mardi 13 octobre 2009

A lire sans faute: Recherche peuple désespérément

Exclusif. Dans un livre qui, espérons-le fera date, deux intellectuels socialistes montrent comment, depuis trente ans, la classe ouvrière, loin de disparaître, s'éloigne des villes et des banlieues pour s'installer dans des zones peri-urbaines ou rurales, et comment une certaine gauche médiatique persiste à l'ignorer, parfois au prix d'une prolophobie de plus en plus évidente.

Amis lecteurs, le livre dont nous publions quelques extraits ci-dessous n'est pas comme les autres. Publié par Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin, respectivement docteur en sciences politique et professeur d'histoire-géographie, il prolonge bien des analyses et des combats menés par Marianne depuis douze ans. Mais surtout il les éclaire d'un jour nouveau, « géo-sociologique ».

Ce peuple que la gauche et les modernes tiennent pour résiduel depuis vingt ans, existe toujours : le nombre d'ouvriers a baissé, mais très peu, et celui d'employés a augmenté. Mais la mondialisation a obligé les uns comme els autres à muter, à bouger toujours plus loin de ces centre-villes devenus les territoires de la nouvelle bourgeoisie que seuls ses domestiques de divers ordres (valets, femmes de ménage, promeneurs de chiens, précepteurs, babysitters) peuvent encore approcher.

Une mutation sociale politique s'est effectuée sous nos yeux sans que personne n'en rende compte dans la sphère médiatique ou même intellectuelle : le poids des ouvriers ne cesse de monter dans les département dits « ruraux ». L'inflation immobilière a poussé les ouvriers et employés à s'éloigner des villes pour payer moins cher leur logement, quitte à dépenser un budget considérable dans les déplacements.

Or, cette population prolétaire fixée à la campagne est de plus en plus abandonnée, voire méprisée par la gauche et par les médias. Elle a d'abord constitué la première force de frappe du non au Traité constitutionnel européen, où, rappelons-le, les salariés gagnant entre 1000 et 2000 euros ont été 65% à voter non. La géographie électorale du non au TCE colle très bien à la thèse des auteurs : en desssous de 500 habitants, le non y atteind presque 60%; entre 500 et 9 000 habitants, il est de 55 à 59%; le oui n'est majoritaire que dans les villes depuis de 100 000 habitants. Or, cet espace urbain est devenu le bastion de la gauche et du PS.

Cette France rurale et péri-urbaine est la principale prise de guerre électorale de Nicolas Sarkozy qui a permis sa victoire en 2007. Que le PS et la gauche continuent à l'ignorer, qu'ils sanctifient, par exemple, Frédéric Mitterrand et pourchassent Benoît Hamon et ils mettront toutes leurs chances de leur côté pour subir une nouvelle raclée en 2012. Voilà pourquoi il faut lire et faire lire le livre de Gaël Brustier et Philippe Huelin.

EXTRAITS DU LIVRE RECHERCHE PEUPLE DESESPERMENT

À l’heure de la crise pétrolière et de la crise des subprimes, l’habitat en pavillon périurbain expose à une fragilité finan-cière des populations nouvellement accédantes à la propriété déjà en situation de fragilité économique (précarisation de l’emploi, surendettement...). Quand le remboursement du pavillon compte pour un tiers du budget et l’automobile pour un quart, il ne reste pas grand-chose pour vivre. C’est ainsi que ce que les médias appellent la crise des banlieues, dont la visibilité est plus aisée, cache en réalité une crise beaucoup plus grave et profonde qui a commencé à se manifester par la voie du vote. Alors que le candidat Sarkozy a su capter une bonne partie de l’électorat périurbain, la gauche doit en grande partie ses défaites de2002 et 2007 à son incompréhension des désirs du monde pavillonnaire. Le périurbain vaut mieux que les caricatures dressées par les élites urbaines.

La gauche serait bien inspirée de se pencher sur cette colère populaire qui monte face à la relégation territoriale et sociale. La crise risque d’être aiguë quand le pavillon, «abri antiglobalisation», se transformera en traquenard social. Confortablement calé dans ses certitudes, le commentateur dispense son analyse des victoires de la droite dans les zones rurales comme une reproduction du vieux schéma électoral du XIXe siècle, celui qui voyait les paysans français porter Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, élire l’Assemblée de Versailles en 1871 puis la Chambre introuvable de 1919... Il y eut certes des paysanneries progressistes, essentiellement dans le centre de la France, du Bourbonnais au Limousin, mais il est vrai que, pour l’essentiel, la paysannerie était conservatrice. Depuis, le monde rural s’est profondément recomposé. La France rurale d’aujourd’hui est beaucoup moins une France paysanne qu’une France des oubliés, une France d’ouvriers et d’employés plus qu’une France d’agriculteurs.

