peu flatteuse) de « petit-bourgeois » a progressivement laissé la place à « classe moyenne », au singulier puis au pluriel, plus policé, apparemment scientifique et presque technocratique, suffisamment engageante et édulcorante pour devenir une sorte de mythe pour société enfin « apaisée ».

Il y avait bien une vision idéologique de la société derrière le concept de « classe moyenne ». C’était la promesse d’une sortie des luttes de classes ; l’aspiration à cette fameuse classe moyenne ayant pour but de freiner la contestation de l’ordre établi. Les plus anciens se souviennent peut-être du livre de Valéry Giscard d’Estaing, Deux Français sur trois, qui entendait construire une majorité politique sur les bases sociales de la classe moyenne. Pendant les années 1970, la croissance soutenue pouvait encore laisser croire que l’intégration des couches populaires était en marche, que l’embourgeoisement était au bout du chemin. Il ne devait rester qu’une petite couche marginale de démunis et d’exclus à la base et une élite discrète au sommet. Le rêve est passé, la réalité est tout autre. Déjà la fin de la guerre froide avait ébranlé les fondements de cette « société moyenne » mais les coups de boutoir de la globalisation ont fait exploser le pacte social qui reposait sur une certaine retenue des classes dirigeantes. L’explosion des revenus des plus riches depuis dix ans est aujourd’hui insoutenable : + 11,3 % chez les 5 % les plus riches, 19,4 % chez les 1 % les plus riches et même 42,6 % chez les 0,01 % les plus riches (chiffres de Camille Landais). Course folle vers la démesure ? Absolument. Dislocation des intérêts communs à la classe dirigeante, comme l’analyse Emmanuel Todd ? Certainement. Mais, surtout, exposition de richesses qui détruit ce qu’Orwell appelait la « common decency », cette morale populaire faite d’honnêteté, de respect du bien commun et d’une certaine frugalité. Aujourd’hui, le sens de l’ascenseur social s’est inversé : on ne monte plus, tout le monde descend (ou le craint). Le risque de déclassement sape les fondements de cette société moyenne, ce qui ne va pas sans conséquences politiques.

Depuis le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 et « l’entrée en fureur des classes moyennes » (E. Todd), nous vivons une sorte de crise terminale de la social- démocratie européenne car c’est elle qui s’était le plus appuyée sur la mythique « classe moyenne ». Presque partout en Europe, les partis socialistes et sociaux-démocrates sont empêtrés dans leur promesse du confort petit- bourgeois pour tous. À force de réduire le progrès social à un simple progrès technique, matériel et finalement individuel, à force de céder les leviers de commandes économiques et financiers par « acclimatation » (soyons polis) avec les intérêts de l’élite, ces dirigeants ont perdu toute emprise sur la marche du monde. En France, ce rabougrissement intellectuel peut s’observer dans le comportement du PS. Ayant perçu la disparition programmée de cette vaste classe moyenne et donc de son principal vivier électoral, le PS n’a pourtant jamais osé théoriser une nécessaire refondation sociologique. Plutôt que d’affronter cette nouvelle réalité sociale en face, comme à son habitude, le PS biaise et se raccroche aux branches : c’est d’abord l’appel souvent caricatural à la « banlieue » comme pour cacher son désintérêt des couches populaires (la majorité des plus pauvres ne vivent pas en banlieue), puis ce furent les bobos comme roue de secours provisoire. Le PS s’est ainsi perdu en ville : centres anciens boboïsés et proches banlieues médiatisées sont les seuls espaces considérés. Or cette France-là est minoritaire, sociologiquement comme électoralement.

Finalement, le grand impensé de la gauche en général et du PS en particulier, c’est le peuple. Après les avoir trop longtemps méprisées, la gauche doit aujourd’hui se tourner vers les couches populaires car elles sont le plus touchées par les conséquences de la mondialisation financière. Elle doit construire une nouvelle alliance de classe, rassemblant les perdants objectifs de la globalisation, pour former une coalition sociale majoritaire qui lui permette d’exercer le pouvoir dans la durée. Rien d’impossible mais le travail sera long…

Jean-Philippe Huelin, militant socialiste, coauteur de recherche le peuple désespérément (bourin éditeur).

http://www.humanite.fr/2009-10-29_Idees-Tribune-libre-Histoire_Construire-une-nouvelle-alliance-avec-les

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