De la prolophobie en milieu éditorial

Dans l’«espace à dominante rurale», les ouvriers forment 34,7% des actifs en 1998 alors que les agriculteurs n’en rassemblent quant à eux que 8,6%. De jeunes couples sont venus s’installer dans des zones rurales et en ont changé le visage. À quelques exceptions près, les sciences sociales ont délaissé l’étude des mondes ruraux. «Reliquats d’un avant» ces espaces sociaux, pourtant riches d’enseignements, sont ignorés tant par les médias que par le monde politique. Un étrange cocktail fait de stigmatisation et de bien-pensance renvoie invariablement ces espaces aux clichés les plus éculés: arriération, racisme, alcoolisme, rejet de la modernité, conservatisme et conformisme. Il y a derrière ces clichés une forme de prolophobie de la part d’une partie des élites françaises.

La montée du vote FN dans les campagnes sous dépendance des villes ou le vote proprement rural sous la bannière de Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) n’ont fait qu’aviver ce mépris des médias et des politiques qui n’en sont pas issus. Ce sont des zones qui connaissent aussi la violence, mais c’est une forme de violence sociale très souvent ignorée, qui peut s’observer dans les conditions de travail ou par la précarité de l’emploi. Un exemple flagrant traduit toute la complexité de ce que subissent les ruraux, les avis de décès de la presse régionale en témoignent: il s’agit des accidents de la route.

Entre les jeunes citadins et les jeunes ruraux, l’inégalité face à la violence routière est patente. Si «plus d’un Français de 15 à 24ans sur trois vit à la campagne», on ignore délibérément ce gros tiers de la jeunesse française, on ignore ses angoisses et ce qu’elle subit. Cette catégorie de population a résisté à la «mutation spectaculaire des pratiques routières»: la baisse du nombre de tués sur les routes. Ainsi, quand en 2004 on assiste à une nouvelle baisse du nombre de décès liés aux accidents automobiles, les «18-24ans, et eux seuls, ont vu leur nombre de tués augmenter».

Les chiffres sont éloquents: 93% des accidents mortels ont été le fait de conducteurs masculins, 73% des cas sont des accidents s’étant déroulés en rase campagne, 30% des accidents mortels sont dus à l’alcool, 70% ont eu lieu la nuit et 46% le week-end.

Un phénomène méconnu : l'exode urbain

Si les statistiques sont encore imprécises, on peut sans peine établir que les accidents concernent, d’un point de vue empirique, davantage les jeunes ouvriers ruraux. Pourquoi? Très certainement parce qu’ils sont soumis à des cadences de travail harassantes et à de longs trajets domicile/travail avec des véhicules moins bien équipés que ceux des gens plus riches. Les jeunes ruraux expulseraient par leur comportement routier une violence subie au travail; la voiture serait le biais par lequel les «valeurs masculines» consoleraient ces jeunes soumis à la dureté du système économique.

Il y a, en France, un prolétariat rural, des ouvriers ruraux. Le statut d’ouvrier concerne plus de 60% des hommes ruraux actifs (contre 44% des citadins) et 18% des femmes rurales actives (contre 9% des urbaines). Le monde ouvrier tend à devenir de plus en plus rural consécutivement à la mutation des villes et au phénomène de délocalisation industrielle qui a frappé les pôles urbains bien avant que l’on ne parle des délocalisations vers l’Asie...
En effet, au cours des années 1990, le mouvement d’exode rural issu de la Révolution industrielle s’est inversé: 75% des cantons ruraux ont un solde migratoire positif, on peut donc parler d’exode urbain qui concerne des ménages modestes et souvent exclus du monde du travail. On perçoit par exemple cette évolution dans l’explosion du nombre des bénéficiaires du RMI dans les départements ruraux.

Philippe Cohen
http://www.marianne2.fr/A-lire-sans-faute-Recherche-peuple-desesperement_a182413.html

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